ANALYSE – Macron reçoit Haftar à Paris : Analyse d’une rencontre entre géopolitique et intérêts

Shares
Rôle de la France en Libye
RéalisationLe Lab Le Diplo

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). 

La France est un acteur clé du dossier libyen depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. À l’époque, le président Nicolas Sarkozy fut l’un des principaux artisans de l’intervention de l’OTAN qui renversa le régime de Kadhafi, ouvrant toutefois la voie à une décennie de chaos. Après la révolution, la Libye s’est fragmentée : depuis 2014, deux factions principales se sont imposées, avec Tripoli sous le contrôle du Gouvernement d’accord national (reconnu par l’ONU) et la Cyrénaïque aux mains du général Khalifa Haftar, appuyé par un parlement parallèle à Tobrouk. 

Contexte historique et géopolitique

Paris a maintenu une présence constante mais ambiguë : officiellement, elle soutient les médiations de l’ONU et a joué les médiatrices en accueillant des sommets entre leaders libyens (le sommet de La Celle-Saint-Cloud en juillet 2017, voulu par Emmanuel Macron, reste emblématique). Pourtant, la France est souvent accusée de jouer sur deux tableaux, soutenant secrètement Haftar tout en affirmant son appui au gouvernement de Tripoli. Il est significatif que Haftar ait été soigné en France en avril 2018 ou que Paris ait admis lui fournir des renseignements, le considérant comme un allié contre le terrorisme. Dans la guerre civile, Haftar s’est en effet présenté comme un rempart anti-djihadiste, gagnant les faveurs françaises, notamment pour ses opérations dans le Fezzan contre des groupes extrémistes et des rebelles tchadiens, dangereux également pour les intérêts français au Sahel.

De son côté, l’Italie – ancienne puissance coloniale en Libye – a traditionnellement soutenu les autorités de Tripoli, cherchant à préserver l’unité du pays. Rome, liée à Tripoli par les forts intérêts d’ENI dans le secteur pétrolier, a vu d’un mauvais œil les initiatives françaises. Dès 2017-2018, l’exclusivité diplomatique de Macron avait irrité le gouvernement italien, qui accusait Paris de vouloir piloter seule le processus libyen. Cette rivalité est aussi économique : Total contre ENI, l’Italie craignant que le géant pétrolier français ne prenne le dessus sur les gisements libyens au détriment de sa compagnie. Total a d’ailleurs accru sa présence en Libye (par exemple en acquérant en 2018 des parts dans des gisements de l’Est), alimentant cette compétition. Comme l’écrivait Panorama, la guerre en Libye était aussi une « guerre entre l’Italie et la France » pour le pétrole. Sur le terrain, les blocs internationaux se dessinaient : l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite (et officieusement la France) soutenaient Haftar, tandis que la Turquie et le Qatar appuyaient le gouvernement de Tripoli. La Russie, en quête d’influence en Méditerranée, a progressivement épaulé Haftar, tant sur le plan politique qu’avec des livraisons d’armes et des mercenaires. Depuis 2018, Moscou a déployé le groupe Wagner sur le terrain, envoyant des centaines de contractuels, des armes avancées et même des avions de combat pour soutenir l’Armée nationale libyenne (LNA) de Haftar. Les États-Unis, initialement alignés sur le gouvernement reconnu, ont envoyé des signaux contradictoires sous l’administration Trump : en avril 2019, Trump appela Haftar, saluant son « rôle significatif dans la lutte contre le terrorisme et la protection des ressources pétrolières libyennes », une démarche qui fractura le front occidental et sembla donner un feu vert à l’offensive du général sur Tripoli. Cependant, cette offensive, lancée en avril 2019 pour conquérir la capitale, fut stoppée en juin 2020 grâce à l’intervention décisive de la Turquie aux côtés de Tripoli. La guerre s’acheva sur un statu quo : Haftar recula de l’Ouest, tandis que la Libye restait divisée entre un Gouvernement d’unité nationale (GNU) basé à Tripoli et dominé par les factions occidentales, et une administration parallèle à l’Est liée à Haftar.

Ces dernières années, la France a joué un rôle controversé. D’un côté, elle proclamait son soutien à la paix et à une Libye unie ; de l’autre, faits et rumeurs la montraient alignée sur Haftar. En 2016, trois militaires français périrent dans un accident d’hélicoptère en Cyrénaïque lors d’une mission secrète aux côtés des forces de Haftar. En 2019, après le retrait des troupes de Haftar de Gharyan, des missiles antichars Javelin fournis par la France furent découverts dans une base de la LNA, forçant Paris à reconnaître cette situation embarrassante. Ces épisodes ont nourri l’idée d’une double politique française : officiellement médiatrice, officieusement soutien de l’« homme fort » de Benghazi.  Ce long préambule historique explique pourquoi la rencontre du 26 février 2025 à l’Élysée entre Macron et Haftar revêt une signification particulière : c’est le dernier chapitre d’un engagement français oscillant entre diplomatie et interventionnisme, dans une Libye toujours instable et disputée par plusieurs puissances.

Motivations françaises

Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il choisi d’inviter Khalifa Haftar à Paris à ce moment précis ? Les motivations françaises s’inscrivent dans une combinaison d’intérêts stratégiques, économiques et sécuritaires. Tout d’abord, Paris cherche à protéger ses intérêts énergétiques en Libye. Le pays nord-africain détient les plus grandes réserves pétrolières d’Afrique et d’importantes ressources gazières. La compagnie française TotalEnergies est déjà implantée en Libye (par exemple dans le consortium Waha et des concessions offshore), mais doit rivaliser avec l’italienne ENI, dominante surtout à l’Ouest. Macron sait que Haftar contrôle la plupart des gisements de l’Est et ambitionne d’étendre son influence sur ceux du Sud (comme Sharara et El Feel). Maintenir un canal direct avec le général signifie pour la France ne pas être exclue de l’accès au pétrole libyen en cas de partition de facto du pays. Rome craint depuis longtemps que Total ne supplante ENI comme acteur dominant en Libye, et en recevant Haftar, Macron signale que Paris entend jouer un rôle de premier plan dans cette compétition énergétique.

Ensuite, il y a des intérêts sécuritaires et géopolitiques liés au rôle de la France en Méditerranée et au Sahel. La Libye est à la fois une porte d’entrée vers l’Europe pour les flux migratoires et une arrière-base dans la lutte contre le djihadisme sahélien. Pendant des années, la France a dirigé des opérations militaires au Sahel (opération Barkhane) contre les groupes terroristes, s’appuyant aussi sur des pays comme le Tchad et le Niger. Haftar, en contrôlant la Cyrénaïque et des parties du Fezzan, s’est imposé comme un interlocuteur valable sur ces fronts. Macron mise sur lui pour stabiliser le Sud libyen, afin d’éviter que ces zones ne deviennent un sanctuaire pour les milices djihadistes ou les trafiquants. En 2019, Haftar lança une offensive dans le Fezzan, chassant des oasis méridionales les rebelles tchadiens hostiles au président Idriss Déby – un allié de Paris. Cela arrangea la France, qui vit éliminée une menace pour le régime ami de N’Djamena. Aujourd’hui, la situation au Sahel s’est dégradée pour Paris (après les coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger qui ont marginalisé sa présence), et avoir Haftar comme partenaire en Libye peut être un atout pour continuer à surveiller et frapper les groupes terroristes, par exemple via des drones ou des renseignements locaux. À cet égard, la base d’Al Wigh, un avant-poste isolé dans le désert libyen méridional, est un enjeu clé. Des sources libyennes indiquent que cette base est utilisée depuis longtemps par les forces françaises pour des opérations secrètes avec des drones au Sahel. Avec l’érosion de la présence militaire française dans les pays voisins, Macron pourrait vouloir conclure un accord avec Haftar pour maintenir l’accès à Al Wigh comme tête de pont stratégique. En échange, Paris reconnaîtrait de facto le rôle de Haftar dans le contrôle du Fezzan. En d’autres termes, la France cherche à préserver son influence sur son flanc sud grâce à une entente avec l’homme fort de la Cyrénaïque.

