USA/Société : Ce que le meurtre du PDG d’UnitedHealthcare révèle du système de santé américain…

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Assassinat de Brian Thompson
© Pennsylvania Department of Corrections, Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Angélique Bouchard

Luigi Mangione, 26 ans, est accusé de meurtre par embuscade du PDG d’UnitedHealthcare, Brian Thompson. Il été inculpé par un grand jury de New York.

Une vidéo de surveillance prise à l’extérieur de l’hôtel Hilton de Midtown Manhattan, montre l’assassin masqué se faufilant derrière Thompson sur le trottoir, vers 6H45, le 4 décembre 2025. Brian Thompson se rendait à une conférence d’actionnaires sur le lieu de l’incident, qui devait commencer plus tard dans la matinée, lorsque Magione a ouvert le feu par derrière.

La police a suivi ses déplacements dans toute la ville de New-York, jusqu’à une gare routière, d’où il est parti environ une heure après le meurtre. Les images de vidéosurveillance ont largement circulé en ligne et Mangione a été arrêté dans un McDonald’s d’Altoona, en Pennsylvanie, lundi 9 décembre.

« Une fusillade éhontée, ciblée et préméditée »

Thompson, âgé de 50 ans, a travaillé chez UnitedHealth pendant plus de 20 ans et était basé au siège de l’entreprise, à Minnetonka, dans le Minnesota. Il a été nommé PDG d’UnitedHealthcare en avril 2021. La victime a rejoint le groupe en 2004 et a occupé divers postes de direction au cours de sa carrière.

Thompson a été le directeur financier de plusieurs branches de l’entreprise, notamment celle des « divisions employeurs et particuliers », « communautés et État » et « Medicare et retraite ». Il a également été le contrôleur financier pour les activités « employeurs et individuelles » et celui du développement de l’entreprise.

UnitedHealthcare est une entité du groupe UnitedHealth. Un rapport de l’American Medical Association (AMA) de 2023, a révélé qu’UnitedHealthGroup était le plus grand assureur santé américain en termes de parts de marché, avec 14% du marché de l’assurance santé aux États-Unis.

Brian Thompson laisse derrière lui son épouse Paulette, « Pauley », 51 ans et leurs deux enfants. Ils vivaient ensemble dans la maison familiale de 1,5 million de dollars à Maple Grove, dans le Minnesota, selon le Daily Mail.

L’épouse du défunt a déclaré à NBC News, lors d’une interview, qu’il « y avait eu des menaces. Que certaines personnes l’avaient menacé ». Elle a ajouté que la police avait indiqué « qu’il s’agissait d’une attaque planifiée ». (Source :https://www.nbcnews.com/news/us-news/suspect-ceos-killing-was-not-insured-unitedhealthcare-company-says-rcna184069)

Mangione fait désormais face à une accusation principale de meurtre au premier degré, à deux chefs d’accusation de meurtre au deuxième degré, à sept chefs d’accusation de possession criminelle d’une arme et d’un instrument contrefait.

Le procureur de district de Manhattan, Alvin Bragg, a qualifié le meurtre de « fusillade éhontée, ciblée et préméditée ». Une vidéo de surveillance montre en effet l’embuscade qui s’apparente à celle d’un assassinat froid et prémédité.  Un homme masqué surgit sur le trottoir, derrière Thompson et ouvre le feu, le touchant dans le dos.

Pour le procureur Bragg, « il s’agit d’un meurtre destiné à susciter la terreur ». Les autorités affirment que le suspect a laissé tomber un téléphone jetable sur les lieux et qu’elles ont trouvé des empreintes digitales sur d’autres objets. Elles ont également rapporté avoir trouvé une correspondance balistique entre l’arme de Mangione et les balles qui ont tué Thompson. Selon la police, des pièces de l’arme présumée du crime ont été imprimées en 3D, notamment le récepteur et un silencieux. Trois douilles de balles de 9 mn, retrouvées sur les lieux, contenaient les mots « défendre », « déposer » et « nier ».

