Par Sébastien Marco Turk
« Le conflit régional en Ukraine, provoqué par l’Occident, s’est transformé en un conflit aux proportions mondiales. Nous répondrons toujours à toute action de l’Occident contre nous. » Ainsi s’exprimait le président russe Vladimir Poutine le 22 novembre 2024. On ne peut qu’admettre la justesse de ses paroles, à condition de les analyser à la lumière des actes qui les accompagnent. Que devons-nous comprendre par-là ?
En janvier 2021, le président américain Joe Biden avait prédit une attaque russe contre l’Ukraine. Pourtant, il aurait pu l’empêcher. Un président américain plus résolu s’y serait employé. Par exemple, s’il avait annoncé à Poutine que l’OTAN fermerait l’espace aérien ukrainien dès le premier jour de l’agression, le dirigeant russe aurait hésité avant de s’engager dans une telle entreprise. En effet, une zone d’exclusion aérienne aurait considérablement compliqué les plans d’attaque, surtout face à un pays déjà alourdi par ses propres défis.
Ce type de mesure avait déjà prouvé son efficacité en Bosnie-Herzégovine (dans les années quatre-vingt), où elle avait mis fin à l’agression serbe, ou encore pendant le Printemps arabe, où elle avait contribué à la chute de Mouammar Kadhafi. Mais cette fois, les États-Unis et l’OTAN ont mal évalué la situation, pensant qu’une telle décision entraînerait un conflit direct avec la Russie. En renonçant à cette option, l’Occident a abandonné une stratégie cruciale, et Moscou en a largement profité, avançant ses pions face à un adversaire hésitant.
Poutine, conscient des implications d’une attaque contre l’Ukraine, savait qu’il engageait la Russie dans un conflit irréversible avec l’Occident. Il ne s’en cachait pas, comme en témoigne sa déclaration selon laquelle le « conflit régional en Ukraine, provoqué par l’Occident », est une réalité indéniable. On peut affirmer que si l’Occident avait réagi avec plus de fermeté, cette guerre n’aurait probablement jamais eu lieu. Il n’y aurait pas eu de première étape. En ce sens, l’Occident porte une responsabilité objective dans ce conflit. Et Poutine a raison dans ce qu’il constate sur sa culpabilité.
Mais Poutine, en fin stratège, avait anticipé l’approche hésitante de l’administration Biden et de l’OTAN. La conduite américaine en Afghanistan avait été pour lui un signal clair. Les troupes américaines y auraient pu rester encore une ou deux décennies sans complications majeures. Pourtant, sous l’influence d’une philosophie simpliste (le wokisme, inspiré par « flower-power de 68’), les États-Unis ont choisi une retraite précipitée. Cette décision s’est avérée catastrophique, non seulement en termes logistiques, mais aussi en tant que désastre stratégique d’une ampleur sans précédent. Le message envoyé au monde entier était limpide : la puissance militaire la plus redoutable, les États-Unis et l’OTAN, n’était plus animée de la vitalité et de la détermination qui avaient marqué les décennies précédentes.
Depuis ce moment, l’Occident a systématiquement pris du retard sur les événements, qu’il s’agisse du retrait d’Afghanistan ou de l’absence de protection en Ukraine. Cela a permis à Poutine de conserver l’initiative stratégique, non pas par un génie militaire infaillible, mais parce que les États-Unis et l’OTAN lui en ont laissé la possibilité. Une telle attitude d’abandon volontaire est rare dans l’histoire récente, bien que des parallèles puissent être établis avec les années 1930, lorsque Hitler consolidait son pouvoir. Le comportement des démocraties occidentales à cette époque, illustré par Chamberlain brandissant l’accord de Munich comme une promesse de paix, s’est soldé par une guerre mondiale un an plus tard. Les principes géopolitiques restent donc les mêmes ; seules les nuances changent.
Poutine exploite ainsi les faiblesses et la naïveté de l’Occident, tout comme Hitler en son temps. Plus l’Occident est hésitant, plus les discours et les actions du Kremlin deviennent démagogiques. La dernière manœuvre en date consiste à brandir la menace nucléaire pour maintenir son avance sur ses adversaires. Cette rhétorique doit être évaluée à l’aune de plusieurs facteurs.
D’un point de vue subjectif, il est essentiel de comprendre si Poutine présente une instabilité psychologique susceptible de le pousser à déclencher une guerre nucléaire. En réalité, il ne pourrait pas agir seul. Le processus de décision repose sur un dispositif de communication appelé « Cheget » (la mallette nucléaire), qui est connecté au réseau de commandement et de contrôle des forces nucléaires stratégiques de la Russie.
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Ce système n’est pas exclusivement entre les mains du président ; il est également accessible au ministre de la Défense et au chef d’état-major général. Une attaque nucléaire nécessite donc normalement l’approbation d’au moins deux de ces trois responsables. Ce protocole d’autorisation vise à empêcher toute décision unilatérale et garantit que l’utilisation d’armes nucléaires résulte d’une réflexion collective, à la hauteur de la gravité d’une telle action. Même si Poutine présentait une instabilité psychologique, le processus resterait encadré par plusieurs décideurs.
De plus, il n’existe aucune preuve tangible, directe ou indirecte, indiquant que Vladimir Poutine souffrirait de troubles mentaux. La première caractéristique d’une personne psychologiquement instable est une perception altérée de la réalité extérieure. Or, Poutine démontre une pensée logique et causale remarquablement développée, exploitant méthodiquement chaque faiblesse de l’Occident pour renforcer sa position. Cela témoigne d’un esprit stratégique, non d’un déséquilibre.