Troisième élément : contenir l’influence russe. Depuis 2020, la présence de mercenaires russes du groupe Wagner et d’armements fournis par Moscou a transformé la Libye orientale en une zone d’influence russe à part entière. La guerre en Ukraine et le retrait partiel de certains contractuels Wagner n’a pas éliminé ce poids : des conseillers militaires et mercenaires restent actifs en Cyrénaïque, et récemment Haftar a noué des liens avec la Biélorussie (alliée de Moscou) pour obtenir de l’aide militaire. Cela préoccupe Paris. Macron, atlantiste convaincu, ne peut accepter que la Russie consolide une « base » en Libye, à quelques centaines de kilomètres des côtes européennes. En recevant Haftar à l’Élysée, il a probablement cherché à repositionner la France dans l’équation, pour éviter que le général ne bascule totalement dans l’orbite de Moscou. Autrement dit, l’Élysée tente un calcul pragmatique : mieux vaut dialoguer directement avec Haftar – quitte à irriter Tripoli – que de le laisser exclusivement aux Russes. Cela expliquerait aussi la discrétion de l’entretien : Macron a agi sans tambour ni trompette, peut-être pour sonder Haftar sur ses relations avec Moscou et voir s’il y a une marge pour l’en détacher, au moins partiellement. Paris connaît bien Haftar et ses sponsors : pendant des années, elle lui a fourni un soutien politique et une couverture diplomatique, l’invitant à des conférences internationales et le traitant comme un interlocuteur légitime. Macron l’a déjà accueilli « avec tous les honneurs » malgré les accusations de crimes de guerre, le légitimant comme une pièce incontournable de toute solution. Aujourd’hui comme hier, l’objectif français est de garder un canal privilégié avec quiconque peut garantir stabilité et protection des intérêts français en Libye – et cela mène à Khalifa Haftar.

En résumé, la démarche de Macron répond à plusieurs intérêts : l’énergie (pétrole et gaz libyens), la sécurité (lutte contre le terrorisme et gestion des flux migratoires), et la géopolitique (contenir la Russie et la Turquie, renforcer la sphère d’influence française en Méditerranée et en Afrique subsaharienne). Sans oublier une possible motivation de politique intérieure : Macron veut se tailler un rôle de protagoniste sur la scène internationale, montrant un activisme diplomatique qui redore l’image de la France comme puissance médiatrice. Après avoir subi des revers en Afrique (retraits forcés du Mali et du Niger) et vu l’Italie jouer ses cartes en Tripolitaine, Macron entend prouver que Paris n’est pas hors-jeu en Libye. Recevoir Haftar à l’Élysée, c’est affirmer qu’aucune solution ne peut se passer de l’aval (ou du moins de l’implication) français.

À lire aussi : ANALYSE – Tripoli face aux ambitions rivales : Arrestation de Russes, tensions russo-turques et appel à la souveraineté

Position de Haftar

Du point de vue de Khalifa Haftar, cette visite à Paris est une victoire politique et diplomatique majeure. Le général, souvent présenté comme un « seigneur de guerre » isolé sur la scène internationale, obtient avec cette rencontre à l’Élysée une légitimité inattendue. Voir les portes de l’Élysée s’ouvrir pour lui équivaut presque à une reconnaissance officielle de son poids en Libye : Macron l’a traité en chef d’État, soulignant son « rôle central » dans le processus politique libyen. C’est un message que Haftar pourra exploiter tant en interne qu’à l’externe. Dans les territoires qu’il contrôle (Cyrénaïque et zones du Fezzan), il pourra renforcer son image de leader incontesté, capable de dialoguer à égalité avec les grandes puissances. À ses soutiens et alliés, Haftar peut désormais dire : « Voyez, même la France me soutient et me considère comme indispensable ». Cela accroît son pouvoir de négociation vis-à-vis de Tripoli : il espère peut-être que Paris fasse pression sur le gouvernement Dabaiba ou ses alliés pour accepter un compromis plus favorable à l’establishment de la Cyrénaïque. D’ailleurs, en le louant pour son engagement en faveur de la stabilité, Macron a de fait validé le narratif de Haftar comme garant de la sécurité, ce qui affaiblit ceux qui, à Tripoli, le dépeignent uniquement comme un putschiste.

Haftar cherche aussi des avantages matériels et stratégiques. La France, malgré ses précautions, pourrait lui offrir une assistance sous diverses formes : coopération militaire (formation d’officiers, renseignement antiterroriste) ou accords économiques dans les zones qu’il contrôle. La Cyrénaïque a besoin d’investissements et de partenaires internationaux pour exploiter pleinement son pétrole et se reconstruire après la guerre : s’ouvrir à la France – historiquement bien vue aussi par l’Égypte, sponsor de Haftar – peut apporter des fonds pour les infrastructures et, peut-être, des fournitures militaires indirectes. Haftar espère diversifier ses alliances, évitant de dépendre uniquement du bloc russo-émirati. Ces dernières années, il a tissé des liens étroits avec Moscou (qui lui a envoyé des mercenaires Wagner et des armes) et avec Le Caire et Abou Dhabi (qui le financent et l’équipent), mais il sait qu’il ne peut compter sur eux pour une reconnaissance politique globale. L’appui matériel, c’est une chose ; la légitimation diplomatique, seule l’Occident peut la lui offrir. C’est pourquoi la France lui est précieuse. Paris siège au Conseil de sécurité de l’ONU et pourrait potentiellement soutenir – ou du moins ne pas bloquer – d’éventuelles ambitions politiques de Haftar, comme une candidature à de futures élections présidentielles ou un rôle de premier plan dans un gouvernement de transition. Par le passé, Haftar avait laissé entendre qu’il souhaitait être reconnu comme commandant suprême ou briguer la présidence ; l’étreinte de Macron pourrait être perçue comme un signe que la France ne s’opposerait pas à ces aspirations.

Un contexte clé de cette visite est celui des tensions avec Tripoli et de la paralysie politique persistante en Libye. Depuis l’échec des élections prévues en décembre 2021, le pays est enlisé dans une transition sans fin : Dabaiba reste Premier ministre à Tripoli, mais sa légitimité est contestée, tandis qu’à l’Est, un gouvernement alternatif (désigné par la Chambre des représentants) revendique une reconnaissance. Haftar, bien qu’officiellement soutien du gouvernement parallèle d’Osama Hammad, conserve en réalité le contrôle de la région orientale via son Armée nationale libyenne. Les relations entre Haftar et le camp tripolitain restent glaciales, ponctuées seulement de négociations techniques (comme les réunions de la Commission militaire 5+5) et de rares rencontres entre émissaires. Dans ce climat, le choix de Haftar de se rendre à Paris témoigne de sa volonté de sortir de l’isolement diplomatique imposé par le front pro-Tripoli. C’est presque un message : si Tripoli (et ses sponsors comme l’Italie et la Turquie) refuse de me reconnaître un rôle, je me le fais reconnaître ailleurs, par une grande puissance européenne. Cela pourrait augmenter son levier dans les futures négociations : par exemple, sur des dossiers comme le partage des revenus pétroliers – sujet brûlant en Libye –, Haftar pourra prétendre avoir aussi le soutien français pour exiger une part plus importante des recettes d’exportation, sous peine de saboter la production à l’Est. De même, sur le plan militaire, il pourrait chercher à obtenir de Paris un feu vert tacite pour maintenir ses forces et peut-être les intégrer comme composante légitime de l’armée libyenne unifiée, sans devoir les dissoudre ou les placer sous commandement tripolitain.