Mangione est accusé de s’être faufilé derrière Thompson devant un hôtel Hilton de Manhattan, alors que la victime, qui vivait dans le Minnesota, se rendait à une réunion d’actionnaires, très tôt, dans la matinée du 4 décembre. Le suspect a été arrêté à Altoona, en Pennsylvanie, le lundi 9 décembre, dans un McDonald’s, après que plusieurs personnes l’aient reconnu grâce à la diffusion d’une affiche de recherche. 

Magione est détenu sans caution en Pennsylvanie pour une série d’accusations. Son avocat a déclaré à un juge que son client envisageait de contester son extradition vers New-York, ce qui retarderait le jugement de son affaire de meurtre au deuxième degré dans cet État.

Luigi Mangione se considère comme « un héros populaire »

Mangione, major de sa promotion dans une école préparatoire et ancien élève de l’Université de Pennsylvanie, est issu d’une riche famille du Maryland. Il a récemment vécu en Californie et à Hawaï et a obtenu son diplôme de major de la Gilman School, un lycée privé réservé aux garçons de Baltimore, en 2016. Il a ensuite obtenu sa licence et sa maîtrise en informatique à l’Université de Pennsylvanie en 2020.

Son arrestation et son profil ont affolé la « toile ».

De nombreux commentateurs ont dressé un parallèle entre son profil et celui du tueur Unabomber, Ted Kaczynski, qui avait lui, envoyé un message très puissant à l’industrie technologique américaine en expliquant « comment elle détruirait le pays ».

Le cas Kaczynski, rappelons-nous, a été l’une des affaires les plus médiatisées d’Amérique. L’Unabomber, abréviation du FBI, pour le « kamikaze universitaire et aérien », avait envoyé 16 bombes, sur une période de 20 ans, dont l’une avait explosé dans un avion en haute altitude.

De plus, Kaczynski fabriquait ses propres armes. Mangione semble avoir lui aussi, recouru à des pièces artisanales imprimées en 3D. La police l’a décrit comme un « pistolet fantôme » avec un récepteur et un silencieux en plastique.

A l’instar de Mangione, Kaczynski était un ancien étudiant de l’Ivy League, diplômé de Harvard et mathématicien. Unabomber a tué 3 personnes et en a blessé 23 autres entre 1978 et 1995 avec une série de bombes envoyées essentiellement par courrier à ses victimes.

Kaczynski s’est suicidé en prison l’année dernière après avoir refusé de suivre un traitement contre le cancer. Il purgeait une peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle après que son frère eu lu son manifeste, soumis anonymement au Washington Post en 1995 et l’eut dénoncé.

Selon certaines informations, Mangione aurait rédigé lui-même un manifeste manuscrit lors de son arrestation par la police d’Altoona, en Pennsylvanie. Dans ce manifeste, il aurait mentionné UnitedHealthcare et la conférence des actionnaires, à laquelle se rendait Thompson, au moment de l’assassinat.

Tous deux étaient obsédés par « l’industrie » qu’ils voulaient ruiner symboliquement par homicides filmés ou médiatisés. Mangione était un contributeur périodique sur Goodreads, un réseau social à vocation littéraire, où il a écrit une critique du manifeste de Kaczynski :

« Il est facile de considérer rapidement et sans réfléchir ce livre comme le manifeste d’un fou, afin d’éviter d’affronter certains problèmes gênants qu’il identifie (…) Mais, il est tout simplement impossible d’ignorer à quel point nombre de ses prédictions sur la société moderne se sont révélées prémonitoires ».

A propos de « la société industrielle et de son avenir », telle que citée dans le manifeste par Kaczynski, il a mentionné une autre « prise de position en ligne qu’il a trouvée intéressante » :

« Quand toutes les autres formes de communication échouent, la violence est nécessaire pour survivre. Vous n’aimerez peut-être pas ses méthodes, mais si l’on considère les choses de son point de vue, ce n’est pas du terrorisme, c’est de la guerre et de la révolution ».

