Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques
« Les emmerdes, ça vole toujours en escadrilles » (Jacques Chirac). De nos jours, la diplomatie française ne sait où donner de la tête tant les mauvaises nouvelles succèdent aux mauvaises nouvelles. Avec un président de la République à contretemps qui excelle dans la diplomatie du spectacle, des effets de manche en conviant à Paris, le 7 décembre 2024, pour la cérémonie de réouverture de Notre-Dame, une brochette de chefs d’État et de gouvernement dont Donald Trump et Volodymyr Zelensky…
Alors que la crise politique s’éternise et s’approfondit, nos voisins et alliés sont pris entre le chagrin et la pitié pour l’homme malade de l’Europe. Comment le mal a-t-il pu se répandre telle une traînée de poudre ? Quelles sont les raisons de cette étrange défaite ? Chacun y va de son diagnostic aussi sévère pour les uns que pour les autres. L’humiliation de la diplomatie française est aussi patente que récurrente sur quelques dossiers phares.
AFRIQUE : LA FIN DES CONFETTIS DE L’EMPIRE
Après une suite de mauvaises nouvelles au cours des années précédentes qui signent la fin de la Françafrique, la descente aux enfers se poursuit très récemment pour la France en Afrique francophone. Alors que le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot n’a pas encore quitté N’Djamena que les autorités tchadiennes annoncent la dénonciation des accords de défense entre les deux pays. Selon certains, le ministre aurait commis une bourde diplomatique qui lui vaut le sobriquet de Jean-Noël Tocard par référence à Jacques Foccart. Dans le même temps, le président sénégalais déclare « qu’il n’y aura bientôt plus de soldats français au Sénégal ». Hasard du calendrier, ces deux nouvelles interviennent au moment où Jean-Marie Bockel remet au président de la République son rapport (confidentiel) sur le redimensionnement de la présence militaire française en Afrique (26 novembre 2024). Désormais, la France ne sera plus présente militairement qu’en Côte d’Ivoire, au Gabon et à Djibouti, seules bases restantes. D’une manière générale, la nouvelle génération de dirigeants africains veut s’émanciper de la tutelle jugée trop pesante de l’ancienne puissance coloniale. Elle aspire à « l’indépendance et à la souveraineté ». Mais, pourquoi ne pas les prendre au mot alors même que nous disposons de différents leviers efficaces ? L’aide publique au développement (trou sans fond), la délivrance de visas manu larga (voyage sans retour), l’accueil en France d’étudiants (souvent peu reconnaissants) … Mais, par pudeur de gazelle, Emmanuel Macron ne les utilise pas alors que ce serait un moyen de se faire respecter, de ne plus se faire humilier injustement.
ALGÉRIE : LA DERNIÈRE CLAQUE DE LA CLIQUE
L’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal est le dernier exemple de l’arbitraire du régime mais aussi de la dégradation continuelle de la relation bilatérale entre Alger et Paris. L’agence de presse algérienne étrille la « France Macronito-sioniste ». Pourtant, depuis sa prise de fonctions en 2017, Emmanuel Macron n’a de cesse de devancer les demandes, y compris les plus extravagantes, de l’Algérie, en particulier la reconnaissance par la France de crimes de guerre durant la colonisation. Le fameux devoir de mémoire n’est qu’une route à sens unique, celle de la France coupable de tous les maux, permettant au président Tebboune de se dédouaner de son impéritie et de son indélicatesse. Et régulièrement, notre ambassadeur à Alger fleurit la tombe d’anciens dirigeants du FLN qui ont le sang de nos compatriotes sur les mains. Pire encore, Alger refuse de délivrer les laisser-passez consulaires indispensables au retour des indésirables (OQTF) sur son sol. Mais, chaque avanie en entraîne une autre sans que le chef de l’État ne siffle, momentanément, la fin de la récréation …Jusqu’au jour où le cave se rebiffe en appuyant à l’endroit où cela fait mal. Choqué par le manque de reconnaissance de ses interlocuteurs il prend la mouche. Il décide de reconnaître la souveraineté marocaine sur la Sahara occidental et effectue une visite officielle au Maroc, véritable pied de nez à la clique d’Alger. Peu de temps après, l’octroi du prix Goncourt à Kamel Daoud pour son roman « Houris » est ressenti comme une provocation de l’autre côté de la Méditerranée. Et l’on connaît la suite avec l’arrestation de Boualem Sansal à titre de représailles. Sur ce dossier, le chef de l’État se refuse aussi à utiliser les moyens de rétorsion dont il dispose à l’encontre d’un régime qui dépasse les bornes : dénonciation de l’accord de 1968, restriction drastique de l’octroi des visas, en particulier ceux délivrés aux caciques du régime venant se faire soigner en France aux frais de la princesse, meilleur encadrement des ressortissants algériens fauteurs de trouble dans notre pays… Mais, par pudeur de gazelle, Emmanuel Macron ne les utilise pas alors que ce serait un moyen de se faire respecter, de ne plus se faire humilier injustement.