Un autre avantage pour Haftar concerne la partie avec la Russie. Peu avant de se rendre à Paris, le général libyen a effectué une importante visite de trois jours en Biélorussie (alliée de Moscou), où il a rencontré le président Alexandre Loukachenko. À cette occasion, Minsk a promis d’aider Haftar « de toutes les manières possibles », des engagements qui concernent probablement des livraisons d’armes ou une coopération technique. C’est un signal clair que Haftar élargit son réseau de soutiens dans l’orbite russe, en utilisant aussi des canaux alternatifs (la Biélorussie) pour contourner l’embargo de l’ONU sur les armes. En allant voir Macron juste après, Haftar envoie un message implicite à Moscou : « Je dialogue avec la France, donc j’ai des cartes à jouer sur plusieurs tableaux ». Cela pourrait lui servir à faire monter les enchères avec le Kremlin, obtenant peut-être un soutien accru en échange de sa « fidélité ». Ou, au contraire, il pourrait s’agir d’une tentative de rééquilibrer ses relations, évitant de dépendre trop des Russes. Haftar est un politique habile à naviguer entre différents sponsors (il a travaillé avec la CIA dans les années 80, puis avec Kadhafi, puis contre Kadhafi, puis avec les Égyptiens, les Russes, etc.). Préserver son autonomie de manœuvre est crucial pour lui : s’il était perçu comme une simple marionnette de Moscou, il risquerait d’être exclu de tout accord parrainé par l’ONU. Mais désormais, pouvant se targuer d’un rapport direct avec Paris, il peut se présenter comme un acteur plus transversal : ami des Russes et des Arabes, mais aussi interlocuteur d’un pays de l’OTAN. Cette ouverture occidentale lui permet de répondre aux accusations d’être un simple « proxy » du Kremlin. Face aux critiques – notamment turques et tripolitaines – selon lesquelles la Cyrénaïque est dirigée par des mercenaires russes, Haftar pourra rétorquer que la France elle-même le considère comme un partenaire légitime, donc qu’il n’est ni isolé ni totalement aligné sur Moscou.

En somme, Haftar attend de cette visite des dividendes politiques et stratégiques : plus de légitimité, de nouveaux soutiens potentiels (économiques et militaires), et un renforcement de sa position tant dans la négociation intra-libyenne que dans l’équilibre entre les puissances qui le soutiennent. Naturellement, il devra aussi concéder quelque chose : Macron aura sans doute demandé des garanties sur sa participation au processus politique (par exemple, ne pas saboter de futures élections) et sur une modération de ses liens avec les Russes. Mais pour Haftar, même le simple fait d’apparaître sur la scène internationale aux côtés de Macron est une victoire d’image : fini le « seigneur de guerre » relégué à Benghazi, place à l’homme d’État reçu dans les palais du pouvoir européen.

Implications militaires

La rencontre Macron-Haftar ne se limite pas à des aspects diplomatiques ; elle a aussi d’importantes implications militaires sur le terrain libyen et régional. Un des thèmes centraux discutés, selon des sources proches de Haftar, a été la « présence croissante russe » en Libye et les nouveaux accords militaires conclus par le général avec la Biélorussie. Cela montre que la dimension militaire est cruciale dans les calculs des deux parties.

D’un côté, il y a la Russie, dont le rôle en Libye orientale est devenu prédominant grâce au déploiement du groupe Wagner et au soutien fourni à la LNA. Dès 2020, AFRICOM (le commandement américain en Afrique) dénonçait le transfert par Moscou d’au moins 14 avions de guerre (chasseurs MiG-29, Soukhoï-24 et Soukhoï-35) dans des bases contrôlées par Haftar, comme Al Jufra et Al Khadim. Parallèlement, jusqu’à 1 200 mercenaires Wagner étaient opérationnels en Libye, déployés entre le front de Tripoli, les terminaux pétroliers et des points stratégiques comme la base aérienne d’Al Jufra. Cette dernière, située au cœur du désert libyen central, s’est transformée en un hub logistico-militaire avancé pour les forces de Haftar grâce aux Russes : c’est de là que sont parties les offensives contre Tripoli en 2019, et c’est là qu’ont afflué renforts et approvisionnements. Les Russes y ont installé des défenses antiaériennes et utilisé Al Jufra comme escale pour leurs avions cargos, projetant ainsi leur puissance en Méditerranée méridionale. Aujourd’hui, bien que l’avenir du groupe Wagner soit incertain (après la mort de Prigojine), Moscou n’a pas retiré son influence : selon des analystes, la gestion des activités russes en Libye est passée sous le contrôle des renseignements militaires russes pour assurer une continuité, même sans Wagner « officiel ». De plus, la Russie continue d’imprimer de la monnaie pour l’Est libyen, fournit des équipements (de manière plus discrète) et maintient des conseillers sur place. En somme, la dépendance militaire de Haftar envers Moscou reste forte : ses meilleurs systèmes d’armes (drones, missiles antiaériens, véhicules modernes) viennent soit directement des Russes, soit via les Émirats (eux-mêmes approvisionnés par Moscou et Pékin). Cela signifie que Paris, pour gagner de l’influence sur Haftar, doit composer avec l’« parapluie » russe qui le protège.

D’un autre côté, il y a la Biélorussie, un acteur peut-être inattendu dans l’échiquier libyen mais qui s’insère comme un relais de Moscou. Le voyage de Haftar à Minsk mi-février 2025 – une semaine avant sa rencontre avec Macron – a marqué le début d’une collaboration explicite : Loukachenko s’est dit prêt à aider Haftar « de toutes les manières possibles », ce qui implique probablement des livraisons d’armes ou de munitions (peut-être en faisant transiter du matériel russe via la Biélorussie pour contourner sanctions et contrôles). La Biélorussie pourrait contribuer en formant des officiers de la LNA ou en réparant des équipements militaires, grâce à son industrie de défense encore alignée sur des standards ex-soviétiques compatibles avec l’arsenal de Haftar. Macron avait ce scénario en tête : voir Haftar frapper à la porte de Minsk a dû alarmer l’Élysée, car cela signifie un renforcement supplémentaire de l’axe Haftar-Moscou (même médiatisé par la Biélorussie). Par conséquent, il est probable que Macron, lors de la rencontre, ait sondé Haftar sur ce point, peut-être en lui demandant des garanties que l’implication biélorusse ne débouche pas sur une installation permanente d’infrastructures russes en Cyrénaïque.