Mangione fait également l’éloge du loup solitaire et du poseur de bombes en série, le qualifiant de « prodige des mathématiques » :

« C’était un individu violent- emprisonné à juste titre- qui a mutilé des innocents (…) Bien que ces actes soient généralement décrits comme ceux d’un Luddite fou (sic), ils sont plus précisément considérés comme ceux d’un révolutionnaire politique extrémiste » (Source : Suspected UnitedHealthcare CEO assassin draws Unabomber comparisons, par Michael Ruiz, Fox News, 14 décembre 2024).

La théorie du loup solitaire a été vérifiée dans le cas des deux criminels avant leur passage à l’acte : Kaczynski s’était installé dans une cabane isolée, sans électricité, ni eau courante, fuyant la société technologique qu’il détestait. De son côté Mangione, avait fermé l’adresse électronique professionnelle où sa mère pensait le contacter. Cette dernière avait d’ailleurs signalé sa disparition à la police de San Francisco le mois dernier, se désespérant de n’avoir plus aucun contact avec son fils depuis juillet 2024.

Autre enjeu de l’affaire : Mangione est devenu un héros populaire, particulièrement chez les femmes.

Ce qui est le plus surprenant, ce n’est pas parce Mangione a affolé la toile en raison de sa beauté et de sa musculature. Le combat de Mangione est contre les énormes abus de la société de soins de santé, en particulier dans laquelle tant d’Américains se voient opposés des refus de procédures qui avaient été pourtant garanties lors de la signature de leurs contrats de santé.

« L’Amérique traverse actuellement une période de montée du sentiment populiste, une période de colère contre les élites »

Cette assertion du professeur Nicholas Creel, professeur associé de droit des affaires et d’éthique à la Georgia College &State University, pourrait expliquer pourquoi il n’est pas surprenant de voir autant d’Américains s’identifier davantage au criminel qu’à la victime dans cette affaire. Cette colère est particulièrement dirigée contre les dirigeants d’entreprise.

Le PDG d’une compagnie d’assurance maladie est peut-être le sommet de l’élite riche, blanche américaine, que beaucoup considèrent comme être à la source de leurs problèmes financiers.

Creel a ajouté que la rhétorique des soutiens de Mangione peut avoir un effet délétère sur la sécurité des dirigeants d’entreprises fortunées aux États-Unis, leur plaçant une cible dans le dos ». C’est pourquoi, tant de compagnies d’assurance maladie ont immédiatement supprimé les informations permettant l’identification de leurs équipes de direction pour éviter une reproduction du mode opératoire de Luigi Mangione. (Source : UnitedHealthcare CEO murder : Ivy League grad suspect spawns movement fueled by anti-capitalist sentiment, par Audrey Conklin, Fox News, 12 décembre 2024).

En effet, les coûts de l’assurance maladie dépassent de loin l’inflation, laissant plus de consommateurs en situation de décrochage chaque année, pour des milliers de dollars de dépense à la charge des patients. Dans le même temps, certains assureurs rejettent près d’une réclamation sur cinq.

L’affaire Mangione a conduit, la semaine dernière, le groupe Anthem Blue Cross Blue Shield à revoir sa décision de limiter la couverture des actes d’anesthésie pendant les interventions chirurgicales.

De fait, la première cause de faillite des ménages américains est la dette liée aux soins de santé, soulignant les tensions financières qui peuvent découler des coûts médicaux élevés.

En 2024, la couverture moyenne pour une assurance maladie par foyer américain représentent une charge annuelle de 25 572 dollars, tandis que les travailleurs célibataires paient en moyenne 8 951 dollars, ce qui représente une augmentation de 6 % et 7 % par rapport à l’année précédente.

