ANALYSE – Coopération en matière de défense aérienne entre l’Arabie saoudite et l’Italie

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RéalisationLe Lab Le Diplo

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). 

La coopération militaire entre l’Arabie saoudite et l’Italie dans le domaine de la défense aérienne a récemment franchi une étape importante avec la réunion du 17 février 2025 à Riyad entre le vice-ministre saoudien de la Défense, Talal Al-Otaibi, et le lieutenant-général Giuseppe Lupoli, directeur de la Direction italienne des armements aéronautiques et de la navigabilité aérienne. 

Rencontre bilatérale de haut niveau

Au cours de cet entretien, Al-Otaibi et Lupoli ont approfondi la collaboration militaire bilatérale et le transfert de technologies pour la défense aérienne, mettant en évidence un intérêt commun à renforcer les capacités de défense aérienne du Royaume saoudien. Cette rencontre s’inscrit dans un contexte de consolidation des relations défensives entre les deux pays, marquées ces derniers mois par une succession de visites officielles et d’accords stratégiques.

Accords clés et projets en cours

La réunion de Riyad fait suite à une série d’accords et d’initiatives bilatérales récemment entreprises. Dès janvier 2025, à l’occasion de rencontres bilatérales à Al Ula, le ministère saoudien des Investissements (MISA), l’Autorité générale des industries militaires (GAMI) et l’entreprise italienne Leonardo ont signé un mémorandum d’entente (MoU) visant à élargir la coopération dans les secteurs aérospatial et de la défense. Cet accord, qui fait suite à un précédent MoU signé début 2024, définit une collaboration étendue comprenant la formation, la maintenance et le développement conjoint dans des domaines tels que les avions de combat, l’assemblage d’hélicoptères, la maintenance des cellules aéronautiques, les systèmes de guerre électronique et les radars avancés. L’objectif est de renforcer la chaîne industrielle saoudienne et de créer des opportunités d’intégration technologique, conformément au programme Vision 2030 de Riyad.

Parallèlement aux accords industriels, des visites institutionnelles significatives ont eu lieu. Le 6 février 2025, le chef d’état-major de l’armée de l’air italienne, le général Luca Goretti, s’est rendu sur la base aérienne King Abdulaziz en Arabie saoudite, où il a rencontré le commandant de la Royal Saudi Air Force, le général (prince) Turki bin Bandar bin Abdulaziz. À cette occasion, la volonté d’approfondir la coopération aérospatiale a été soulignée, et un groupe consultatif conjoint italo-saoudien a été créé pour coordonner les initiatives communes. Cette équipe mixte aura pour mission de suivre de près les projets collaboratifs, facilitant l’échange d’informations et de compétences entre les forces aériennes des deux pays.

Un autre élément de cette coopération a été la visite officielle du ministre saoudien de la Défense, le prince Khalid bin Salman, en Italie en octobre 2024. Lors de cette rencontre à Rome avec le ministre italien de la Défense de l’époque, Guido Crosetto, les perspectives du partenariat défensif et les moyens de le développer selon les aspirations communes ont été discutées. Par la suite, le prince Khalid a rencontré les dirigeants des principales entreprises italiennes du secteur (comme Leonardo, Fincantieri, MBDA Italia et autres), explorant les opportunités de collaboration dans les industries de la défense, la recherche et le développement, et le transfert de technologies, en ligne avec Saudi Vision 2030. Ce dialogue avec l’industrie a jeté les bases de programmes conjoints, d’investissements saoudiens en Italie et d’une présence accrue des entreprises italiennes sur le marché saoudien.

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Objectifs futurs de la collaboration

À plus long terme, la coopération italo-saoudienne en matière de défense aérienne vise à consolider un partenariat durable. Les accords signés à ce jour – d’une valeur totale d’environ 10 milliards de dollars en engagements commerciaux et industriels conclus en janvier 2025 – témoignent de l’engagement des deux pays à investir dans cette relation stratégique. Sur le plan militaire, un objectif majeur est la possible implication de l’Arabie saoudite dans le développement d’un avion de chasse de sixième génération dans le cadre du Global Combat Air Programme (GCAP), un consortium international dirigé par l’Italie, le Royaume-Uni et le Japon. L’Italie a explicitement exprimé son soutien à la participation saoudienne au programme GCAP, tout en reconnaissant que l’entrée de Riyad nécessitera du temps et une approche progressive. Cela se traduira, en pratique, par une série d’étapes préparatoires : par exemple, des dirigeants de Leonardo (l’un des trois principaux contractants du GCAP) ont suggéré que l’Arabie saoudite développe un savoir-faire industriel en lançant des lignes d’assemblage locales pour les hélicoptères NH90 et les chasseurs Eurofighter Typhoon, comme une étape intermédiaire pour acquérir les compétences nécessaires à une contribution à l’avion de nouvelle génération.