Un point névralgique est la base d’Al Jufra, mais aussi celle d’Al Wigh dans le Sud libyen. Selon des indiscrétions relayées par la presse libyenne, Haftar et Macron ont discuté du rôle de la France dans la gestion d’Al Wigh. Cette base, située au fin fond du Sahara près des frontières avec le Niger et le Tchad, a une valeur stratégique immense : la contrôler, c’est avoir des yeux et des bras sur le Sahel. Pendant des années, des forces spéciales françaises auraient utilisé Al Wigh comme point de départ pour des drones et des opérations secrètes contre les djihadistes sahéliens. Cependant, avec le redimensionnement de Barkhane et le retrait forcé de la France des pays du G5 Sahel, cet avant-poste a perdu de son importance pour Paris. Haftar, au contraire, le voit comme une ressource précieuse. Selon certaines analyses, le général aurait profité du sommet avec Macron pour exiger que la base d’Al Wigh passe sous son contrôle total – en réalité au profit de la Russie. En pratique, Haftar aurait pu dire à Macron que la présence française à Al Wigh n’est plus souhaitée et que cette structure devrait être remise à ses forces (et à leurs partenaires russes). Si cela est vrai, nous serions face à une sorte d’ultimatum stratégique : Moscou, via Haftar, voudrait évincer la France d’un de ses derniers points d’appui en Libye. Pour Macron, ce serait un cauchemar, car cela signifierait céder à la Russie une base à proximité du Niger (où Wagner opère depuis le coup d’État de 2023) et du Tchad. Il est donc vraisemblable que Macron ait cherché à négocier sur ce point : peut-être en offrant une coopération économique ou une formation en échange d’un moratoire sur le sort d’Al Wigh, pour la maintenir au moins formellement neutre. Il n’est pas exclu que Paris ait proposé à Haftar un renforcement des capacités de contrôle des frontières sud (radars, drones, satellites) à condition de ne pas céder de bases aux Russes. C’est l’une des possibles parties secrètes derrière cette rencontre.

Un autre aspect militaire concerne l’implication française au Sahel et son lien avec la Libye de Haftar. La présence de groupes djihadistes dans le Sud libyen (affiliés à l’État islamique ou à Al-Qaïda) est une menace commune. Jusqu’ici, Haftar a mené des opérations sporadiques contre des cellules de l’EI dans le désert, mais sans coordination internationale. La France pourrait vouloir intégrer les milices de Haftar dans un dispositif antiterroriste régional plus large. Par exemple, en partageant des renseignements sur les routes des terroristes entre la Libye, le Niger et le Tchad, ou même en planifiant des opérations conjointes si des cibles de haut rang (leaders djihadistes) se cachaient en Libye. Ce type de coopération serait avantageux pour les deux parties : Haftar se poserait en « gendarme » du désert, gagnant davantage de légitimité internationale, tandis que la France poursuivrait ses objectifs sécuritaires au Sahel malgré son absence sur le terrain. On peut supposer que Macron ait sondé la disponibilité de Haftar à collaborer dans ce sens, peut-être en lui demandant aussi de résoudre des dossiers en suspens, comme celui de Mahmoud Saleh – un leader de l’opposition nigérienne arrêté en Libye et non extradé à Niamey, ce qui a créé des tensions avec la junte militaire nigérienne. Régler ces affaires serait un geste apprécié par Paris, vu ses relations difficiles avec la nouvelle direction du Niger (pays d’où la France a dû retirer ses troupes après le coup d’État). La stabilité régionale (Sahel, frontière nigéro-tchadienne) est donc un enjeu militaire non négligeable lié aux éventuelles ententes issues du dialogue Macron-Haftar.

Enfin, cette rencontre pourrait avoir des implications sur le déploiement futur de forces militaires étrangères en Libye. Si la France devait s’engager plus activement à soutenir Haftar, cela pourrait se traduire par une présence accrue de conseillers militaires français en Cyrénaïque (sur le modèle de ce qui fut fait par le passé). En parallèle, une France plus proche de Haftar pourrait freiner l’agressivité des initiatives russes : Moscou éviterait peut-être, du moins temporairement, d’installer des systèmes d’armes trop avancés (comme des missiles S-300 ou des bases navales à Benghazi) pour ne pas pousser Haftar dans les bras de l’Occident. Dans un scénario inverse, si la rencontre n’aboutissait à aucun accord et que Paris refusait des demandes de Haftar (comme celle sur Al Wigh), le général pourrait réagir en approfondissant encore sa coopération militaire avec la Russie et ses alliés. Cela pourrait se concrétiser, par exemple, par l’ouverture de nouvelles bases aériennes pour les Russes sur la côte ou l’acceptation de livraisons d’armes plus visibles (comme des systèmes antiaériens modernes) malgré l’embargo. En somme, la rencontre de Paris est un tournant : si la France et la Cyrénaïque trouvent un modus vivendi, le résultat sera une présence russe plus nuancée (bien que toujours influente) ; si elle échoue, la Libye orientale risque de devenir encore davantage un bastion militaire russe en Méditerranée. Puisque Macron a salué « les efforts des forces armées (de Haftar) pour garantir sécurité et stabilité », il semble que l’Élysée veuille mettre en valeur le rôle de la LNA comme facteur de stabilité, tentant ainsi de l’insérer dans un cadre collaboratif qui évite une escalade. Reste à voir si cela se traduira par des mesures concrètes (accords sur des bases, formation ou lutte antiterroriste) ou si ces mots resteront lettre morte.

À lire aussi : LIBYE – La stratégie de conquête de la Tripolitaine : le génie tactique du maréchal Haftar ?

Réactions internationales

La rencontre entre Macron et Haftar a naturellement suscité des réactions et attiré l’attention des autres acteurs impliqués dans le dossier libyen – notamment l’Italie, la Russie, les États-Unis et la Turquie, explicitement mentionnés dans notre analyse.

Italie : À Rome, l’accueil réservé à l’homme fort de la Cyrénaïque n’est pas passé inaperçu. Les relations italo-françaises sur la Libye ont été marquées ces dernières années par des divergences marquées, et cet épisode risque de raviver de vieilles rancœurs. L’Italie soutient le gouvernement de Tripoli depuis l’époque de Serraj et continue de reconnaître le Premier ministre actuel Dabaiba comme interlocuteur légitime, tout en maintenant des canaux ouverts avec Haftar (nécessaires pour des questions pratiques comme le contrôle des flux migratoires depuis la Cyrénaïque et la réouverture des gisements à l’Est). Cependant, voir Macron jouer les hôtes pour Haftar agace la diplomatie italienne, car cela ressemble à un contournement des efforts communs européens au profit d’une initiative nationale française. En 2019, lors de l’offensive de Haftar sur Tripoli, Rome avait vertement reproché à Paris son « double jeu » pro-Haftar, qualifiant de « scandaleux » le comportement français qui prônait la paix d’une main et armait le général de l’autre. Aujourd’hui, les tons officiels sont plus mesurés, mais le fond reste le même : l’Italie craint d’être dépassée. En particulier, elle redoute que la démarche de Macron fragilise le front européen pro-ONU, incitant d’autres partenaires à légitimer Haftar au détriment du processus de réconciliation. Sur le plan économique, Rome s’inquiète que la France utilise cette levée diplomatique pour favoriser Total et les entreprises françaises en Libye, peut-être en négociant avec Haftar des concessions dans l’Est en échange d’un soutien politique. Comme déjà souligné, « Rome a défié le rôle de médiateur de la France, craignant que le colosse pétrolier Total ne supplante ENI comme entreprise dominante en Libye ». Dans les palais romains, on se souvient que Haftar contrôle la majorité des champs pétrolifères orientaux, et si Paris obtient un accès privilégié à ces ressources, ENI pourrait se retrouver désavantagée.