Depuis 2000, l’augmentation des primes d’assurance maladie dépassent régulièrement le taux d’inflation. Environ 81 % des Américains l’année dernière ont déclaré qu’ils étaient mécontents du coût des soins de santé aux États-Unis, relate un sondage Gallup. (Source : https://www.cbsnews.com/news/health-insurance-costs-inflation-denials-luigi-mangione-united-healthcare/).

Outre l’augmentation des coûts d’assurance maladie, les Américains expriment également de la colère face aux refus de couverture.

Les taux de réponse négatives varient considérablement d’un assureur à l’autre, certains étant aussi faibles que 2 % tandis que d’autres avoisinent les 49 %. Certaines compagnies recourent également à l’IA pour examiner les sinistres et émettre des refus, ce qui n’est pas toujours évident pour les consommateurs.

Le passage à des avis basés sur l’IA a déclenché des procès contre les assureurs.

UnitedHealthcare a été poursuivie l’an dernier, par les familles de deux clients aujourd’hui décédés, qui ont prétendu que l’assureur avait sciemment utilisé un algorithme défectueux pour refuser aux patients âgés la couverture des soins prolongés jugés nécessaires par leurs médecins.

Avec les outils d’IA du côté de l’assurance, les patients ne disposent pas des outils pour se battre et contester les procédures parfois aussi longues que coûteuses.

« La seule chance viable de succès pour Luigi Mangione est la ligne de défense psychiatrique »

En vertu de la loi de l’État New-York, les accusations de meurtre au premier degré sont réservées à des circonstances particulières, comme le meurtre d’un policier ou si le crime implique des actes de tortures. Le meurtre au deuxième degré est l’accusation de meurtre intentionnel entraîne toujours une peine de prison à vie.

L’avocat new-yorkais, Daniel Gotlin, célèbre, pour avoir mené avec succès une défense en matière de santé mentale, d’un homme accusé d’avoir poignardé mortellement sa mère en 2014, exprime que seule « une ligne de défense psychiatrique » permettrait à Mangione d’écoper d’une peine de 8 à 24 ans, mais de « sortir », s’il était condamné pour un homicide involontaire au lieu d’un meurtre.

Toutefois, le niveau de planification qui semble avoir présidé au meurtre pourrait rendre difficile une ligne de défense axée sur la folie. Mangione s’est enfui avec une fausse pièce d’identité, un silencieux sur son arme.

Les experts affirment qu’il est trop tôt pour spéculer sur une éventuelle défense ou un accord de plaidoyer. Toutefois, l’avocat Daniel Golin du cabinet Gotlin&Jaffe, voit un « gamin qui a clairement rompu avec la réalité (..) Il est concevable qu’il ait développé une schizophrénie ou un autre trouble psychiatrique au cours des dernières années et qu’il soit complètement délirant ». (Source : UnitedHealthcare CEO murder suspect could see most serious charge downgraded : defense attorney, par Michael Ruiz et Audrey Conklin, Fox News, le 18 décembre 2024).

Selon l’Institut national de la santé mentale, la plupart des cas de schizophrénie aux États-Unis sont diagnostiqués entre 16 et 30 ans, bien que les hommes développent généralement la maladie dans la première moitié de cette tranche d’âge.

De son côté, le président élu Donald Trump s’est prononcé lundi 16 décembre sur le meurtre de « type assassinat » d’un dirigeant d’une compagnie d’assurance santé, qualifiant de « maladie », le soutien massif sur le net du meurtre de Brian Thompson   :

« Comment les gens peuvent aimer ce type ? C’est vraiment une maladie. Je pense que c’est vraiment terrible que certaines personnes puissent l’admirer, l’apprécier. C’est un meurtre de sang-froid, un meurtre horrible, de sang-froid » a déclaré le président lors d’un point presse, tout juste une semaine après l’arrestation de Luigi Mangione.

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