Outre les systèmes d’armes de pointe, les objectifs futurs incluent la poursuite du transfert de savoir-faire dans les domaines de la maintenance avancée, de la formation du personnel et de la production locale de composants clés. L’Arabie saoudite ambitionne de développer une industrie de la défense sophistiquée : dans cette optique, l’Italie s’est positionnée comme un partenaire privilégié pour partager technologies et formations. Les projets dans les domaines de la formation des pilotes, de la localisation des lignes de production d’aéronefs et de systèmes d’armes sur le territoire saoudien, ainsi que les collaborations dans le secteur spatial (grâce au MoU entre les agences spatiales des deux pays), font partie des aspirations communes à moyen et long terme. Les deux gouvernements perçoivent cette coopération non seulement comme un moyen d’obtenir des avantages commerciaux immédiats, mais aussi comme une opportunité de renforcer la sécurité nationale et l’autonomie stratégique grâce au développement conjoint des capacités de défense aérienne.

Les technologies avancées que l’Arabie saoudite souhaite acquérir
Transfert technologique et ambitions saoudiennes

L’Arabie saoudite poursuit un ambitieux plan de modernisation militaire qui inclut l’acquisition de technologies aériennes et de défense de pointe grâce à des programmes de transfert de technologie (ToT). Cela signifie que Riyad ne se contente pas d’acheter des systèmes prêts à l’emploi, mais cherche également à importer des compétences et des capacités de production pour développer une industrie de la défense robuste sur son territoire, conformément aux objectifs de Vision 2030. La coopération avec l’Italie – un pays doté d’une solide tradition aérospatiale – s’inscrit dans ce cadre : les réunions bilatérales ont clairement révélé l’intérêt saoudien pour une vaste gamme de technologies avancées dans le domaine aérien. Ci-dessous, nous détaillons les principales catégories de technologies que le Royaume souhaite acquérir et développer avec le soutien italien.

Radars avancés et capteurs de pointe

L’un des piliers d’une défense aérienne efficace repose sur les systèmes radar de nouvelle génération. L’Arabie saoudite souhaite s’équiper de radars avancés pour la surveillance à longue portée et le contrôle de tir des systèmes d’armes. Dans le cadre de la coopération, l’Italie peut offrir une expertise de premier plan grâce à des entreprises comme Leonardo, spécialisées dans les radars AESA (Active Electronically Scanned Array) et les capteurs de pointe. Dès le mémorandum de 2024 entre GAMI et Leonardo, les radars et les systèmes de guerre électronique figuraient parmi les domaines prioritaires de coopération. Cela pourrait se traduire, par exemple, par le transfert vers l’Arabie saoudite de technologies telles que des radars tridimensionnels multifonctions pour la défense aérienne (similaires aux systèmes Kronos de Leonardo) ou des radars AESA à intégrer sur des chasseurs et des drones. L’objectif saoudien est double : améliorer sa capacité à détecter et à suivre les menaces aériennes potentielles (des avions hostiles aux missiles balistiques ou drones entrants) et développer localement la production de composants radar, réduisant ainsi sa dépendance extérieure. Grâce à des programmes de formation et de coproduction, les techniciens saoudiens pourraient acquérir des compétences dans la conception d’antennes à balayage phased-array, les logiciels de traitement du signal et l’intégration de capteurs dans les systèmes d’armes.

Avions de combat de dernière génération

Le secteur des chasseurs et des avions de combat est au cœur des ambitions technologiques saoudiennes. Actuellement, la Royal Saudi Air Force exploite des appareils avancés comme l’Eurofighter Typhoon – un chasseur multirôle de quatrième génération avancée co-développé par l’Italie – et des F-15 de fabrication américaine. Cependant, le Royaume regarde vers l’avenir et souhaite s’assurer une place dans les programmes de prochaine génération. En particulier, l’Arabie saoudite a exprimé son intérêt à participer au développement du chasseur de sixième génération GCAP (Global Combat Air Programme), porté par l’Italie, le Royaume-Uni et le Japon. S’impliquer dans le GCAP offrirait à Riyad un accès à des technologies de pointe (comme la furtivité avancée, l’intelligence artificielle embarquée et des systèmes d’armes novateurs) et un transfert de connaissances sans précédent, bien que cela nécessite d’importants investissements financiers. Les bénéfices attendus incluent non seulement la possession future d’un chasseur de premier plan pour l’aviation saoudienne, mais aussi le développement interne de compétences en ingénierie et en conception aéronautique de haut niveau.

