Grand entretien exclusif pour Le Diplomate avec Tigrane Yégavian

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Géopolitique du Caucase
RéalisationLe Lab Le Diplo

Tigrane Yégavian est chercheur au Centre français sur le renseignement (CF2R), membre du comité de rédaction de la revue de géopolitique Conflits, il enseigne à l’université internationale Schiller. Auteur de Géopolitique de l’Arménie, éditions Bibliomonde 2022. Et Co-directeur avec Éric Denécé de l’ouvrage Haut Karabaghle Livre Noir, éditions Ellipses, 2022. 

Il est l’un des meilleurs spécialistes européens du Caucase et un observateur attentif des jeux d’influence au Moyen-Orient. Il apporte un éclairage précieux sur les dynamiques géopolitiques complexes qui traversent cette vaste région. 

Entre le rôle croissant de la Turquie d’Erdogan — de la Méditerranée orientale au Caucase, en passant par la Syrie et Gaza — et la reconfiguration des rapports de force au profit d’Ankara et au détriment d’acteurs historiques en perte de vitesse comme l’Iran et le Hezbollah, une nouvelle donne régionale est en train de prendre forme. 

Dans cet entretien, Le Diplomate cherche à décrypter avec lui ces évolutions, ainsi que l’impact du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche sur la politique étrangère américaine et les alliances régionales.

Propos recueillis par Angélique Bouchard 

Le Diplomate : La Turquie d’Erdogan apparaît désormais comme un acteur incontournable, aussi bien dans le Caucase (soutien à l’Azerbaïdjan contre l’Arménie) qu’en Méditerranée et au Moyen-Orient. Quelle est, selon vous, la stratégie d’Ankara pour s’imposer comme une puissance régionale dominante, et comment se traduit-elle concrètement sur le terrain ?

Tigrane Yégavian : Il me semble que la Turquie d’Erdogan poursuit une stratégie de puissance régionale qui repose sur plusieurs axes complémentaires ; elle combine diplomatie active, expansion militaire, influence économique et soft power. Cette stratégie s’articule autour de plusieurs objectifs. D’abord sur le plan militaire, la Turquie a massivement investi dans son complexe militaro-industriel (drones Bayraktar, modernisation de son armée) pour développer une autonomie stratégique face aux Etats-Unis et à la Russie. Elle mène des interventions directes ou par procuration : en Syrie (opérations « Bouclier de l’Euphrate », « Source de Paix »), en Libye (soutien au GNA contre Haftar), et dans le Haut-Karabakh (soutien militaire et logistique à l’Azerbaïdjan en 2020).

Mais la Turquie renforce aussi sa présence en Méditerranée orientale avec des bases militaires (Qatar, Somalie, Chypre du Nord) et des accords de coopération (Libye, Azerbaïdjan, Pakistan).

Sur le plan idéologique Ankara utilise un discours néo-ottomaniste pour rallier les populations turcophones et musulmanes, notamment via le tout puissant ministère des Cultes (Diyanet) très actif dans les pays européens accueillant des communautés turques et en Afrique.  Erdogan joue la carte du panislamisme pour se positionner comme un leader du monde musulman face à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Enfin il ne faut pas oublier le discours panturquiste qui sert à la fois à séduire ses partenaires ultranationalistes du MHP grâce à qui la coalition gouvernementale tient, l’Azerbaïdjan, Chypre nord, et les communautés turcomanes de Syrie et d’Irak, qui servent de relais d’influence à Ankara.

Soulignons que la très professionnelle diplomatie turque oscille entre agressivité, pragmatisme et opportunisme. La Turquie alterne confrontation et négociation avec l’Occident : elle utilise la question des réfugiés comme levier face à l’UE et joue un rôle ambigu dans l’OTAN en achetant des S-400 russes tout en maintenant son alliance avec les États-Unis. Elle pratique une diplomatie transactionnelle, notamment en négociant avec la Russie en Syrie tout en soutenant l’Ukraine contre Moscou.