La réaction italienne reste pour l’instant contenue : le gouvernement Meloni n’a pas émis de déclarations officielles fortement critiques (signe qu’il ne souhaite pas un affrontement direct avec Paris, partenaire au sein de l’UE). Mais en coulisses, l’inquiétude est palpable. Selon des sources diplomatiques, l’Italie cherchera à renforcer son rôle à Tripoli pour contrebalancer l’activisme français : par exemple en intensifiant le dialogue avec Dabaiba, en accélérant les projets économiques en cours (comme les investissements d’ENI pour augmenter la production de gaz en Tripolitaine) et peut-être en promouvant de nouvelles réunions multilatérales sur la Libye impliquant la France, mais sur une base collégiale et non bilatérale. L’objectif italien est d’éviter que l’initiative de Macron ne fissure la ligne commune européenne. Déjà par le passé, l’Italie, bien que réticente, a dû accepter Haftar comme « acteur nécessaire » (il fut invité à la Conférence de Palerme en 2018 et qualifié d’« interlocuteur clé » par le gouvernement italien). Après l’Élysée, Rome pourrait envisager de rouvrir un dialogue direct avec Haftar pour ne pas le laisser exclusivement aux mains des Français : il n’est pas exclu que dans les prochains mois, Haftar ou ses émissaires effectuent des visites « parallèles » en Italie, dans une tentative de maintenir un équilibre de contacts avec les deux camps libyens. En résumé, la France a fait son coup, et l’Italie – bien que contrariée – devra ajuster sa stratégie : d’une part en consolidant son axe avec Tripoli (pour rassurer Dabaiba que Rome ne l’abandonne pas), d’autre part en évitant de s’isoler en Cyrénaïque (pour ne pas perdre l’accès à l’autre moitié de la Libye).

Russie : La réaction russe à la rencontre de Paris a été jusqu’ici prudente et discrète. Officiellement, le Kremlin n’a pas commenté en détail, se contentant – via des sources diplomatiques – de noter que « tout effort des partenaires pour favoriser la stabilisation en Libye est bienvenu ». Cette formule diplomatique suggère que Moscou ne voit pas d’un mauvais œil l’initiative française, à condition qu’elle ne compromette pas ses propres intérêts. En réalité, la Russie peut tirer un certain avantage de l’événement : la visite de Haftar à l’Élysée est, paradoxalement, une reconnaissance du succès de sa stratégie en Libye. Pendant des années, la France (comme d’autres puissances occidentales) a évité de trop se compromettre avec Haftar, surtout après qu’il s’est appuyé sur les mercenaires russes. Aujourd’hui, le fait que Macron le reçoive « malgré » la forte empreinte russe sur ses forces signifie que Moscou a réussi à imposer Haftar comme un acteur incontournable, obligeant même l’OTAN (dont la France fait partie) à composer avec lui. En d’autres termes, le poids acquis par Haftar grâce au soutien russe l’a rendu un passage obligé : c’est exactement ce que Moscou voulait obtenir depuis 2019, lorsqu’elle bloqua au Conseil de sécurité une résolution de l’ONU condamnant l’avance de Haftar sur Tripoli. Le message russe était clair à l’époque : Haftar est intouchable. Aujourd’hui, les fruits se récoltent – Macron lui-même le reconnaît implicitement. Ainsi, Poutine (et surtout son ministre des Affaires étrangères Lavrov, qui a rencontré Haftar à plusieurs reprises) peut se féliciter de voir son allié légitimé sur la scène internationale.

Cela dit, la Russie reste vigilante. Elle ne veut pas que Haftar lui échappe. Le risque pour Moscou est que trop de gestes occidentaux incitent Haftar à rééquilibrer ses alliances. Pour l’instant, ce danger semble limité : Haftar continue d’avoir un besoin vital du soutien russe sur le terrain (sans les contractuels et l’artillerie russes, sa position militaire s’affaiblirait). De plus, les relations entre Paris et Moscou sont au plus bas à cause de la guerre en Ukraine, donc personne ne se fait d’illusions sur le fait que la France puisse « voler » Haftar à la Russie. Plutôt, il est plausible qu’une certaine coordination tacite ait lieu en coulisses : la France et la Russie, bien qu’adversaires sur de nombreux fronts, ont parfois partagé en Libye l’objectif de soutenir la faction de Haftar contre l’aile islamiste de Tripoli. Déjà en 2019, Paris et Moscou se retrouvaient du même côté (au grand embarras de la France au sein de l’UE). Aujourd’hui, elles pourraient mener un jeu complémentaire : la Russie arme Haftar, la France le légitime diplomatiquement. Cela conviendrait à Haftar et, en partie, à Moscou, qui cherche à sortir de l’isolement diplomatique lié à l’Ukraine. Voir la France dialoguer avec le « protégé » du Kremlin pourrait même être exploité par Moscou à des fins de propagande : par exemple, pour suggérer des divisions au sein de l’OTAN ou affirmer que l’Europe reconnaît l’échec du gouvernement de Tripoli soutenu par l’ONU.

En définitive, la Russie ne s’oppose pas publiquement et laisse faire. Elle continuera toutefois à surveiller les développements de très près. Si les échanges entre Paris et Haftar devaient aboutir à des accords limitant la présence russe (par exemple un pacte pour écarter Wagner), alors Moscou réagirait en durcissant sa position – peut-être en intensifiant les contacts avec d’autres acteurs libyens pro-russes ou en montrant ses muscles (exercices navals en Méditerranée orientale, par exemple). Mais si, comme cela semble plus probable, Macron se contente de s’ajouter au club des soutiens de Haftar sans exiger son détachement de Moscou, alors cela conviendra au Kremlin. Après tout, l’objectif russe est de s’assurer une influence durable en Libye : si cela implique de partager le patronage de Haftar avec la France, c’est un compromis acceptable, surtout si cela complique la vie aux Américains et aux Turcs. Et justement, ce sont Washington et Ankara qui observent la démarche de Macron avec le plus de méfiance, davantage encore que Moscou.

États-Unis : L’administration américaine a accueilli la nouvelle avec un pragmatisme froid. Officiellement, les États-Unis continuent de réaffirmer leur soutien à l’ONU et au processus censé mener la Libye à des élections unificatrices. Pour Washington, une stabilité durable en Libye ne peut être obtenue que par un accord politique inclusif, et non en élevant un nouvel « homme fort ». Cependant, les États-Unis sont conscients des dynamiques en jeu et de l’impasse actuelle. Ces dernières années, la politique américaine en Libye a été inconstante : après l’épisode de 2019 où Trump sembla pencher pour Haftar (avant de corriger le tir), sous Biden, les États-Unis ont adopté une posture plus institutionnelle, soutenant pleinement l’envoyé de l’ONU Bathily et appelant tous les acteurs (y compris Haftar) à s’engager pour des élections rapides. Dans ce contexte, l’initiative unilatérale de Macron a pu irriter certains secteurs de l’administration, inquiets que la France cherche à se tailler un agenda propre, déconnectée du cadre onusien. Mais en même temps, Washington partage les préoccupations sur l’influence russe et pourrait voir d’un bon œil un engagement français qui contienne Haftar dans certaines limites. En pratique, les États-Unis pourraient tolérer la démarche française si elle modère Haftar et l’éloigne de la sphère russe. Mais ils veilleront à ce que Paris ne sorte pas des rails du processus international.