À court terme, pour se préparer à ces jalons, l’Arabie saoudite envisage des acquisitions et des collaborations sur des appareils existants mais technologiquement avancés. Une idée qui a émergé est celle de créer des lignes d’assemblage locales pour des plateformes comme l’Eurofighter Typhoon (en produisant localement des pièces ou des unités supplémentaires) et certains hélicoptères multirôles modernes. Cette stratégie, soutenue par des dirigeants de l’industrie italienne, permettrait aux Saoudiens de se familiariser avec des projets complexes de production aéronautique – par exemple, en construisant sous licence des composants de fuselage, des systèmes avioniques ou des moteurs – afin d’accumuler un savoir-faire pratique. Outre les chasseurs lourds, Riyad examine également des avions d’entraînement avancés et de combat léger, une catégorie où Leonardo propose le jet M-346 Master et le nouvel M-345 : si ces appareils étaient acquis, ils pourraient être assemblés en Arabie saoudite avec un transfert de compétences dans les domaines avionique et motorisation. En somme, dans le secteur des avions de combat, le Royaume vise non seulement à posséder les meilleurs appareils, mais aussi à devenir un acteur actif de leur production et de leur développement, en s’assurant des technologies comme les moteurs turbofan de dernière génération, les systèmes avioniques intégrés, les suites de capteurs et les armements intelligents.

Systèmes de missiles et défenses antiaériennes

Parallèlement aux avions et aux radars, l’Arabie saoudite cherche à se doter de systèmes de missiles avancés, tant offensifs que défensifs, et à en maîtriser la technologie. Compte tenu des précédentes attaques par drones et missiles contre son territoire, une priorité pour Riyad est le renforcement de la défense aérienne et antimissile multicouche. Dans cette optique, le Royaume évalue des solutions européennes pour compléter les systèmes Patriot américains déjà en service. La coopération avec l’Italie (et le consortium italo-franco-britannique MBDA) pourrait faciliter l’accès à des technologies comme les missiles sol-air ASTER 30 et les batteries associées SAMP/T, qui offrent des capacités de défense antiaérienne et antimissile balistique de théâtre. Ces systèmes, co-développés par l’Italie, constituent une alternative avancée et potentiellement plus économique à certaines plateformes américaines. L’intérêt saoudien pour les missiles européens s’étend également aux armements air-air et air-sol : par exemple, le missile de croisière Storm Shadow et le missile air-air à longue portée Meteor – tous deux équipant les Typhoon et issus de collaborations européennes – sont des actifs de grande valeur stratégique. Grâce à des accords de coopération, l’Arabie saoudite pourrait ambitionner de localiser l’assemblage ou la maintenance de ces armements sur son sol, ce qui impliquerait des transferts technologiques concernant les techniques de propulsion avancée, les capteurs de guidage (radar actif, imagerie infrarouge) et les systèmes de contrôle de vol des missiles.

Un autre domaine d’intérêt est la production locale de missiles : le Royaume développe et coproduit déjà certains missiles à courte portée et des drones armés, mais il vise des capacités plus sophistiquées. Le partenariat avec l’Italie pourrait ouvrir la voie à la co-conception de nouveaux systèmes – par exemple, des missiles antinavires de nouvelle génération ou des munitions « rôdeuses » (drones kamikazes) avec guidage avancé. Dans tous les cas, le fil rouge est la volonté saoudienne d’atteindre une indépendance opérationnelle dans le domaine des missiles : disposer d’arsenaux modernes et des connaissances pour les mettre à jour de manière autonome. L’Italie, forte de sa longue expérience dans les missiles sol-air (Aspide, CAMM-ER) et antinavires (Otomat/Teseo), pourrait transmettre une partie de ce savoir-faire technique via des coentreprises industrielles avec des partenaires saoudiens.