Sur le plan du soft power, et de la géoéconomie, la Turquie s’appuie sur son agence de coopération internationale TİKA, les nouvelles plateformes numériques de la chaîne publique TRT, et les instituts Yunus Emre Institute équivalents de nos alliances françaises. Elle dispose enfin d’un vaste réseau d’entreprises (construction, défense, énergie) pour étendre son influence en Afrique, en Asie centrale et dans les Balkans. Et investit dans les infrastructures en Afrique et tente de contrôler des routes énergétiques en Méditerranée.

Dans le Caucase, nous assistons au renforcement du corridor Turquie-Azerbaïdjan via le Nakhitchevan, ce qui pose une sérieuse menace sur l’intégrité territoriale de l’Arménie, menacée de démantèlement, et accentue la pression sur l’Iran. En Méditerranée, de tensions avec la Grèce et Chypre sur les hydrocarbures sont à craindre tout comme une confrontation avec la France, pour l’heure marginalisée. Au Moyen-Orient la Turquie dispose d’une formidable profondeur stratégique grâce à la Syrie, où une grande partie des de la nouvelle équipe gouvernementale est titulaire de la double nationalité syrienne – turque.  

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LD : Quid du conflit entre l’Azerbaïdjan, que la Turquie soutient et l’Arménie ? Quel est l’avenir de l’Arménie ? Sur qui les Arméniens peuvent-ils compter ? Que peuvent-ils attendre de la nouvelle administration Trump ?

TY : Depuis la guerre de 2020 au Haut-Karabakh et le nettoyage ethnique de 2023, la Turquie et l’Azerbaïdjan ont consolidé leur position stratégique dans le Caucase. Le soutien turc à Bakou a été déterminant, tant sur le plan militaire (drones, mercenaires syriens, conseillers) que diplomatique. L’Arménie, isolée et affaiblie, voit territoire menacé même après la perte de l’Artsakh en 2023. Environ 200 k² de son territoire est occupé par l’armée azerbaïdjanaise.

Aujourd’hui, l’Arménie est confrontée à une double menace : d’abord l’étau se resserre de la part de l’Azerbaïdjan, qui cherche à établir un corridor à travers le Syunik (Zanguezour), qui relierait le Nakhitchevan au reste de l’Azerbaïdjan. Ensuite l’abandon de ses alliés traditionnels, notamment la Russie, qui a laissé Bakou agir librement en raison de ses propres intérêts (accords avec la Turquie, affaiblissement relatif de son influence au début de la guerre d’Ukraine).

Moscou a privilégié ses relations avec Bakou et Ankara plutôt que de défendre l’Arménie.

Le retrait progressif des troupes russes et l’inaction face aux incursions azerbaïdjanaises montrent que le Kremlin ne considère plus l’Arménie comme un partenaire stratégique prioritaire, tout au plus une variable d’ajustement. Toutefois, une rupture totale avec la Russie reste compliquée pour Erevan, étant donné la dépendance militaire et énergétique. 90% de son énergie vient de la Russie ou appartient à la Russie et son prix est fixée par la Russie. Actuellement, l’Arménie importe du gaz de Russie au prix de 165 dollars les 1000 mètres cubes. L’Arménie est le pays qui achète le gaz russe le moins cher après la Biélorussie. De nombreux commentateurs considèrent le faible coût du gaz russe comme un prix politique. Moscou s’appuie largement sur le facteur gazier dans sa politique étrangère.

74% de son agriculture s’exporte vers la Russie mais ne représente que 2% de ses importations. 

Et ce ne sont pas les Européens qui sont en capacité de les remplacer et des livraisons d’armes, mais Paris manque de leviers concrets. Les Etats-Unis sous Joe Biden ont certes reconnu le génocide des Arméniens mais ont levé l’interdiction de ventes d’armes à l’Azerbaïdjan, ni condamné le nettoyage ethnique de septembre 2023 contre les Arméniens du Haut – Karabagh

Washington privilégie l’axe Turquie-Azerbaïdjan contre la Russie et l’Iran. L’Union Européenne achète du gaz azerbaïdjanais pour compenser la perte du gaz russe, ce qui affaiblit sa capacité à faire pression sur Bakou.