Aucune déclaration officielle tranchante n’a émergé de Washington sur cette rencontre. Selon des indiscrétions rapportées par Politico, des responsables américains auraient exprimé en privé des réserves : ils craignent que donner trop de légitimité à Haftar maintenant, sans contrepartie (comme un engagement à organiser des élections), ne fige la division du pays. De plus, les États-Unis n’oublient pas l’épisode des missiles français trouvés dans une base de Haftar en 2019, qui avait embarrassé Paris. Washington ne souhaiterait pas une répétition de tels incidents, par exemple que la France fournisse discrètement des armes à Haftar à ce stade. Un haut fonctionnaire du Département d’État, cité anonymement, aurait souligné que « tout soutien à des figures libyennes doit viser à favoriser des compromis, pas de nouvelles offensives ». Ainsi, les États-Unis surveilleront de près le comportement de Haftar après Paris : s’il durcit sa rhétorique ou prend des initiatives unilatérales (comme bloquer à nouveau la production pétrolière, ce qu’il a déjà fait par le passé pour faire pression), alors des alertes retentiront à Washington. Ce serait différent si Haftar, fort du soutien français, acceptait enfin de donner des garanties écrites (par exemple le retrait des mercenaires étrangers, y compris russes, du territoire libyen comme prévu par le cessez-le-feu). Cela, les États-Unis l’accueilleraient positivement.

Un chapitre à part concerne la présence militaire russe : sur ce front, les États-Unis sont les plus préoccupés. Dès 2020, le commandement AFRICOM dénonçait publiquement le risque que la Russie cherche à établir une base navale ou aérienne permanente en Libye, qualifiant cela de scénario inacceptable pour la sécurité euro-atlantique. Aujourd’hui, ce risque reste tangible : les Russes sont solidement implantés en Cyrénaïque, et on craint qu’ils veuillent établir un avant-poste naval, peut-être dans la zone de Tobrouk ou Benghazi (ce qui offrirait à la flotte russe un accès stratégique en Méditerranée centrale). Pour les États-Unis, la priorité est donc d’empêcher la Russie de gagner des bases en Libye. Si l’activisme de Macron peut contribuer à cet objectif, il aura un assentiment tacite américain. Mais c’est un équilibre délicat : Washington ne veut pas non plus que la France « brusque » trop la Turquie (alliée dans l’OTAN) en se rapprochant de Haftar au point d’exclure Ankara. Les États-Unis reconnaissent que l’intervention turque en 2020 fut décisive pour stopper la Russie à Tripoli. Comme l’ont souligné des analystes occidentaux, sans l’action turque, les mercenaires russes auraient probablement pris Tripoli, infligeant d’énormes pertes et mettant fin à tout espoir de négociation. Ainsi, malgré les difficultés à gérer l’alliance avec Erdoğan, Washington sait que la présence turque en Libye équilibre celle russe. Depuis longtemps, les États-Unis encouragent tous les mercenaires étrangers à quitter la Libye, mais en pratique, ils mettent sur le même plan les Russes de Wagner et les militaires turcs (présents officiellement à l’invitation de Tripoli). Après la rencontre de Paris, les Américains vont probablement intensifier les contacts avec les Français et les Turcs pour s’assurer que la situation ne dégénère pas en affrontement indirect entre alliés. Le risque, vu de Washington, est que Paris et Ankara se disputent sur Haftar pendant que Moscou en profite. Une source du Conseil de sécurité nationale aurait commenté l’événement par un laconique « we hope our friends are coordinating this with us » (nous espérons que nos alliés coordonnent cela avec nous) : signe que les États-Unis veulent être tenus informés des initiatives françaises pour éviter les surprises.

Turquie : Sans doute la réaction la plus négative et méfiante est venue d’Ankara. Le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan est le principal soutien militaire et politique du gouvernement de Tripoli et est farouchement hostile à Haftar, contre qui il a combattu directement durant la guerre de 2019-2020. Pour la Turquie, Haftar est un « putschiste » et un ennemi qui a même menacé de frapper des intérêts turcs en Libye. Rappelons qu’en juin 2019, en pleine offensive sur Tripoli, Haftar émit un mandat d’arrêt contre 6 citoyens turcs en Libye et menaça d’attaquer des navires et entreprises turques, poussant Erdoğan à promettre des représailles sévères. Dans ce contexte, voir un allié de l’OTAN comme la France tendre la main à son rival Haftar est perçu comme une trahison des intérêts turcs. Dès 2020, Paris et Ankara s’étaient retrouvés à couteaux tirés : le 10 juin 2020, un incident au large de la Libye vit une frégate française (Courbet) accuser des navires turcs de l’avoir ciblée avec leur radar de manière hostile alors qu’elle tentait d’inspecter un cargo suspect à destination de la Libye. La France dénonça l’« acte extrêmement agressif » de la marine turque, déplorant le faible soutien de l’OTAN pour condamner Ankara. Quelques jours plus tard, Macron accusa la Turquie de « responsabilités criminelles » dans le conflit libyen pour ses envois d’armes à Tripoli. La réplique turque, par la voix du ministre Mevlüt Çavuşoğlu, fut cinglante : il qualifia l’approche française de « destructrice » et affirma que « la France nie ses relations avec Haftar, mais transfère de l’argent des Émirats pour le soutenir ». Bref, entre la France et la Turquie, sur le terrain libyen, les accusations mutuelles d’hypocrisie et de double jeu fusent depuis des années.

Dans cette optique, la rencontre Macron-Haftar a profondément irrité Ankara. Des sources du gouvernement turc, citées par la presse locale, ont parlé d’une « mauvaise décision » de la France, risquant de compromettre les efforts de paix. La Turquie soutient officiellement le gouvernement Dabaiba et le processus de l’ONU, et aurait préféré que Macron invite aussi Dabaiba ou un représentant de Tripoli, plutôt que de recevoir uniquement Haftar. On craint que cette initiative légitime les ambitions autoritaires de Haftar et l’encourage à se soustraire aux compromis. Des responsables turcs soulignent que Haftar n’a jamais réellement accepté de s’intégrer dans une Libye unie et démocratique – comme en témoigne son refus, jusqu’ici, de placer ses forces sous une autorité civile. La peur est qu’avec le soutien français, Haftar se sente encore plus autorisé à jouer le « vice-roi » en Cyrénaïque. En réponse, la Turquie pourrait renforcer son partenariat militaire avec Tripoli : par exemple, en accélérant la fourniture de drones armés de nouvelle génération ou de systèmes antiaériens au gouvernement de Dabaiba, pour dissuader Haftar de nouvelles aventures. Rappelons que la Turquie maintient en Libye quelques centaines de soldats et instructeurs, ainsi que des systèmes d’armes (drones TB2, défenses aériennes Korkut, etc.), déployés surtout dans la région de Tripoli-Misrata. Ankara a aussi construit une base pour drones à Al-Watiya à l’Ouest et bénéficie d’un droit d’usage sur une base navale à Misrata grâce à un accord bilatéral. Ce positionnement militaire turc ne sera pas démantelé tant que Haftar – et ses sponsors – constitueront une menace. Ainsi, paradoxalement, si la France se rapprochait trop de Haftar, la Turquie pourrait réagir en élargissant encore sa présence, peut-être en envoyant davantage de conseillers ou des équipements plus sophistiqués, pour maintenir son avantage qualitatif sur le terrain. Déjà en 2019-2020, l’envoi d’armes turques (drones Bayraktar, véhicules blindés, systèmes antichars) avait renversé le cours du conflit, stoppant Haftar à Gharyan. Erdoğan n’hésiterait pas à réitérer de telles actions s’il percevait un danger imminent pour Tripoli.

