ANALYSE – Hezbollah en Afrique de l’Ouest : Entre Diaspora, Trafics Illicites et Géopolitique

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.

La présence de Hezbollah en Afrique de l’Ouest n’est pas un phénomène récent, mais illustre parfaitement comment le mouvement chiite libanais a su étendre son réseau bien au-delà du Moyen-Orient. Grâce à un savant mélange d’activités économiques, de trafics illicites et de connexions avec la diaspora chiite libanaise, Hezbollah a consolidé une influence significative dans cette région. Cependant, cette stratégie n’est pas sans risques, s’inscrivant dans un contexte géopolitique de plus en plus complexe, où l’Afrique de l’Ouest devient le théâtre d’une compétition acharnée entre acteurs globaux et régionaux.

La diaspora chiite libanaise : un réseau solidement établi

L’émigration libanaise en Afrique remonte au début du XXe siècle, lorsque des entrepreneurs maronites ont cherché des opportunités économiques sur le continent. Cependant, c’est dans les années 1980, parallèlement à la naissance de Hezbollah au Liban, que la diaspora chiite a commencé à jouer un rôle clé, en particulier dans des pays comme la Côte d’Ivoire et la Guinée, où vit une communauté importante.

La diaspora chiite libanaise n’est pas seulement un pont culturel entre l’Afrique et le Liban, mais aussi une ressource stratégique pour Hezbollah. Les mosquées chiites, comme al-Zahra et al-Ghadir à Abidjan, sont devenues des centres de collecte de fonds, où les dons rituels (zakat) se transforment en millions de dollars envoyés chaque année à Beyrouth. Ces fonds, souvent envoyés sous forme d’aumônes religieuses, financent une vaste gamme d’activités, allant de la résistance armée contre Israël au soutien au régime de Bachar al-Assad en Syrie, en passant par la formation des milices houthies au Yémen.

Le système économique de Hezbollah : opaque et ancré dans le trafic illicite

Hezbollah ne se limite pas à collecter des fonds via les dons religieux. Le mouvement a mis en place un système économique complexe et opaque, basé sur des trafics illicites, allant de la contrebande de diamants au trafic de drogue et d’armes. Ces activités se concentrent en Afrique de l’Ouest pour deux raisons principales :

1. Les routes stratégiques : L’Afrique de l’Ouest est un hub crucial pour les trafics illicites mondiaux. La cocaïne, par exemple, provient d’Amérique latine (notamment de Colombie, du Venezuela et du Mexique) et transite par des pays comme la Guinée, le Nigeria et le Bénin avant d’être distribuée en Europe. Hezbollah joue un rôle clé dans cette chaîne, gérant une part significative de ce trafic. Selon le Département du Trésor des États-Unis, 30 % de la cocaïne qui traverse l’Afrique pour atteindre l’Europe est liée à des réseaux affiliés au mouvement.

2. Le blanchiment d’argent : Les revenus de ces trafics sont blanchis grâce à un système complexe de transferts impliquant la diaspora chiite. Les valises de billets restent l’un des moyens les plus courants : en 2003, entre 12 et 13 millions de dollars ont été découverts dans les valises d’un passager libanais à bord d’un Boeing 727-200 qui s’est écrasé à Cotonou, au Bénin. Des épisodes similaires se sont reproduits, comme dans le cas de deux hommes d’affaires libano-guinéens arrêtés à Conakry en 2021 avec des valises pleines de dollars, destinées, selon Washington, à financer des affiliés de Hezbollah.

Expansion politique et militaire : Hezbollah comme acteur régional en Afrique

Au-delà du soutien économique, Hezbollah a consolidé une présence politique et militaire en Afrique de l’Ouest. Cette expansion est motivée à la fois par des raisons idéologiques et des intérêts stratégiques.

• Soutien au Front Polisario : Hezbollah a apporté un soutien au Front Polisario dans sa lutte pour l’indépendance du Sahara occidental vis-à-vis du Maroc. Cette collaboration s’inscrit dans le cadre plus large du conflit géopolitique entre l’Iran et le Maroc, Téhéran utilisant Hezbollah comme levier pour étendre son influence dans la région.

• Implication dans les coups d’État : Des analystes ont souligné le rôle possible de Hezbollah dans le coup d’État au Niger en 2023, mettant en évidence la manière dont le mouvement utilise sa présence logistique en Afrique de l’Ouest pour influencer les dynamiques politiques locales.

• Formation et opérations militaires : Hezbollah n’est pas étranger aux opérations militaires en Afrique. Outre son implication dans des conflits comme celui au Yémen, des affiliés du mouvement ont collaboré avec les forces al-Qods iraniennes pour former des milices locales, renforçant la présence iranienne sur le continent.

Crise économique et nouveaux défis pour la diaspora chiite

La crise économique qui a frappé le Liban depuis 2019 a eu des répercussions significatives sur la diaspora chiite en Afrique de l’Ouest. Avec la dévaluation de la livre libanaise et les restrictions imposées par les banques sur les retraits en espèces, de nombreuses méthodes traditionnelles de financement de Hezbollah ont été mises à mal. Toutefois, le mouvement a montré une remarquable capacité d’adaptation, revenant à des méthodes plus traditionnelles, comme le transport d’argent liquide ou l’utilisation d’intermédiaires au sein de la diaspora.

Malgré ces difficultés, Hezbollah continue de dépendre largement des envois de fonds provenant d’Afrique. La ville de Tyr, dans le sud du Liban, dévastée par les récents bombardements israéliens, survit grâce aux fonds envoyés par la diaspora en Côte d’Ivoire, en Guinée et dans d’autres pays africains. Cette dépendance économique souligne le lien indissoluble entre la diaspora et le Liban.

Géopolitique mondiale : un continent disputé

Les activités de Hezbollah en Afrique de l’Ouest s’inscrivent dans un contexte géopolitique plus large, où le continent est devenu un terrain de compétition entre puissances globales et régionales. D’un côté, l’Iran utilise Hezbollah pour contrer l’influence des États-Unis et de leurs alliés, comme Israël et le Maroc. De l’autre, les puissances occidentales cherchent à réduire l’impact des activités illicites du mouvement en intensifiant les pressions diplomatiques et les sanctions.

Les États africains, de leur côté, se retrouvent souvent à devoir équilibrer des intérêts économiques et des pressions internationales. Si, d’un côté, les liens économiques avec la diaspora chiite représentent une ressource vitale, de l’autre, l’attention croissante portée aux activités de Hezbollah risque de déstabiliser davantage une région déjà fragile.

Quel avenir de Hezbollah en Afrique de l’Ouest ?

En conclusion, la présence de Hezbollah en Afrique de l’Ouest est un exemple de la capacité du mouvement à s’adapter à des contextes internationaux complexes, en exploitant des réseaux économiques, culturels et politiques pour soutenir ses activités. Cependant, cette stratégie n’est pas exempte de risques : la crise économique au Liban, l’intensification de la surveillance internationale et les pressions sur les routes du trafic illicite pourraient compromettre la viabilité de ces opérations.

Pour les États africains, le défi est tout aussi complexe. Le renforcement des activités de Hezbollah risque d’aggraver les tensions internes et d’attirer des pressions accrues de la part des États-Unis et d’autres acteurs globaux. Sur un continent où économie, politique et criminalité s’entrelacent, l’avenir de Hezbollah sera un test crucial pour la stabilité de la région et pour la capacité de la communauté internationale à gérer les réseaux transnationaux de pouvoir.

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