L’Iran est opposé au projet du corridor Zanguezour, qui affaiblirait son influence dans la région. Téhéran a renforcé sa présence militaire près de la frontière arménienne et a tenu des discours hostiles envers Bakou. Toutefois, l’Iran agit par pragmatisme et n’interviendra pas directement sans menace directe sur son territoire.

Donald Trump privilégie des accords pragmatiques et transactionnels. Il pourrait voir l’Arménie comme un levier contre l’Iran, mais certainement pas comme une priorité stratégique. L’influence des Etats-Unis va décliner en Arménie, avec la suppression des programmes de l’US Aid et de la crainte (avérée) d’un gel du financement des médias américains en langue arménienne (Radio Liberté Europe, VOA).

De son côté Donald Trump va laisser l’Arménie plus isolée, au mieux sous le parrainage de la Turquie. Dans ce contexte, l’Arménie joue sa survie à chaque pas, elle évolue comme un funambule. Erevan doit repenser sa stratégie pour survivre dans un environnement hostile. Diversifier ses alliances (Inde et France), pour l’achat d’armements et la formation afin de pallier l’absence d’armes ruses mais sans rompre non plus avec Moscou ni s’aliéner l’Iran. Il y a un impératif de moderniser son armée en investissant dans une défense autonome, avec des drones, des systèmes anti aériens et des services de renseignement extérieur et intérieur professionnels. Et réformer sa diplomatie, en adoptant une approche plus proactive sur la scène internationale. L’Arménie est à un tournant critique. Elle ne peut plus compter sur ses alliés traditionnels et doit élaborer une nouvelle stratégie d’adaptation et de résilience. C’est aujourd’hui une gageure vu le déficit de ressources humaines disponibles et sa politique étrangère illisible.

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LD : Les Turcs ont manifestement soutenu des factions islamistes syriennes, notamment dans la région d’Idlib, et à présent le projet d’une “nouvelle Syrie” autour de Joulani, dont ils sont les principaux et plus importants parrains. Comment jugez-vous l’évolution de cette politique turque envers Damas et les groupes rebelles ? Quels sont les intérêts d’Erdogan en Syrie, et comment cela affecte-t-il les Kurdes et les alliances régionales ?

TY : Fidèle à son oscillation entre pragmatisme, agressivité et transactionnel, la politique turque a évolué en fonction du contexte. Entre 2011 et 2016, elle finançait et armait divers groupes rebelles islamistes (Ahrar al Cham, Jaysch al Islam) et turkmènes contre Assad, afin de mettre en place un régime pro turc et contrer l’influence de Moscou et Téhéran.

Entre 2016 et 2019 la lutte contre les Kurdes de Syrie devient la priorité d’Ankara qui lance les opérations Bouclier de l’Euphrate, Rameau d’Olivier à Afrine, et Source de Paix pour contrôler une zone tampon et chasser les YPG. Puis depuis 2020, la consolidation de la zone d’Idlib, d’Afrine et du nord d’Alep, où Ankara exerce une influence à des degrés divers. La Turquie est devenue le principal parrain des mercenaires de l’Armée Nationale Syrienne et contrôle indirectement Hayat Tahrir al-Cham qu’elle a utilisé comme outil d’influence, une zone tampon pour contenir les réfugiés hors de son sol et pour négocier avec la Russie et empêcher une offensive syrienne sur Idlib.

Aujourd’hui neutraliser la menace kurde demeure un enjeu de sécurité nationale pour Ankara. Par le passé la Turquie a cherché à cherche à empêcher l’autonomie des Kurdes syriens (YPG), qu’elle considère comme une extension du PKK et à imposer une zone de sécurité de 30 km le long de sa frontière, en expulsant les Kurdes et en y installant des réfugiés arabes. Son projet consiste à pratiquer une ingénierie démographique en homogénéisant le nord de la Syrie au profit des Arabes et des Turcomans sunnites au détriment des Kurdes et des minorités chrétiennes.