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Drones et systèmes sans pilote

L’ère des conflits modernes a démontré l’importance cruciale des drones (UAV) et des systèmes autonomes, tant pour la surveillance que pour des rôles offensifs. Il n’est pas surprenant que l’Arabie saoudite investisse massivement dans ce domaine : le pays a déjà acquis des drones armés d’origine chinoise et collabore avec la Turquie pour coproduire des systèmes avancés (comme le drone Akinci). La coopération avec l’Italie ajoute une pièce supplémentaire, car l’industrie italienne dispose de plateformes UAV performantes et de technologies associées. Leonardo, par exemple, produit la famille de drones tactiques Falco : dès 2017, il a été rapporté que la variante Falco EVO avait été sélectionnée par deux clients au Moyen-Orient, identifiés comme la Jordanie et l’Arabie saoudite. Cela indique que Riyad est familier avec les drones italiens et pourrait désormais viser des modèles plus avancés comme le Falco Xplorer, un UAV MALE (Medium Altitude, Long Endurance) de dernière génération, éventuellement équipé de capteurs et de munitions avancées. L’Arabie saoudite ne souhaite pas seulement acheter des drones complets, mais aussi acquérir le savoir-faire pour les produire ou les intégrer localement : cela implique le transfert de technologies dans les domaines de la robotique, de l’intelligence artificielle appliquée aux véhicules autonomes, des systèmes de communication sécurisés et des capteurs électro-optiques.

Un domaine spécifique de collaboration pourrait être le développement conjoint de drones cibles et de drones de surveillance armés. L’Italie, qui intègre des armements européens (comme les missiles légers de MBDA) sur ses UAV, peut partager ses compétences en intégration système-plateforme. De plus, le transfert technologique pourrait concerner les systèmes de contrôle au sol et les réseaux de communication par satellite nécessaires pour opérer des flottes de drones à grande échelle – des capacités que le Royaume cherche à développer en interne. La coopération dans les systèmes antidrones ne doit pas être négligée : face à la menace que représentent les drones hostiles (comme expérimenté lors des récentes attaques contre des infrastructures pétrolières saoudiennes), Riyad s’intéresse aux technologies de contre-UAV (comme les brouilleurs, les lasers ou les drones « chasseurs »). L’Italie, également active dans ce secteur émergent, peut offrir des solutions antidrones et transmettre des compétences pour développer des contre-mesures localement.

Innovations aérospatiales et autres secteurs émergents

Au-delà des appareils aériens et des systèmes d’armes conventionnels, l’Arabie saoudite aspire à progresser dans une gamme plus large d’innovations aérospatiales, où la coopération avec l’Italie peut apporter une valeur ajoutée. Un secteur clé est l’espace : en juin 2022, les agences spatiales des deux pays (SSC saoudienne et ASI italienne) ont signé un accord de coopération pour l’utilisation pacifique de l’espace, ouvrant la voie à des collaborations sur les satellites, les technologies d’exploration et les applications spatiales. Cela signifie que le transfert technologique pourrait concerner la construction de satellites pour les communications et l’observation de la Terre, l’accès aux services de lancement et le développement de centres de contrôle de mission. Posséder ses propres satellites avancés est stratégique pour l’Arabie saoudite, tant dans les domaines civils que militaire (renseignement, navigation, communications sécurisées), et l’Italie, avec son industrie spatiale mature, peut faciliter ce parcours en partageant son expertise en ingénierie spatiale et en gestion des données satellitaires.

Un autre domaine d’innovation est celui des matériaux avancés et des structures aéronautiques. L’industrie italienne possède une expertise dans l’utilisation de composites en fibre de carbone, d’alliages légers et de techniques de fabrication additive (impression 3D) pour l’aérospatiale. Le transfert de ces technologies de processus aiderait Riyad à produire des composants aéronautiques de pointe (comme des sections de fuselage d’avions ou des pales de turbines) dans des usines sur son territoire. Cela va de pair avec l’accent mis sur la maintenance, la réparation et la révision (MRO) : l’accord de 2024 mentionnait explicitement la coopération dans le MRO des structures aéronautiques, signe que l’Arabie saoudite veut des capacités autonomes pour entretenir et moderniser ses avions et hélicoptères localement. L’Italie contribue en formant des techniciens et en transférant des méthodologies pour l’assistance avancée des aéronefs, des moteurs et de l’avionique.

Enfin, il convient de mentionner les technologies numériques et de simulation. Une défense aérienne moderne nécessite des logiciels sophistiqués pour le commandement et le contrôle, la cybersécurité pour protéger les réseaux militaires, ainsi que des simulateurs de vol et de mission pour former les équipages. Dans ces domaines également, l’Italie peut apporter son soutien avec des solutions déjà développées (systèmes C4I, simulateurs VR/AR pour pilotes, etc.) et fournir le savoir-faire pour que le Royaume développe ses propres logiciels. L’Arabie saoudite a annoncé des initiatives pour former des ingénieurs et des développeurs dans le secteur de la défense : par exemple, dans le cadre de la collaboration italo-saoudienne, des projets de développement du capital humain ont été mis à l’agenda. Cela inclut des programmes d’échange de personnel, des bourses d’études pour des universitaires saoudiens dans les universités et industries italiennes, et la création de centres de recherche conjoints en Arabie saoudite. Ces investissements dans les « esprits » autant que dans les « machines » garantiront à long terme que les innovations aérospatiales s’enracinent dans le tissu industriel saoudien, permettant au pays d’évoluer d’un simple acheteur d’armements à un acteur technologique régional.

