Et si la Chine voyait d’un très mauvais œil le rapprochement russo-coréen…

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Réalisation Le Lab Le Diplo

L’Édito de Roland Lombardi

Si le renforcement des relations entre Moscou et Pyongyang fait actuellement la une des médias occidentaux mais au prisme de la guerre en Ukraine (soldats coréens présents dans le conflit à Koursk), la plupart des observateurs occidentaux, obnubilés par le théâtre d’opération ukrainien, semblent oublier que le rapprochement entre Russes et Coréens n’en demeure pas moins un sujet majeur de préoccupation pour Pékin. De prime abord, l’intérêt partagé de Moscou et de Pékin pour fragiliser l’influence américaine incite ces deux grandes puissances à afficher un semblant de convergence, notamment sur la scène internationale et au sein des BRICS. Toutefois, l’actuel rapprochement entre la Russie et la Corée du Nord vient réveiller des rivalités historiques profondément ancrées dans la région, tout en faisant peser le spectre d’un réalignement géopolitique mondial – surtout avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche qui va encore, comme en 2016, bouleverser tous les scénarios prévus jusqu’ici…

Pékin, parrain de Pyongyang, craint une mainmise russe

Depuis la Guerre froide, la Chine s’est érigée en protectrice de facto de la Corée du Nord. Pékin voit en Pyongyang un tampon stratégique contre la Corée du Sud, alliée aux États-Unis, et plus largement un outil de déstabilisation potentielle du Japon, autre pilier américain en Asie orientale. Toute tentative de la Russie visant à s’immiscer davantage dans les affaires nord-coréennes et, surtout, à en tirer des bénéfices stratégiques concrets, est donc de nature à inquiéter Pékin.

Du point de vue de Pékin, il ne s’agit pas seulement d’éviter qu’un partenaire de longue date ne se tourne vers un autre parrain — c’est aussi empêcher le Kremlin de s’emparer d’un levier géopolitique utilisé depuis des décennies par la Chine. Dans le contexte du conflit en Ukraine, la Russie cherche désespérément des alliances et des soutiens internationaux, et voit dans la Corée du Nord un pourvoyeur potentiel de main-d’œuvre, de matériel militaire ou de simple appui diplomatique mais aussi… un éventuel allié de revers de 25 millions d’habitants (comme avec l’Inde d’ailleurs) face à la Chine !

Les rivalités historiques sino-coréennes

Les relations sino-coréennes, malgré leur proximité culturelle et historique, ont connu d’importantes phases de tensions. La Péninsule coréenne a longtemps été considérée par les dynasties impériales chinoises comme faisant partie de leur sphère d’influence naturelle. Pourtant, l’identité coréenne s’est forgée en grande partie en réaction à la tutelle – réelle ou ressentie – de la Chine sur la région.

Il existe en Corée du Nord un sentiment nationaliste (certes canalisé par le régime, mais bien présent) qui n’apprécie guère d’être considéré comme le simple satellite de Pékin. Dans ce cadre, les propositions russes, qu’elles soient économiques ou sécuritaires, offrent à Pyongyang une marge de manœuvre pour s’affirmer sur la scène internationale, y compris vis-à-vis de son voisin chinois.

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Derrière l’« amitié » sino-russe, une méfiance structurelle et historique

Les récents discours officiels exaltant une « amitié sans limites » entre Pékin et Moscou sont en réalité trompeurs. Les observateurs avertis n’ont pas oublié l’histoire tumultueuse des relations entre l’Empire des Tsars et l’Empire du Milieu, et plus récemment des relations sino-soviétiques, marquées notamment par le conflit frontalier de 1969 sur l’Oussouri. Au-delà de l’idéologie, la tension portait déjà sur la délimitation de territoires riches en ressources naturelles. C’est d’ailleurs celle-ci qui avait offert une opportunité à la réalisation du coup géopolitique génial d’Henry Kissinger, Secrétaire d’État du président Nixon, d’enfoncer un coin dans l’alliance entre l’URSS de Brejnev et la République populaire de Chine de Mao. Kissinger qui en a fait sa stratégie majeure pour le maintien de l’hégémonie mondiale américaine : « Toujours séparer et diviser Pékin de Moscou ! »

Depuis la nuit des temps, la Chine jette un œil intéressé sur la Sibérie orientale, région immense et dotée de gisements de gaz, de pétrole, de terres rares et de forêts qui attisent les convoitises. La Russie, elle, est consciente de la fragilité de son contrôle sur ces territoires peu peuplés et déjà menacés depuis plusieurs années par une immigration chinoise croissante… En conséquence, malgré la coopération nécessaire ces dernières années, et guerre en Ukraine oblige, face à l’Occident, Pékin et Moscou, qui craint plus que jamais un partenariat sino-russe sans limites toujours plus asymétrique en faveur de la Chine et au final une vassalisation de fait et croissante vis-à-vis des Chinois, se regardent en chiens de faïence, toujours sur la défensive…

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Le retour de Trump : Un bouleversement des alliances ?

