Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques
« Il faut aussi que le crime d’improbité envers l’État chez les hommes publics soit effectivement puni plus sévèrement que le vol à main armée » (L’enracinement, Simone Weil, 1943). On ne saurait mieux dire à l’heure où les gazettes foisonnent d’affaires de corruption à tous les niveaux de l’État. Qu’y faire ? Regarder les trains passer ou lutter efficacement contre cette plaie intemporelle ? Le message adressé, le 29 novembre 2024, par la Secrétaire générale du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, Anne-Marie Descôtes (ambassadrice dignitaire de France) à tous les agents de cette Maison interpelle. Il s’intitule « semaine de l’intégrité » (6 au 13 décembre)[1]. Que peut-on lire dans ce madrigal prescriptif sous la plume de la successeure d’Alexis Léger alias Saint-John Perse ? Qu’en est-il au juste de ce texte problématique pour celui qui possède une pratique de la Maison des bords de Seine ?
UN MADRIGAL PRESCRIPTIF
Afin de ne pas trahir la pensée d’Anne-Marie Descôtes, nous reprenons sa lettre aux diplomates.
Début de citation :
A l’approche du 9 décembre, Journée internationale de lutte contre la corruption, j’ai souhaité lancer une nouvelle dynamique pour renforcer notre culture de l’intégrité. La grande diversité de nos métiers, le service à l’étranger, la taille parfois modeste des Ambassades, nous exposent, toutes et tous, à de nombreux risques auxquels chacun doit être sensibilisé. Durant toute une semaine consacrée à l’intégrité, vous pourrez tester et améliorer vos connaissances et vos réflexes : quelle attitude adopter face à un cadeau ou une invitation ? Comment bien préparer un projet de mobilité vers le secteur privé ? Qui consulter en cas de doute ? Toutes ces questions seront abordées, par des communications quotidiennes … du 6 au 13 décembre. Plusieurs tables-rondes ouvertes à tous sont organisées … afin de vous sensibiliser aux problématiques que vous pouvez rencontrer au quotidien, en administration centrale comme en poste :
– les conflits d’intérêts …,
– le risque pénal et les signalements …,
– les mobilités public-privé ….
… Cette semaine sera également l’occasion de lancer une feuille de route de l’intégrité, qui guidera notre action pour continuer à progresser en la matière. Je vous encourage à profiter des contenus proposés et à vous engager pleinement dans cette dynamique.
Fin de citation.
La Secrétaire générale ne plaisante pas avec l’intégrité qu’elle élève au rang de grande cause diplomatique. Au Quai d’Orsay, on ne plaisante pas avec l’honnêteté, la moralité, la rectitude. Qui pourrait imaginer que la cohorte diplomatique ne serait pas au-dessus de tout soupçon ?
UN MADRIGAL PROBLÉMATIQUE
De deux choses l’une. Soit le Quai d’Orsay est une administration exemplaire en termes d’intégrité et de probité de ses agents. Et la missive de la secrétaire générale relève de la com’. Soit le ministère de l’Europe et des affaires étrangères est une maison globalement tolérante à l’égard des brebis galeuses. Et la note d’Anne-Marie Descôtes prend valeur d’avertissement afin que cette situation cesse. Subjectivement, nous penchons pour la seconde branche de l’alternative. Pourquoi ? Tout laisserait à penser que tout n’est pas rose au Quai d’Orsay en termes d’intégrité et de probité.
Les affaires de détournements de fonds attribuées à deux ambassadeurs dignitaires de France (Serge Boidevaix et Jean-Bernard Mérimée, tous deux décédés aujourd’hui) ne sont pas passées inaperçues en leur temps. Et cela d’autant plus que leur condamnation pénale n’avait entraîné aucune suite sur le plan administratif. Certains avaient estimé que la dignité aurait dû leur être retirée en raison de la gravité des faits. Il n’en a rien été. D’autres ambassadeurs dignitaires ont également eu des conduites répréhensibles sans être sanctionnés pour autant. Un diplomate avait alors proposé, non sans une pointe d’ironie, la création d’un corps d’ambassadeurs de France « indignitaires ».
Le mal frapperait à tous les étages. Il semble que, dans la majorité des cas, la main de la hiérarchie tremble pour punir les coupables. Dans de rares cas, il lui arrive de frapper très fort pour faire oublier le reste. Dans un ouvrage bien documenté, le journaliste Franck Renaud dresse, en 2011, une sorte de Who’s who diplomatique des agents déviants[2]. Un de ses confrères, Vincent Jauvert lui emboîte le pas, en 2016, dans une autre somme comparable[3]. Depuis, il ne semble pas que les choses aient changé. Ce ne sont ni la procédure d’évaluation à 360° des agents d’encadrement (sorte d’évaluation par la délation[4]), ni les foudres d’une inspection générale (qui n’a rien d’indépendante) qui changent la donne. Quant au guide de déontologie[5] et à la commission de déontologie, le moins que l’on puisse dire est qu’il y des trous dans la raquette. Et cela à constater le nombre d’ambassadeurs (drices) se reconvertissant dès le lendemain de leur retraite dans des activités lucratives dans le pays où ils représentaient la France, la veille.
LA TYRANNIE DE LA TRANSPARENCE
« L’illusion est une foi démesurée » (Honoré de Balzac). Le message d’Anne-Marie Descôtes soulève plusieurs questions. Retenons-en deux ! La première a trait à l’intégrité des diplomates. Comment imaginer qu’un ministère régalien puisse être touché depuis plusieurs décennies sans aucune réaction ? Croit-on que cette approche puisse traiter le problème à la racine ? La seconde concerne la crédibilité de la diplomatie française affaiblie par la pratique présidentielle et par la suppression du corps diplomatique. Dans un monde dangereux, il est curieux que la priorité du Quai d’Orsay aille à une opération mains propres et non à la définition d’une stratégie pérenne pour le futur. À la recherche de l’intégrité perdue des diplomates.
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
[1] Bastien Scordia, Lutte contre la corruption : le Quai d’Orsay se dote d’une feuille de route « intégrité, www.acteurspublics.fr , 13 décembre 2024.
[2] Franck Renaud, Les diplomates. Derrière la façade des ambassades de France, Nouveau monde éditions, 2011.
[3] Vincent Jauvert, La face cachée du Quai d’Orsay. Enquête sur un ministère à la dérive, Robert Laffont, 2016.
[4] Roseline Letteron, Système d’alerte et délation au Quai d’Orsay, www.libertescheries.blogspot.com , 6 octobre 2011.
[5] Comité d’éthique du MAE, Guide de déontologie du Ministère des affaires étrangères et européennes, septembre 2011.
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