Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.
Washington et Pékin se retrouvent une fois de plus face à face, cette fois-ci avec le canal de Panama au cœur du duel géopolitique. Les récentes déclarations de Marco Rubio, nommé secrétaire d’État par le président élu Donald Trump, lors d’une audition au Sénat, ont ravivé les projecteurs sur l’une des routes maritimes les plus stratégiques de la planète. Pour Rubio, les installations portuaires chinoises situées aux deux extrémités du canal représentent une menace directe pour la sécurité des États-Unis et la souveraineté panaméenne.
Une accusation qui ne tombe pas du ciel. La présence économique et stratégique croissante de la Chine en Amérique latine inquiète Washington depuis longtemps, de plus en plus attentif à contrer l’expansion de Pékin dans sa propre arrière-cour. Mais Rubio ne se limite pas à dénoncer. Il relance la vision de Trump : les États-Unis doivent reprendre le contrôle du canal de Panama, y compris en recourant à des mesures drastiques, qu’elles soient militaires ou économiques.
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La main chinoise sur Balboa et Cristóbal
Les accusations portées par Rubio reposent sur un fait indéniable : des entreprises chinoises contrôlent les infrastructures portuaires de Balboa et Cristóbal, situées respectivement aux entrées du canal sur le Pacifique et l’Atlantique. Pour Rubio, ces infrastructures pourraient, en cas de crise, devenir des outils de pression géopolitique aux mains de Pékin. Il ne s’agit pas d’une simple spéculation : le lien entre l’État chinois et ses entreprises, en particulier dans les secteurs stratégiques, est bien connu. “Si la Chine ordonne à ses entreprises de fermer ou de bloquer le transit, elles le feront”, a déclaré Rubio sans détour.
L’hypothèse d’un blocage chinois du trafic maritime, surtout militaire, par le biais du canal est une perspective qui inquiète non seulement Washington, mais aussi d’autres acteurs mondiaux. Le canal de Panama n’est pas qu’une simple voie d’eau : c’est une artère vitale pour le commerce mondial, une charnière reliant deux océans et dont dépendent les économies de tous les continents.
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Panama, entre souveraineté et dépendance
Tout aussi intéressante est la position du gouvernement panaméen. Officiellement, Panama réaffirme avec fermeté que le contrôle du canal restera entre ses mains. Cependant, la réalité est plus complexe. Les négociations en cours pour le renouvellement des contrats de location des ports avec les entreprises chinoises soulèvent des doutes sur la véritable autonomie du pays d’Amérique centrale. Jusqu’où Panama peut-il aller pour s’opposer à l’influence économique et politique croissante de la Chine ?
Cette dynamique met en évidence un problème plus vaste : la Chine ne cherche pas à conquérir des territoires, mais à façonner le monde selon ses intérêts à travers des investissements, des infrastructures et le commerce. En Amérique latine, l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie a trouvé un terrain fertile, avec Pékin finançant des ports, des routes et des centrales énergétiques en échange d’alliances stratégiques et d’influence politique.
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Une question d’équilibres mondiaux
Les préoccupations de Rubio, bien que exprimées avec des termes marqués, reflètent une réalité indéniable : le canal de Panama est l’un des nombreux points où se joue la compétition mondiale entre les États-Unis et la Chine. Pour Washington, perdre du terrain en Amérique latine ne signifie pas seulement subir une humiliation politique, mais aussi mettre en péril la sécurité de ses lignes commerciales et militaires.
D’un autre côté, Pékin ne peut être accusé de violer les règles du jeu. Ses entreprises opèrent légalement, profitant des opportunités économiques que d’autres, y compris les États-Unis, ont laissées sur la table. C’est une compétition, certes, mais jouée selon les règles que le système occidental lui-même a créées.
En conclusion, les propos de Rubio sont un avertissement qui ne doit pas être ignoré. Le canal de Panama n’est pas seulement une infrastructure stratégique, mais le symbole d’une bataille plus grande : celle pour la définition des équilibres mondiaux au XXIe siècle. Face à l’assurance croissante de la Chine, les États-Unis doivent choisir s’ils réagiront et comment. Mais une question demeure : combien de cette compétition profite réellement au monde ?
Le risque est que le canal de Panama, au lieu d’être un pont entre océans et peuples, devienne un énième théâtre d’une guerre froide jamais réellement terminée.
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Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/
avec l’Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l’Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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