Ankara a réussi à imposer sa présence comme un acteur incontournable en Syrie, malgré la complexité du terrain. En maintenant un équilibre entre confrontation et coopération avec Assad, la Russie et l’Iran, Erdogan maximise son influence. Aujourd’hui les Turcs tirent les marrons du feu, Alep, Idleb, Manbij, Azzaz sons sous leur influence. S’oriente vers une solution à la Chypre nord et les Turcs ont-ils les ressources nécessaires pour contrôler la Syrie tout entière ? Mon hypothèse est que l’on s’achemine à un condominium turco-israélien qui met en péril l’hypothétique unité de la Syrie.

LD : Au-delà du soutien qu’Ankara affiche parfois pour la cause palestinienne, on constate dans le même temps une normalisation relative avec Israël. Comment la Turquie d’Erdogan se positionne-t-elle véritablement dans le conflit à Gaza ? S’agit-il d’une posture diplomatique et rhétorique ou d’un engagement plus profond susceptible d’avoir des conséquences stratégiques ?

TY : Recep Tayyip Erdoğan dans sa gestion du conflit à Gaza fait preuve de dualité entre un soutien affirmé à la cause palestinienne et une normalisation progressive des relations avec Israël. En 2022, Ankara a rétabli pleinement ses relations diplomatiques avec Tel-Aviv, tout en réaffirmant son engagement envers la cause palestinienne. Le massacre du 7 octobre a rebattu les cartes, à mesure que la répression israélienne s’intensifiaient réaction d’Erdoğan est devenue plus virulente. En interne, le président turc mobilise son électorat conservateur islamo-nationaliste en alimentant une rhétorique antisioniste, voir antisémite, affichant un soutien de façade aux Palestiniens… sans pousser à la rupture diplomatique avec Israël. Ce qui ne l’a pas empêché en mai 2024 d’annoncer la rupture des relations commerciales avec l’Etat hébreu.  Un embargo qui n’est pas sans conséquence puisqu’en 2023 la Turquie a été le quatrième partenaire commercial d’Israël, pour des montants de plusieurs milliards de dollars d’exportations. En sa qualité de septième producteur alimentaire mondial, la Turquie était jusqu’alors la principale source d’approvisionnement israélienne pour certains produits de base comme les pâtes ou le chocolat.

Des rapports ont mis en évidence une montée des tensions entre la Turquie et Israël, suggérant que les ambitions régionales d’Ankara pourraient conduire à des confrontations accrues avec Tel-Aviv. Certains analystes estiment que l’influence turque croissante en Syrie, notamment par le soutien à des forces proxy hostiles à Israël, pourrait représenter une menace plus importante que celle posée par l’Iran. Malgré ces tensions, la Turquie a laissé entendre qu’une reprise des relations commerciales avec Israël serait envisageable si une paix durable était établie. Nail Olpak, président du Conseil des relations économiques extérieures de la Turquie (DEIK), avait déclaré en janvier 2025 que le commerce pourrait reprendre “si la paix est permanente”. 

Dans le conflit à Gaza le rôle de la Turquie est marqué par une opposition ferme aux actions israéliennes, combinée à une volonté de jouer un rôle actif dans la médiation et la reconstruction. Cette posture reflète une stratégie diplomatique visant à renforcer l’influence régionale de la Turquie tout en préservant ses intérêts stratégiques et économiques.

LD : La récente période a vu un affaiblissement relatif du Hezbollah, tout comme celui de l’Iran, confronté à des défis intérieurs et extérieurs avec l’affrontement contre l’État hébreu. Comment la Turquie tire-t-elle profit de cette reconfiguration du paysage géopolitique au Proche-Orient ? Est-elle en passe de s’imposer comme un relais de poids au sein du monde musulman, au détriment de Téhéran et de ses alliés ?

TY : l’affaiblissement du Hezbollah, de l’Iran offre à l’évidence une opportunité stratégique sans précédent à la Turquie pour renforcer son influence régionale. La Turquie a de façon très nette contribué à la chute du régime Assad en étendant son influence dans le nord du pays comme tremplin pour la conquête de la « Syrie utile » et en armant la milice de l’ANS contre les Kurdes. Acteur incontournable la Turquie se repositionne dans le Caucase et l’Asie centrale. Encore une fois, je m’interroge sur ses moyens de « tenir » la Syrie et de reconstituer sa nouvelle armée ?