Implications géopolitiques et stratégiques de la coopération italo-saoudienne
Impact sur la sécurité régionale au Moyen-Orient

La coopération croissante en matière de défense aérienne entre l’Italie et l’Arabie saoudite s’inscrit dans un contexte géopolitique sensible, avec des impacts potentiels sur la sécurité de la région Moyen-Orient-Golfe. Pour l’Arabie saoudite, renforcer ses capacités de défense aérienne – grâce à de nouveaux systèmes d’armes, des technologies avancées et le savoir-faire fourni par l’Italie – signifie améliorer sa posture de dissuasion face aux menaces régionales. Un Royaume mieux protégé par des systèmes antimissiles modernes et doté d’une aviation de pointe est mieux équipé pour faire face à d’éventuelles attaques de missiles balistiques ou de drones armés par des acteurs hostiles (comme les milices houthies au Yémen ou, dans un scénario pire, l’Iran). Cela pourrait contribuer à stabiliser la région par une dissuasion accrue : si l’Arabie saoudite peut intercepter efficacement les attaques aériennes, le risque que ces actes hostiles déclenchent une escalade militaire à grande échelle diminue. Cependant, l’accumulation d’armements avancés par les Saoudiens pourrait alimenter une course aux armements avec l’Iran et d’autres pays voisins, les incitant à renforcer leurs propres arsenaux pour ne pas être distancés. L’équilibre régional de la sécurité pourrait donc subir des ajustements : la coopération italo-saoudienne, en fournissant à Riyad des technologies de premier ordre, contribue à maintenir l’Arabie saoudite parmi les principales puissances militaires du Moyen-Orient, deuxième importateur d’armes au monde après l’Inde sur la période 2018-2022.

Un autre aspect concerne le rôle de l’Arabie saoudite comme force de sécurité régionale. Se doter de meilleures défenses aériennes permet à Riyad de protéger non seulement son propre territoire et ses infrastructures critiques (comme les installations pétrolières), mais aussi d’offrir une sorte de parapluie défensif aux voisins du Conseil de coopération du Golfe (CCG) en cas de crise. À terme, le partage de données radar avancées ou l’intégration de systèmes d’armes interopérables avec ceux d’autres alliés arabes pourraient favoriser la création d’un réseau régional de défense aérienne coopératif, un sujet souvent évoqué parmi les monarchies du Golfe. L’Italie, en contribuant au renforcement saoudien, soutient indirectement cette vision de sécurité collective dans le Golfe, qui coïncide avec les intérêts occidentaux de protéger la liberté de navigation et la stabilité dans une zone cruciale pour les approvisionnements énergétiques mondiaux.

Il est également à noter qu’une Arabie saoudite plus autonome militairement – grâce au transfert de technologies – pourrait intervenir plus rapidement et efficacement dans des scénarios de conflit dans la région. Par exemple, la capacité de produire des munitions et des pièces de rechange localement réduit les temps d’arrêt et la dépendance envers les fournisseurs étrangers en cas d’urgence. Cela pourrait se traduire par une posture saoudienne plus affirmée dans la direction de coalitions militaires régionales (comme déjà fait au Yémen ou lors d’exercices conjoints avec des alliés). Bien que l’Italie ne soit pas aussi impliquée opérationnellement dans les théâtres moyen-orientaux que d’autres acteurs, en fournissant un soutien technologique, elle devient en quelque sorte une participante indirecte aux équilibres de sécurité régionaux : le succès ou l’échec des systèmes italo-saoudiens sur le terrain influencera la perception de la fiabilité de l’équipement occidental dans la région, face à la concurrence des systèmes russes ou chinois.