Sur la scène américaine, le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, et la véritable Révolution interne mais également internationale qu’il est en train d’entreprendre, va rebattre les cartes. À maintes reprises, l’ancien président a affiché son désir de normaliser – voire d’améliorer – les relations avec Moscou, dans la mesure où la seule puissance réellement menaçante à ses yeux demeure la Chine.

Si Washington parvenait à extirper d’une manière ou d’une autre la Russie des griffes chinoises et à la rallier dans un cadre d’une coopération, même superficielle, pour « contenir » Pékin, les répercussions géostratégiques seraient considérables. C’est exactement ce que Trump veut réaliser avec l’Inde de Narendra Modi, l’un des premiers dirigeants du monde à féliciter son « ami » Donald quelques heures après « sa victoire historique » en novembre !

L’Europe, déjà fragilisée par les dilemmes sécuritaires liés à la guerre en Ukraine, se retrouverait elle devant un dilemme complexe. On le voit déjà avec certains dirigeants progressistes européens qui haïssent Trump et sont à présent comme des lapins tétanisés de peur dans des phares de voiture ! Ce qui est consternant c’est que leur seule et unique alternative semble être un choix entre Trump et la Chine ! Pire, d’autres ont déjà choisi, comme l’ancien eurodéputé et Premier ministre italien, Enrico Letta, qui vient de déclarer : « Face à Donald Trump, nous devons être prêts à nous rapprocher de Pékin » ! Pitoyable !

Alors que tous les géopolitologues sérieux (notamment américains et chinois) le savent pertinemment : Une Europe des Nations (pas l’Union européenne d’aujourd’hui ectoplasmique, divisée et moribonde) alliée voire simplement partenaire avec la Russie ferait trembler à la fois Washington et Pékin ! Malheureusement, scénario de pure science-fiction pour un long moment encore…

Quant à la Chine, déjà fort inquiète du retour de Trump, qui remet grandement en cause l’avènement du Siècle chinois confirmé depuis 2021 et qui se serait inéluctablement concrétisé à terme si Harris avait gagné l’élection de novembre dernier, elle verrait alors se réaliser son autre cauchemar majeur : la perte d’un allié/ « vassal » conjoncturel (Moscou) et l’isolement face au premier bloc militaire et économique mondial.

Ce scénario de renversement des alliances n’est certes pas garanti. Il dépend de facteurs multiples : la capacité de la Russie à rebondir économiquement, la fermeté ou non de Pékin à l’égard de la Corée du Nord, et, bien sûr, le paysage politique américain à l’avenir. Sur ce point, Poutine comme d’autres dirigeants du monde d’ailleurs, comme par exemple les Arabes, font déjà l’analyse suivante : Trump leur offre une potentielle opportunité pour éventuellement se défaire d’une influence croissante, trop prégnante et dominatrice de Pékin et surtout, si Trump parvient en 4 ans à réaliser tous ses objectifs, il sera auréolé d’une popularité consolidée et indéniable. Et même s’il ne peut pas se représenter en 2028 (sauf en cas d’un scénario à la Roosevelt peu probable), c’est le dauphin politique qu’il aura choisi, quel qu’il soit, (sa fille, son fils, Vance ou Musk) et sa politique réaliste qui a de fortes chances de se maintenir à Washington et qu’il faudra donc encore compter avec la puissance américaine revigorée au moins jusqu’en 2032 voire 2036 !

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Quoi qu’il en soit, n’oublions jamais que l’histoire nous apprend que ce qui peut paraître impensable et impossible un jour peut tout à fait devenir réalisable le lendemain…

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Le rapprochement entre la Russie et la Corée du Nord, bien qu’encore balbutiant mais se renforçant, illustre les jeux d’équilibre qui se tissent entre les trois puissances que sont Moscou, Pékin et Washington. Pour la Chine, qui considère la péninsule coréenne comme un espace vital de sa stratégie régionale, le pire serait de voir Pyongyang échapper à son influence et renforcer celle, déjà croissante, de la Russie. Cette peur se combine à la méfiance historique entre Pékin et Moscou, dont l’amitié affichée n’est qu’une réponse tactique et pragmatique à la pression exercée par l’Occident.

Le retour de Donald Trump au pouvoir, véritable météore dans le système mondial, ajoute une variable supplémentaire dans l’équation. Washington, avec son nouveau président et dans l’optique d’une politique de « realpolitik », pourrait envisager de faire de la Russie mais également de l’Inde (l’autre grand rival historique de l’Empire du milieu) des partenaires de circonstance pour contenir la Chine et par la même occasion, pourquoi pas, faire éclater les BRICS+ ou cerise sur le gâteau, reprendre langue avec la Corée du Nord comme il l’avait fait à la surprise générale lors de son premier mandat ! Si ce bouleversement venait à se concrétiser, il marquerait un tournant stratégique majeur et, sans doute, une accélération de la rivalité sino-américaine, avec la Russie et l’Inde en arbitres opportunistes.

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