Les États arabes du Golfe, traditionnellement méfiants envers l’Iran, pourraient voir en la Turquie un partenaire alternatif, bien que les ambitions régionales d’Ankara suscitent également des appréhensions.

Si Israël suit de près les derniers développements, son intérêt serait un Etat syrien désintégré en plusieurs entités avec un Etat druze tampon sur son flanc nord-est et une extension de ses frontières à l’est. Il y a fort à parier que l’expansion turque pourrait représenter un nouveau défi stratégique pour Tel-Aviv.

LD : Le Qatar est historiquement un partenaire proche d’Erdogan, tandis que les relations avec l’Arabie saoudite de Mohammed ben Salmane ont pu être plus tendues, avant de sembler s’apaiser. Comment évaluez-vous la coopération — ou la rivalité — entre la Turquie et ces puissances du Golfe ? Peut-on s’attendre à une redéfinition des alliances régionales autour d’un retour de l’“axe turco-qatari” face à Riyad et ses alliés ?

TY : La Turquie et le Qatar ont consolidé une alliance politique, économique et militaire solide. Ankara et Doha partagent des objectifs communs en matière de politique étrangère et soutiennent la confrérie des Frères musulmans, ce qui les a rapprochées sur divers dossiers régionaux. Cette coopération s’est intensifiée avec la mise en place de bases militaires turques au Qatar, renforçant ainsi leur partenariat stratégique. 

Historiquement, les relations entre la Turquie et l’Arabie saoudite ont été marquées par des tensions, exacerbées par des divergences sur des questions régionales et des incidents diplomatiques, tels que l’affaire Jamal Khashoggi en 2018. Cependant, depuis 2021, une tendance à la désescalade est observable. La visite du prince héritier Mohammed ben Salmane en Turquie en juin 2022 a symbolisé ce rapprochement, ouvrant la voie à une coopération accrue, notamment sur le plan économique. 

La dynamique actuelle suggère une redéfinition des alliances au Moyen-Orient. Si l’axe turco-qatari demeure solide, le rapprochement entre la Turquie et l’Arabie saoudite indique une volonté des acteurs régionaux de privilégier le pragmatisme et la coopération économique. Cette évolution pourrait atténuer les rivalités traditionnelles et favoriser des partenariats plus flexibles, adaptés aux réalités géopolitiques et économiques contemporaines.

La Turquie semble adopter une approche plus inclusive en renforçant ses relations avec l’Arabie saoudite. Cette stratégie pourrait conduire à une reconfiguration des alliances régionales, où la coopération prime sur la confrontation.

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LD : Donald Trump, de retour au pouvoir, envisage vraisemblablement de reconfigurer la politique américaine au Moyen-Orient. Quelles conséquences ce changement de leadership peut-il avoir pour la Turquie ? Certes Trump n’apprécie que les hommes forts mais sa relation avec le néo-Sultan n’a pas toujours été rose. Erdogan cherchera-t-il déjà à tirer parti de cette nouvelle donne, et quel impact cela pourrait-il avoir pour les Kurdes, l’OTAN et les partenaires européens de la Turquie ?

TY : Bien que Trump et le président turc Recep Tayyip Erdoğan aient entretenu une relation personnelle relativement étroite lors du premier mandat de Trump, les relations bilatérales ont été marquées par des tensions sur des questions clés. Des différends persistaient sous Biden, notamment le soutien américain aux forces kurdes en Syrie et les liens d’Ankara avec Moscou. Le retour de Trump pourrait offrir une opportunité de réinitialiser les relations, mais des défis subsistent. Erdogan et Trump sont tous deux engagés dans une dynamique transactionnelle. Sous la précédente administration Trump, les décisions de retrait des troupes américaines de certaines zones en Syrie ont été perçues comme un abandon des forces kurdes, alliées clés dans la lutte contre l’État islamique. Un second mandat de Trump pourrait raviver les inquiétudes des Kurdes concernant leur sécurité et leur autonomie face aux opérations militaires turques. Trump a critiqué à plusieurs reprises les membres de l’OTAN pour leur niveau de dépenses militaires, exigeant une augmentation significative de leurs budgets de défense. Cette pression pourrait exacerber les tensions au sein de l’Alliance et affecter la coopération entre la Turquie, les autres membres de l’OTAN et les partenaires européens. Anticipant le retour de Trump, Erdoğan a rapidement exprimé sa satisfaction et son intention de renforcer les liens bilatéraux, et face au désengagement de Washington pour la sécurité de l’Europe, entend négocier avec les partenaires européens de l’OTAN dans un rapport de force qui lui est chaque fois plus favorable. De son côté D. Trump pourrait facilement déléguer la gestion de la Syrie et du Caucase du Sud à Erdogan en échange d’une garantie pour les Kurdes. 