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Relations avec les alliés de l’OTAN et les partenaires du Golfe

Le choix de l’Italie comme partenaire privilégié par les Saoudiens pour la défense aérienne s’entrelace avec les dynamiques des relations de Riyad avec d’autres alliés traditionnels (les États-Unis en premier lieu) et avec les relations intra-européennes au sein de l’OTAN. Historiquement, l’Arabie saoudite s’est principalement appuyée sur les États-Unis et le Royaume-Uni pour ses armements avancés. Aujourd’hui encore, la majorité des fournitures militaires à Riyad provient des États-Unis (environ 75 % entre 2019 et 2023). Cependant, depuis quelques années, les Saoudiens cherchent à diversifier leurs fournisseurs : en plus de Washington et de Londres, ils ont accru leurs achats auprès de pays comme la France, la Corée du Sud, et ont ouvert de nouveaux canaux de collaboration avec l’Italie et l’Espagne. Cela vise à réduire la dépendance politique envers un seul allié et à faire leurs achats en fonction du meilleur rapport technologie/prix. Dans ce contexte, l’Italie s’est insérée en profitant également de moments de distanciation entre Riyad et d’autres partenaires : par exemple, récemment, certaines restrictions ou critiques européennes (Allemagne, ou même le gouvernement italien en 2019-2020) sur les livraisons d’armes aux Saoudiens en raison du conflit au Yémen ont temporairement freiné certains transferts. Aujourd’hui, avec le gouvernement italien ayant levé les restrictions sur l’exportation de missiles et de bombes vers l’Arabie saoudite en 2023 (annulant une interdiction imposée en 2019), Rome se repositionne comme un partenaire fiable et exempt de réserves politiques pour soutenir la défense saoudienne.

Pour les alliés de l’OTAN, la coopération italo-saoudienne peut être vue sous deux angles. D’une part, l’approfondissement des liens d’un membre de l’OTAN avec l’Arabie saoudite est cohérent avec l’objectif occidental de maintenir le Royaume solidement ancré dans la sphère d’influence occidentale. Les États-Unis et d’autres partenaires pourraient donc voir d’un bon œil le fait que l’Italie contribue à moderniser les défenses saoudiennes, car cela renforce un pilier de la stabilité dans le Golfe et réduit la tentation de Riyad de se tourner vers la Russie ou la Chine pour répondre à ses besoins. D’autre part, il existe également une dimension de compétition industrielle intra-alliée : en fournissant des technologies à Riyad, l’Italie pénètre un marché jusque-là dominé par les Américains, les Britanniques et, dans une moindre mesure, les Français. Cela peut engendrer une concurrence pour de futurs contrats (par exemple, si l’Arabie saoudite décide d’acquérir de nouveaux systèmes de défense aérienne, elle devra choisir entre des solutions américaines ou européennes – et l’Italie pousse pour les solutions euro-italiennes). Un cas emblématique est le programme GCAP : Londres, Rome et Tokyo discutent de l’inclusion saoudienne, et tandis que l’Italie s’est dite favorable, le Royaume-Uni a suggéré une approche prudente, voulant s’assurer que l’entrée d’un nouveau partenaire ne compromette ni les délais ni la confidentialité du projet. En fin de compte, si l’Arabie saoudite y adhère, ce sera un succès partagé pour l’industrie de l’OTAN (le Royaume-Uni et l’Italie en bénéficiant financièrement), mais cela nécessitera un équilibre politique pour intégrer un partenaire hors OTAN dans un projet aussi sensible.

En ce qui concerne les autres pays du Golfe, la coopération italo-saoudienne pourrait provoquer des effets en cascade. Des nations comme les Émirats arabes unis et le Qatar – avec lesquels l’Italie entretient également de solides relations défensives, ayant par exemple vendu des navires et des avions à Doha (y compris des packages de formation et de soutien) – observeront attentivement les résultats de l’axe Rome-Riyad. Si cette initiative réussit à renforcer l’industrie saoudienne, d’autres alliés du CCG pourraient chercher des accords similaires pour ne pas être distancés en termes de technologie militaire. D’ailleurs, Leonardo et d’autres entreprises italiennes sont déjà actives dans toute la région : la concurrence entre les monarchies du Golfe pourrait se traduire par de nouveaux contrats pour l’Italie (par exemple, si les Saoudiens localisent la production de drones Leonardo, les Émirats – leaders dans le domaine des UAV – pourraient vouloir s’associer ou viser d’autres collaborations avec l’Italie pour rester compétitifs). En même temps, un renforcement de l’axe italo-saoudien exige un équilibre diplomatique de la part de l’Italie : Rome devra continuer à entretenir d’excellentes relations avec des acteurs comme le Qatar, le Koweït et Oman, en maintenant une position perçue comme collaborative et non exclusive. Jusqu’à présent, l’approche italienne semble inclusive – l’Italie participe à des salons et des exercices dans plusieurs pays du Golfe – et le partenariat avec Riyad est donc géré comme faisant partie d’une stratégie plus large de présence dans la région.