RUSSIE : LA BÉRÉZINA DIPLOMATIQUE
Alors que la diplomatie française traditionnelle dispose d’un réel capital de sympathie à Moscou en raison de sa politique de non alignement systématique sur les positions américaines depuis le général de Gaulle, le vent a désormais tourné. Nicolas Sarkozy acte le retour de la France dans la structure militaire intégrée de l’OTAN. François Hollande rompt unilatéralement le contrat de vente de deux porte-hélicoptères Mistral français commandés en 2010 par la Russie. Avec le Mozart de la diplomatie, la relation bilatérale franco-russe ne cesse de se détériorer. Emmanuel Macron souffle alternativement le chaud et le froid sans prendre conscience des inconvénients de sa diplomatie du en même temps. Il reçoit Vladimir Poutine à Versailles, à Brégançon et lui rend visite à Moscou peu de temps avant le déclenchement de « l’opération militaire spéciale » russe en Ukraine. Mais, il ne peut s’empêcher de multiplier inutilement et régulièrement les propos publics désobligeants à l’encontre du maître du Kremlin. Ceux que la diplomatie à l’ancienne conseille vivement de réserver aux contacts privés afin de pouvoir les démentir, le cas échéant. Froissé, le Vladimir Poutine tient à distance respectable le président français, pour ne pas dire qu’il le considère comme quantité négligeable. Désormais, la France ne peut donc plus jour son rôle de puissance d’équilibre que lui ravit l’Allemagne. La situation est parfaitement résumée par l’ancien ministre des Affaires étrangères, adepte de la Realpolitik, Hubert Védrine (dans un entretien au Quotidien Marianne) lorsqu’il déclare (au sujet de Vladimir Poutine) : « Nous ne comptons plus assez pour l’impressionner ». Mais au-delà de la personne d’Emmanuel Macron, c’est la diplomatie française humiliée qui en subit les conséquences négatives.
UNION EUROPÉENNE : LES CAMOUFLETS D’UVL
Après vingt-cinq ans de négociations, l’accord favorisant le libre-échange conclu entre l’Union européenne (la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen) et les États membres du Mercosur, le 6 décembre 2024 à Montevideo – en dépit de l’opposition de la France -, constitue un énième revers essuyé par le Président de la République à Bruxelles. Parmi d’autres, il vient s’ajouter à celui du refus de la prolongation du mandat du commissaire européen, Thierry Breton et au choix du très effacé Stéphane Séjourné. À la manœuvre de ces différents camouflets, l’on retrouve toujours la présidente d’un organe – n’ayant aucune légitimité démocratique -, à savoir la Commission européenne, l’allemande Ursula von der Leyen. Manifestement, les gesticulations d’Emmanuel Macron ne pèsent guère face aux oukases de la frêle teutonne qui se fait fort de lui rappeler à chaque occasion la situation catastrophique des finances publiques françaises placées sous étroite surveillance de ladite Commission. Jupiter oublie l’épée de Damoclès qui pend au-dessus de sa tête. In fine, ces épisodes traduisent la perte d’influence de la France à Bruxelles. Au siège de cet autre « machin », on pense allemand et on parle anglais, la langue de Molière étant ravalée au rang de langue vernaculaire. Mais sur ce dossier, Emmanuel Macron ne dispose d’aucun levier d’action pour amener à résipiscence la blonde walkyrie tant la situation de la France est précaire et peu enviable. Il est vrai qu’Ursula von der Leyen jubile chaque fois qu’elle peut humilier la « Grande Nation », éprouvant à son endroit de la « Schadenfreude » (joie malsaine).
LE MAÎTRE DE L’INCOHÉRENCE
« Une politique étrangère vaut par la cohérence de son dessein, une diplomatie par l’agilité de ses mouvements » (Gabriel Robin, ambassadeur de France dignitaire, 2004). Si la France jupitérienne a encore une diplomatie (la tactique) – ce qui est loin d’être évident -, elle n’a plus de politique étrangère, à savoir un cap pérenne de long terme (la stratégie). Pire encore, si le chef de l’État tient des paroles fortes sur la scène mondiale, l’écart entre le discours et les actes est patent, contribuant ainsi à discréditer sa personne. À trop faire la leçon aux autres avec une arrogance bien française, à force de les humilier inutilement, Emmanuel Macron doit accepter d’être la victime de leur humiliation ! En plagiant la célèbre anaphore du général de Gaulle lors de son discours à l’Hôtel de ville de Paris le 27 août 1944, l’on pourrait dire à propos de la diplomatie française en 2024 tout en le regrettant amèrement : Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé, Paris humilié.
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
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