Un autre effet pourrait se manifester sur le plan diplomatique régional : la Turquie pourrait chercher une meilleure coordination avec l’Italie (vu leur intérêt commun à soutenir Tripoli) et avec d’autres acteurs comme le Qatar, pour contrebalancer l’axe « haftariste » franco-russo-émirati. Ces derniers mois, Ankara a également renoué avec l’Égypte – grand sponsor de Haftar – via une détente progressive. Elle ne voudrait pas que l’action française compromette ce fragile rapprochement avec Le Caire. Ainsi, il est probable que les Turcs intensifient les échanges avec les Égyptiens pour comprendre leurs intentions : l’Égypte a jusqu’ici salué positivement l’implication française, espérant que Paris fasse pression pour reconnaître un rôle spécial à Haftar et à Aguila Saleh (le président du parlement de Tobrouk). La Turquie, elle, souhaiterait que l’Égypte pousse Haftar à des compromis. Cet échiquier diplomatique est complexe, mais en résumé, Ankara est irritée et méfiante envers Macron. On peut s’attendre à une rhétorique polémique (déjà en cours dans les médias pro-gouvernementaux turcs, qui accusent la France de néocolonialisme en Libye) et à une ferme détermination à ne pas céder : la Turquie ne lâchera pas Tripoli et utilisera tous les moyens pour empêcher Haftar d’arriver là où il voulait (c’est-à-dire gouverner toute la Libye).

Enfin, il faut mentionner la réaction des autorités de Tripoli elles-mêmes : le Gouvernement d’unité nationale a officiellement minimisé l’événement, Dabaiba se contentant de commenter à demi-mot que « chacun est libre de rencontrer qui il veut, mais les faits sur le terrain ne changent pas ». Cependant, des sources proches de Dabaiba rapportent une forte irritation : le Premier ministre s’est senti délégitimé et craint que la France pousse désormais pour un accord qui l’écarte, peut-être en instaurant un gouvernement militaire transitoire soutenu par Haftar. Des rumeurs circulent déjà à Tripoli selon lesquelles Macron voudrait proposer une feuille de route où Dabaiba céderait la place à un exécutif technique appuyé par les Français et les Égyptiens, en échange d’élections d’ici un an. Ce ne sont que des spéculations pour l’instant, mais elles traduisent un climat de suspicion. L’ambassadrice française à Tripoli, Béatrice le Fraper, aurait rapidement rencontré des responsables libyens après le voyage de Haftar pour les rassurer sur le fait que la France ne change pas de camp et continue de soutenir un dialogue inclusif. Mais la confiance est ébranlée. Par le passé, Tripoli avait déjà accusé la France de lui « planter un couteau dans le dos » – comme en 2019, lorsque le ministre de l’Intérieur Bashagha déclara ouvertement que Paris était complice de l’agression de Haftar. Aujourd’hui, Dabaiba ne peut se permettre un affrontement direct avec Macron (son gouvernement cherche une reconnaissance internationale et des investissements), mais il cherchera un soutien accru de l’Italie, de la Turquie et des États-Unis pour équilibrer le poids français. On peut donc s’attendre à une intensification des visites et des rencontres : par exemple, Dabaiba pourrait bientôt se rendre à Rome ou Ankara pour consolider les accords économiques (ENI développe un grand gisement gazier offshore avec la NOC, et des entreprises turques ont des contrats majeurs dans le bâtiment et l’électricité à Tripoli). Parallèlement, Tripoli mettra en lumière les violations de Haftar (comme la présence de mercenaires et les dossiers sur les droits humains) pour rappeler au monde qu’il n’est pas un interlocuteur irréprochable. En somme, l’initiative française, loin d’apaiser les esprits, a quelque peu agité les eaux dans les relations entre les capitales impliquées dans le dossier libyen.

À lire aussi : ANALYSE – Inquiétude de l’Italie face à l’expansion russe en Libye

Évaluation globale et scénarios futurs

La décision d’Emmanuel Macron de recevoir Khalifa Haftar à Paris est un pari calculé qui offre des avantages potentiels mais comporte aussi plusieurs risques. Dans une évaluation globale, on peut dire qu’à court terme, elle renforce la position de la France en Libye, mais à long terme, elle pourrait aussi la compliquer si elle ne s’accompagne pas de résultats concrets sur le terrain.

Du point de vue de Paris, cette rencontre a permis de réaffirmer le rôle français dans le dossier : Macron a repris le devant de la scène, montrant que la France peut dialoguer avec tous les acteurs libyens et ne restera pas en marge. C’est en soi un succès diplomatique, surtout quand on sait que ces dernières années, beaucoup considéraient Paris en retrait (dépassée par l’activisme de la Turquie et de l’Italie). Désormais, Macron a démontré qu’aucune solution en Libye ne pourra ignorer la France, car elle est capable d’influer aussi à l’Est du pays. De plus, établir un dialogue direct avec Haftar permet à la France de poser un pied en Cyrénaïque et de mieux protéger ses intérêts (comme les enjeux énergétiques et sécuritaires mentionnés). Si Macron parvient à capitaliser sur ce canal – par exemple en facilitant des accords entre Haftar et Tripoli ou en obtenant des concessions sur les bases au Sud –, alors la position française en sortira incontestablement renforcée. La France pourrait redevenir l’aiguille de la balance en Libye : l’acteur qui, en discutant avec les deux camps, peut pousser à des compromis. Dans ce cas, Paris aurait regagné le terrain perdu et s’assurerait une voix dans le futur agencement libyen (quelle que soit la victoire entre Tripoli et Benghazi ou l’équilibre qui émergera, la France aurait des relations avec tous).

Mais il y a une contrepartie. L’initiative française risque d’aliéner la confiance d’autres partenaires et de rigidifier les positions libyennes. Certains analystes y voient un potentiel effet boomerang. D’abord, le front occidental apparaît divisé : l’Italie et la France de nouveau en décalage, la Turquie furieuse contre Paris, les États-Unis prudents. Ce manque de cohésion peut affaiblir l’influence globale de l’Occident et favoriser des acteurs comme la Russie, qui prospèrent sur les divisions des autres. Si le résultat de la rencontre se limite à exacerber les rivalités (par exemple en poussant la Turquie et l’Italie à former un bloc opposé à la France en Libye), alors Paris aura fragilisé sa position stratégique, car elle aura du mal à obtenir seule un résultat en Libye sans la collaboration de quiconque. Ensuite, il y a le danger d’envoyer un mauvais signal aux Libyens : Haftar pourrait interpréter l’accueil à l’Élysée comme un feu vert tacite à maintenir ses ambitions maximalistes, tandis qu’à Tripoli, on pourrait se convaincre que la France a « choisi un camp » et se raidir davantage. En pratique, au lieu d’encourager le dialogue, la démarche française pourrait repolariser le scénario : Haftar plus arrogant d’un côté, Tripoli plus méfiant de l’autre. Cela ferait échouer les efforts déjà fragiles de l’ONU pour réunir les factions autour d’une table en vue d’élections. On retomberait dans une situation de blocage dangereuse, voire de confrontation. Macron marche donc sur un fil : il doit utiliser l’influence acquise sur Haftar pour le pousser à des compromis, pas pour renforcer son intransigeance. S’il échoue dans cette tâche – si Haftar reste sur une ligne dure malgré les éloges français –, alors l’opération diplomatique sera un fiasco, et la France aura misé sur le mauvais cheval.