En conclusion, la menace nucléaire agit principalement comme un levier rhétorique. Il est peu probable qu’elle résulte d’une éventuelle folie de Poutine. Mais cela n’enlève rien au fait que l’Occident, par son hésitation et ses erreurs stratégiques, continue de jouer un rôle dans l’escalade de ce conflit. Et la possibilité de l’utiliser est à nouveau liée, de manière cavalière, à la résonance qu’on lui attribue chez nous. Les chefs d’État, les hommes politiques, et surtout les médias — et par conséquent, les citoyens — ne parlent que de guerre totale, quasiment nucléaire. En Suède et en Finlande, on a déjà pris des mesures pour mieux préparer les citoyens face à ce danger. Cependant, dans ce contexte, il est essentiel de rappeler la phrase du philosophe qui considérait la guerre comme l’état naturel de l’humanité. La guerre a donc toujours accompagné l’homme et continuera de le faire aussi longtemps qu’il existera.
Mais qu’en est-il de la guerre nucléaire que Poutine est censé avoir déclenchée ? La question se pose avec une acuité encore plus grande depuis que l’administration Biden a autorisé l’armée ukrainienne à utiliser des missiles ATACMS à longue portée. L’Ukraine les a utilisés contre une installation militaire dans la région frontalière russe de Briansk, où ils n’ont pas causé de dommages majeurs. Une fois de plus, l’Occident a craint qu’il ne s’agisse du point de bascule susceptible de déclencher un conflit nucléaire. Le Kremlin, en attisant les passions, semble, à première vue, avoir largement contribué à ces inquiétudes. Il s’est empressé d’expliquer à tous les médias ce que sont les armes nucléaires russes et comment il allait moderniser leur stratégie d’utilisation.
Cependant, une analyse plus approfondie montre que cette manœuvre du Kremlin était, une fois encore, disproportionnée par rapport aux craintes de l’Occident. Si l’on discute de ce qui pourrait arriver en cas de guerre, pourquoi ne pas en tirer parti ? Le Kremlin joue sur la peur profondément ancrée dans l’inconscient collectif occidental. Mais en réalité, l’utilisation des missiles ATACMS ne constitue aucunement un casus belli de la part de l’Occident. Rien de scandaleux n’a été fait. Depuis le début de la guerre, Poutine utilise des technologies chinoises, iraniennes et, désormais, nord-coréennes, ainsi que des dizaines de milliers de soldats envoyés par le régime le plus totalitaire du monde (après la Russie). En engageant autant de forces venues d’Asie, Poutine a également transformé la guerre en Ukraine en une sorte de Troisième Guerre mondiale, qui toutes fois demeure dans un état de latence extrême.
De ce point de vue, il serait impossible pour Poutine de justifier une attaque nucléaire contre l’Occident en réponse à l’utilisation de missiles ATACMS américains. Cela manquerait de logique. Or, agir sans logique est précisément ce que le président russe évite soigneusement de faire. C’est pourquoi il n’y aura pas de guerre nucléaire.
Il existe une autre raison universelle à cela. Les missiles ATACMS atteignent leurs cibles avec une précision de l’ordre du mètre, grâce à un guidage par satellite basé sur la technologie américaine la plus avancée. Poutine en est pleinement conscient. C’est là, la raison essentielle pourquoi il n’y aura pas de guerre nucléaire. En effet, si le président russe décidait de déclencher un holocauste nucléaire et lançait le premier missile, la prochaine bombe nucléaire (américaine) tomberait directement sur lui ou sur ceux qui détiennent le pouvoir de déclencher la frappe nucléaire (les porteurs de la mallette Cheget). Les Américains savent parfaitement où se trouve Poutine. Il ne fait pratiquement aucun doute que leurs satellites le surveillent en permanence. L’activation des armes nucléaires par Poutine équivaudrait donc à un suicide. Il aurait peut-être quelques minutes pour survivre à la première détonation, s’il en réchappait. Un homme fou le ferait, mail lui, comme on a démontré ne l’est nullement.
Et nous voilà revenus au point de départ. Si les médias et les hommes politiques occidentaux n’avaient pas amplifié chaque allusion du Kremlin à une « guerre nucléaire », personne n’en aurait jamais parlé. Et encore moins Poutine. Mais il en tire profit, et l’Occident reste encore une fois en retard sur lui.
Comment reprendre l’avantage ? Voilà la question qui vaut un milliard de dollars. La réponse réside, bien sûr, dans la reconstruction de la puissance occidentale et dans la création d’une nouvelle élite politique, comparable à celle qui gouvernait il y a trois décennies (pensons à Helmut Kohl, par exemple). À l’heure actuelle, il y a le groupe de Visegrad. Cependant, ses nations ne disposent pas de l’influence globale nécessaire pour orchestrer une renaissance complète de la splendeur occidentale passée. Bien que des politiciens courageux plus à l’Ouest de Visegrad (en France, par exemple) partagent ces convictions, beaucoup n’ont pas le soutien gouvernemental requis pour mettre en œuvre leurs idées, à l’exception notable des Pays-Bas. Giorgia Meloni, en Italie, semble quant à elle limitée dans son impact.
Ainsi, Donald Trump parait être le seul capable de surpasser Poutine, peut-être en une seule action décisive. C’est peut-être ce qui explique sa déclaration selon laquelle il mettrait fin à la guerre en Ukraine en 24 heures. Car l’Occident, malade et affaibli par les illusions du « wokisme » et de la révolution idéologique de 1968, a besoin d’une victoire — d’une preuve qu’il n’est pas mort. Et cela, en quelque sorte, en 24 heures.
Sébastien Marco Turk
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