LD : La Turquie d’Erdogan est souvent accusée de soutenir ou d’héberger certaines branches des Frères musulmans, notamment en Europe. Dans quelle mesure ce soutien subsiste-t-il ? Est-il amené à évoluer dans un contexte de normalisation avec Israël et les pays arabes “modérés”, puis le retour de Trump, ou constitue-t-il toujours un axe idéologique majeur pour Ankara ?

TY : La Turquie, sous la direction de Recep Tayyip Erdoğan, a historiquement entretenu des liens étroits avec les Frères musulmans, offrant soutien et refuge à leurs membres, notamment en Europe. Cette relation s’est manifestée par un appui intellectuel et logistique, renforçant l’influence de la confrérie sur le continent européen. Cependant, le paysage géopolitique a évolué. Ankara a entrepris une normalisation de ses relations avec Israël et plusieurs pays arabes dits “modérés”. Dans ce contexte, la Turquie a encouragé les membres exilés des Frères musulmans, y compris ceux du Hamas, à adopter une attitude plus discrète sur son territoire, reflétant une volonté de préserver ses intérêts diplomatiques et économiques. 

Malgré ces ajustements, le soutien de la Turquie aux Frères musulmans reste un élément central de sa politique étrangère. Ce soutien est perçu comme un levier d’influence dans le monde musulman, notamment en Afrique subsaharienne et en Asie centrale. 

Le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis pourra également influencer la position turque. Sous son administration précédente, les relations entre Washington et Ankara étaient marquées par des tensions, mais aussi par une certaine flexibilité. Un second mandat de Trump pourrait offrir à la Turquie une marge de manœuvre pour maintenir, voire renforcer, son soutien aux Frères musulmans, tout en poursuivant ses efforts de normalisation avec d’autres acteurs régionaux.

Bien que la Turquie ajuste sa politique pour s’adapter aux réalités géopolitiques actuelles, son soutien aux Frères musulmans demeure un axe idéologique majeur. Ankara semble chercher un équilibre entre la préservation de ses alliances traditionnelles et l’établissement de nouvelles relations, tout en conservant son influence au sein du monde musulman.

LD : Au vu de la multiplicité des terrains d’intervention et de l’activisme diplomatique d’Erdogan, diriez-vous qu’Ankara poursuit le rêve d’une forme de “pax turca” néo-ottomane dans son proche voisinage (Balkans, Caucase, Moyen-Orient) ? Quelles seraient les limites et les risques de cette ambition à moyen et long terme, tant sur le plan géopolitique qu’économique ?

TY : Sous la direction de Recep Tayyip Erdoğan, la Turquie a manifesté une politique étrangère active, souvent qualifiée de “néo-ottomane”, visant à étendre son influence dans les Balkans, le Caucase et le Moyen-Orient. Cette ambition se traduit par des interventions militaires, notamment en Syrie et en Irak, et par un engagement diplomatique accru dans ces régions. Mais gare à l’hubris !

L’expansionnisme d’Ankara a conduit à des tensions. Faute de pouvoir se livrer des F35 par les Etats Unis pour son armée de l’air, la Turquie va se procurer des eurofighters.  

Malgré ses aspirations, la Turquie pourrait ne pas disposer des ressources économiques nécessaires pour soutenir durablement ses ambitions géopolitiques. Les interventions militaires et les tensions diplomatiques peuvent peser sur l’économie nationale, limitant la capacité d’Ankara à projeter sa puissance. 

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