Une réflexion importante est que cette initiative française intervient dans un contexte d’activisme croissant des puissances étrangères en Libye (Russie, Turquie, pays arabes) et d’un apparent moindre engagement des États-Unis. Dans ce scénario multipolaire, la France cherche à naviguer seule, récupérant un espace autonome. C’est une stratégie risquée mais en partie inévitable pour Macron s’il veut éviter sa mise à l’écart. Fulvio Scaglione, dans une analyse de 2020, notait que la France, après la défaite de Haftar à Tripoli, persistait à « miser sur un cheval mort » et ferait mieux de changer d’approche. Macron, lui, semble relancer son pari sur Haftar, signe qu’à Paris, on croit encore qu’il est utile de miser sur lui. Peut-être le calcul est-il que Haftar, malgré ses limites, est destiné à rester un facteur de pouvoir, et qu’il vaut mieux l’avoir comme ami. Après tout, Haftar approche des 80 ans et ne sera pas éternel ; mais s’il venait à disparaître, l’Est risque une fragmentation et une radicalisation pire encore (ses fils et généraux pourraient s’entredéchirer pour la succession, avec des ingérences russes voraces). Peut-être la France préfère-t-elle maintenir Haftar en selle tant qu’une alternative plus présentable n’émerge pas, pour éviter un chaos total en Cyrénaïque. Dans cette optique, Macron pourrait utiliser son influence renouvelée pour façonner une transition douce à l’Est : par exemple, en favorisant l’émergence d’un successeur acceptable (quelqu’un de l’entourage de Haftar moins détesté à Tripoli) et en lui garantissant ensuite un rôle dans des structures étatiques unifiées. C’est un scénario hypothétique, mais plausible si la France veut vraiment stabiliser la Libye : convaincre Haftar de se faire le garant d’un processus institutionnel plutôt que de vouloir être lui-même le nouveau Kadhafi.

En regardant les scénarios futurs possibles, si l’initiative française a des suites, nous pourrions voir dans les prochaines semaines certains signaux : peut-être une nouvelle session de pourparlers 5+5 (les comités militaires mixtes) avec plus de flexibilité de la part de Haftar, ou encore l’annonce d’un retrait partiel des mercenaires de l’Est libyen (remplacés peut-être par des forces régulières formées avec l’aide française). Un scénario optimiste serait celui où Paris facilite un accord de sécurité entre Haftar et Tripoli : par exemple, Haftar accepterait de placer ses forces sous un commandement conjoint en échange d’être nommé commandant des forces armées libyennes unifiées. Cela préserverait son rôle tout en s’inscrivant dans un État unifié. La France pourrait vendre une telle solution comme un succès diplomatique propre, obtenu grâce au dialogue instauré avec le général. Sur le plan politique, cela pourrait aussi débloquer la rédaction d’une constitution partagée et l’organisation des élections présidentielles et parlementaires tant attendues (peut-être d’ici fin 2025, comme l’espère l’ONU). Bien sûr, c’est un scénario qui exige beaucoup de bonne volonté et une coordination étroite avec d’autres acteurs (Italie, États-Unis, ONU elle-même). Cela ne dépend pas uniquement de Paris, mais la France pourrait servir de pont entre la Cyrénaïque et la communauté internationale.

Le scénario pessimiste, lui, est celui d’un durcissement accru et de nouvelles tensions. Si la rencontre de Paris est perçue à Tripoli comme un signe que Haftar a carte blanche, nous pourrions assister à des initiatives unilatérales pour saboter les rivaux : par exemple, Haftar pourrait à nouveau fermer les robinets pétroliers à l’Est pour mettre une pression économique sur Tripoli (une tactique déjà utilisée à plusieurs reprises, la dernière fois en 2022, avec des effets immédiats sur les finances de Dabaiba). Ou il pourrait intensifier sa rhétorique contre la « corruption » du gouvernement de Tripoli pour justifier à l’avenir des actions de « nettoyage » à l’Ouest. De l’autre côté, les milices de Tripoli et Misrata pourraient se raidir et peut-être passer à l’action chez elles : rappelons que la capitale est traversée par des tensions internes, et certaines brigades pourraient chercher à évincer Dabaiba par un coup de force si elles pensent que le cadre international change de toute façon. En somme, si elle n’est pas bien gérée, l’initiative française pourrait déclencher des conflits latents. La fenêtre temporelle est délicate : 2025 devait être l’année des élections libyennes selon l’ONU, mais nous sommes encore loin d’un accord sur la loi électorale et les candidats admissibles (le nœud de la candidature de Haftar, de Saïf Kadhafi ou de Dabaiba lui-même reste irrésolu). Chaque acteur externe qui bouge ses pions risque de perturber cet équilibre précaire.

En conclusion, la rencontre Macron-Haftar renforce la position de la France en ce qu’elle la replace comme protagoniste active en Libye, mais la solidité de cette position dépendra des résultats. Si Macron parvient à transformer ce canal en une action coordonnée (peut-être en impliquant ensuite Dabaiba dans un dialogue indirect avec Haftar) et à contribuer à un processus politique, alors la France en sortira gagnante et aura consolidé son influence au détriment de ses rivaux (l’Italie et la Turquie devront s’adapter à un rôle français plus marqué). Si, au contraire, tout se résume à un coup pour rien – Haftar empoche la visite et poursuit sa route sans que la France n’obtienne rien de tangible –, alors Paris n’aura fait qu’alimenter les méfiances sans gains réels, affaiblissant sa position morale et la cohésion occidentale, au profit d’autres. Comme l’écrivait un observateur, « cette partie, Macron la joue en solo : il peut gagner en se faisant kingmakeren Libye, ou perdre en s’isolant de ses propres alliés ».

Pour l’instant, Macron a abattu la carte Haftar ; les prochaines étapes diront si c’est une main gagnante ou un bluff destiné à être démasqué. La seule certitude est que la stabilité de la Libye reste suspendue aux volontés (et aux veto croisés) des acteurs externes autant qu’à celles des leaders locaux. La France a fait un pari audacieux ; la table libyenne, pour le moment, reste grande ouverte.

À lire aussi : Montée en puissance de la Russie en Libye : vers une nouvelle dynamique géopolitique ?


#Libye, #France, #Macron, #Haftar, #Géopolitique, #OTAN, #Russie, #Italie, #Tripoli, #Cyrénaïque, #Total, #ENI, #Pétrole, #Sahel, #Sécurité, #Méditerranée, #ONU, #Diplomatie, #ConflitLibyen, #Kadhafi, #Mercenaires, #Wagner, #Énergie, #Stratégie, #MoyenOrient, #AfriqueDuNord, #Terrorisme, #InterventionMilitaire, #PolitiqueÉtrangère, #Paris, #Tripolitaine, #Benghazi, #Sarkozy, #MacronHaftar, #CompétitionÉnergétique, #InfluenciaRusse, #InfluenceFrançaise, #USA, #Turquie, #ConflitInternational, #AnalyseGéopolitique

Shares
Retour en haut