Stratégies de politique étrangère saoudienne

Pour l’Arabie saoudite, le partenariat renforcé avec l’Italie dans le domaine défensif s’inscrit dans une stratégie de politique étrangère plus large visant à diversifier les alliances et à accroître l’autonomie stratégique. Ces dernières années, sous la direction du prince héritier Mohammed ben Salmane, le Royaume a manifesté un intérêt à élargir son éventail de partenaires internationaux : tout en restant proche des États-Unis, Riyad a recherché des relations plus étroites avec des puissances européennes (France, Royaume-Uni, Italie, Grèce), la Russie (dans les domaines énergétiques et du dialogue sur la sécurité) et la Chine (mémorandums sur la technologie et les investissements). Dans cette optique, la coopération avec l’Italie offre plusieurs avantages. Tout d’abord, l’Italie est membre du G7 et de l’OTAN, mais elle bénéficie d’une tradition de diplomatie flexible et orientée vers les affaires au Moyen-Orient, ce qui la rend moins « encombrante » politiquement que les grands alliés. Cela permet à Riyad d’acquérir des technologies occidentales sans une exposition excessive aux pressions politiques ou aux questions des droits humains (domaine dans lequel Rome adopte un profil dialoguant). De plus, impliquer plusieurs partenaires (Italie, Royaume-Uni, France, Turquie, etc.) dans ses programmes de défense permet au Royaume de mettre les fournisseurs en concurrence pour obtenir de meilleures conditions et, surtout, de sécuriser le transfert technologique tant désiré, que souvent un fournisseur dominant serait réticent à concéder. Par exemple, les États-Unis vendent historiquement des chasseurs et des équipements sophistiqués mais partagent peu de la chaîne de production ; l’Italie, en revanche, en quête de parts de marché, semble disposée à conclure des accords de coproduction (comme en témoignent les MoU avec GAMI/MISA). Cela s’aligne parfaitement avec la Vision 2030 saoudienne, qui vise à localiser plus de 50 % des dépenses militaires saoudiennes d’ici 2030 (contre moins de 10 % il y a quelques années). Des collaborations comme celle avec l’Italie sont l’outil pour atteindre cet objectif, en veillant à ce que chaque achat majeur entraîne une croissance des capacités locales (usines, savoir-faire, emplois spécialisés) en Arabie saoudite.

D’un point de vue stratégique, renforcer son industrie militaire et lier des partenaires technologiques à long terme confère également à l’Arabie saoudite un poids diplomatique accru. Un pays qui co-conçoit un chasseur de sixième génération avec l’Italie et le Royaume-Uni, ou qui produit des composants critiques de systèmes d’armes, devient partie intégrante des réseaux internationaux de défense, réduisant ainsi le risque d’isolement. Par exemple, si le Royaume intégrait le consortium GCAP, il serait impliqué dans des relations techniques et militaires étroites avec trois membres du G7, consolidant une alliance de facto qui va au-delà des simples fournitures commerciales. Cela peut se traduire par un levier diplomatique : Riyad pourra faire valoir son rôle industriel dans les forums et les négociations, sachant que Rome ou Londres auront également intérêt à maintenir un partenariat solide. En fin de compte, la stratégie saoudienne vise à passer de consommateur à producteur partiel de sécurité, exportant peut-être à l’avenir ses propres équipements (l’industrie saoudienne produit déjà en collaboration des véhicules blindés, des drones et des munitions). L’Italie, en participant à cette transformation, est intégrée dans la vision saoudienne d’une puissance régionale militairement avancée et moins dépendante de Washington.

Stratégies de politique étrangère italienne

Du côté italien, l’approfondissement de la coopération avec l’Arabie saoudite en matière de défense s’inscrit dans la stratégie de Rome visant à retrouver une centralité dans le scénario méditerranéen élargi et à soutenir son industrie de la défense sur les marchés internationaux. Le gouvernement italien actuel a clairement misé sur une diplomatie économique active envers les pays du Golfe : des visites de haut niveau (comme celles de la présidente du Conseil Giorgia Meloni fin 2022 et début 2023) ont conduit à la signature d’accords de plusieurs milliards de dollars dans divers secteurs. L’Italie considère l’Arabie saoudite comme un partenaire clé tant pour les questions énergétiques (transition et investissements) que pour la sécurité en Méditerranée et en mer Rouge, compte tenu de la projection saoudienne vers la Corne de l’Afrique et de son influence dans le monde islamique. Une collaboration étroite dans le domaine de la défense consolide une relation de confiance qui peut se refléter dans la coopération sur des dossiers régionaux : par exemple, avoir Riyad de son côté peut aider l’Italie dans les missions de stabilisation en Afrique ou faciliter des dialogues (comme en Libye, où l’Italie et l’Arabie saoudite soutiennent la stabilité et luttent contre l’extrémisme).

Une motivation concrète de l’élan italien est certainement le soutien à l’exportation de son industrie nationale de la défense. Des secteurs comme l’aérospatiale et l’armement sont vitaux pour l’économie italienne en termes d’innovation et d’emplois ; s’ouvrir davantage au marché saoudien – l’un des plus grands importateurs d’armes au monde – représente une opportunité économique colossale. Avoir obtenu des contrats et des MoU pour environ 10 milliards de dollars en janvier 2025 (dont une part significative dans le domaine de la défense/aérospatiale) est un succès tangible pour cette stratégie. Rome cherche clairement à se positionner comme le partenaire privilégié de Riyad en Europe, profitant également du moindre activisme momentané d’autres pays de l’UE en Arabie saoudite : par exemple, l’Allemagne a maintenu des restrictions sur les exportations militaires vers le Royaume ces dernières années, tandis que l’Italie les a levées ; cela laisse une marge aux entreprises italiennes pour combler les vides laissés par Berlin. De même, l’Italie cherche à suivre le rythme de la France et du Royaume-Uni, qui ont déjà beaucoup vendu à Riyad (des systèmes satellitaires français aux navires de guerre britanniques) : en offrant non seulement des produits mais des partenariats avec transfert de technologie, l’Italie différencie sa proposition commerciale, la rendant plus attrayante pour les Saoudiens.

D’un point de vue diplomatique, l’Italie doit toutefois équilibrer avec soin cette proximité avec Riyad avec ses engagements envers ses alliés et les valeurs occidentales. Il y a eu des pressions internes (ONG, opinion publique) contre les ventes d’armes aux Saoudiens en raison de la guerre au Yémen ; une coopération aussi étroite dans la défense exige du gouvernement un travail de justification publique, peut-être en mettant l’accent sur les aspects de renforcement des capacités des partenaires et de stabilisation régionale qui en découlent. Jusqu’à présent, Rome a souligné que soutenir l’Arabie saoudite signifie favoriser un acteur modéré et en évolution positive dans le monde arabo-islamique – notamment après les récentes réformes sociales saoudiennes et l’engagement de Riyad dans des processus de paix (trêve au Yémen, ouverture à l’Iran via un dialogue médiatisé par la Chine, etc.). Au sein de l’OTAN/UE, l’Italie présente cette coopération comme complémentaire aux efforts communs : par exemple, l’éventuelle entrée de Riyad dans le projet GCAP apporterait des ressources financières importantes qui allégeraient le fardeau des partenaires européens et créeraient des opportunités industrielles (Meloni a parlé de consolider des « partenariats stratégiques » à travers un GCAP élargi).

À long terme, le pari italien est qu’un axe solide avec l’Arabie saoudite lui garantisse des dividendes géopolitiques et économiques durables. Au-delà des commandes, l’Italie vise à se positionner comme un interlocuteur privilégié de l’ensemble du Golfe : un rôle de pivot sud-européen capable de dialoguer avec tous les monarques du CCG. Cela augmenterait le poids de Rome dans les instances internationales lorsqu’il s’agit de traiter des questions relatives au Moyen-Orient (de la sécurité énergétique à la lutte contre le terrorisme). De plus, l’intégration industrielle italo-saoudienne pourrait permettre qu’à l’avenir, les produits développés ensemble (drones, composants de chasseurs, électronique militaire) soient exportés conjointement vers des pays tiers, renforçant une alliance également commerciale. Des incertitudes subsistent : l’évolution politique saoudienne, par exemple, ou d’éventuelles crises (comme des scénarios de changement de leadership dans l’un ou l’autre pays) pourraient avoir un impact. Mais à l’heure actuelle, les implications stratégiques sont que l’Italie et l’Arabie saoudite tissent un partenariat qui renforce la position des deux : Riyad comme puissance régionale militairement avancée et moins dépendante, Rome comme acteur européen projeté dans le Golfe et promoteur de la stabilité dans une région cruciale. Dans un monde multipolaire et incertain, cette collaboration défensive offre aux deux pays un outil supplémentaire pour poursuivre leurs intérêts de sécurité et de prospérité à long terme.

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