
Par Sylvain Ferreira
Alors que les États-Unis tournent le dos à l’Europe pour se focaliser presque uniquement sur la Chine et l’Asie-Pacifique, l’état de l’US Army illustre une situation beaucoup plus difficile et complexe qu’on ne le laisse entendre quant aux moyens militaires dont disposent l’Oncle Sam pour affronter Pékin.
Depuis le début de l’intervention russe en Ukraine, les forces armées des États-Unis se trouvent à un carrefour stratégique. Après deux décennies de guerres asymétriques au Moyen-Orient, marquées par des opérations antiterroristes prolongées en Irak et en Afghanistan, l’armée américaine s’adapte à un monde où les menaces évoluent rapidement. Face à la montée en puissance de la Chine, à l’agressivité persistante de la Russie et aux défis posés par des acteurs comme l’Iran et la Corée du Nord, le Pentagone redéfinit ses priorités. Mais cette mue ne se fait pas sans douleur : des problèmes de recrutement persistants, des coupes dans les effectifs et une modernisation technologique ambitieuse dessinent un tableau contrasté pour l’année écoulée. À l’aube de 2025, quel est l’état réel des forces armées américaines et où en sont les réformes en cours ?
Une armée réduite et repensée
L’année 2024 a été marquée par une annonce choc : l’US Army, fer de lance terrestre des forces armées américaines, a décidé de réduire ses effectifs de près de 24 000 postes, soit environ 5 % de sa force totale. Cette décision, dévoilée en février 2024 par l’ancienne Secretary of the Army, Christine Wormuth, ne concerne pas des soldats en service actif, mais plutôt des postes vacants, notamment ceux hérités de l’ère des opérations de contre-insurrection[1]. Les unités de cavalerie légère, les brigades Stryker et les équipes d’assistance aux forces de sécurité étrangères, qui avaient proliféré pour répondre aux besoins en Irak et en Afghanistan, sont parmi les premières visées par ces coupes. Mais cette réduction n’est qu’une facette de la transformation en cours. En parallèle, l’US Army prévoit d’ajouter 7 500 soldats à des missions jugées prioritaires : défense antiaérienne, lutte contre les drones et création de cinq nouvelles task forcesspécialisées dans le cyber, le renseignement et les frappes à longue portée. Ces unités, déployées à travers le monde, reflètent une volonté de projeter une puissance plus technologique et moins dépendante des effectifs traditionnels. Par ailleurs, l’US Army doit poursuivre sa transition afin de réintroduire l’échelon divisionnaire dans son organisation pour faire face aux difficultés rencontrées par les états-majors de brigade lors de la guerre contre le terrorisme lors de la gestion d’opérations d’envergure[2].
Le défi du recrutement : Une crise persistante
Si la restructuration semble cohérente sur le papier, elle se heurte à une crise majeure : le recrutement. En 2024, l’US Army a certes dépassé son objectif minimal de 50 000 nouvelles recrues, atteignant un peu plus de 55 000 enrôlements, mais elle reste loin de son ambition initiale de 65 000. Cette amélioration par rapport à 2023, où elle avait manqué son objectif de 15 000 recrues, masque une réalité préoccupante. Les jeunes Américains, bercés par une économie florissante offrant des emplois civils bien rémunérés, se détournent d’une carrière militaire perçue comme trop risquée ou peu attrayante. La concurrence avec le secteur privé, exacerbée par un taux de chômage historiquement bas, complique encore la tâche des recruteurs. Pour inverser la tendance, le Pentagone a lancé une campagne agressive. De nouvelles publicités mettant en avant l’aventure et la technologie, un programme pilote pour faire du recrutement une carrière à part entière au sein de l’Armée, et un ciblage des candidats plus âgés (jusqu’à 35 ans) ont porté leurs fruits. Pourtant, avec seulement 74 % de son objectif atteint au premier trimestre fiscal, la route reste longue pour atteindre les 470 000 soldats visés d’ici 2029.
Modernisation : L’ère des drones et des réseaux
Sur le plan technologique, 2024 a été une année charnière. L’Armée américaine mise gros sur la modernisation pour conserver son avantage face à des adversaires comme la Chine, dont les capacités militaires progressent à pas de géant. Le général George a fait des réseaux sa priorité absolue, voyant en eux le cœur névralgique reliant les cinq axes de la stratégie de modernisation : aviation verticale, frappes de précision à longue portée, véhicules de combat de nouvelle génération, létalité des soldats et, bien sûr, la connectivité. L’introduction massive de drones au-dessus du champ de bataille ukrainien n’est pas passé inaperçu. En 2024, l’US Army a accéléré le déploiement de munitions rôdeuses – loitering munitions – pour ses unités d’infanterie, tandis que des drones de moyenne et longue portée sont entrés en phase de test pour une production prévue en 2025 et 2026. Lors d’exercices comme Project Convergence Capstone 4[3], les soldats ont expérimenté l’intégration de systèmes conjoints et multinationaux, utilisant pour la première fois le logiciel ATAK – une application Android bon marché pour la cartographie et la communication – à tous les échelons de commandement. Cette approche, baptisée « transformation en contact »[4][5], s’inspire des leçons du conflit en Ukraine, où les drones commerciaux et l’artillerie traditionnelle ont redéfini la guerre moderne. Les centres d’entraînement comme le National Training Center (NTC) ont adapté leurs scénarios, confrontant les unités à des forces adverses (OPFOR) équipées de quadricoptères bon marché capables de traquer et d’attaquer grâce à des signaux cellulaires. Les soldats apprennent à creuser profond pour se protéger des barrages d’artillerie, une pratique remise au goût du jour face à la menace des frappes massives comme celles observées en Ukraine.
Une dépendance aux alliés et des tensions géopolitiques
Sur le plan international, 2024 a vu les forces armées américaines renforcer leurs alliances. Les exercices Pacific Pathways[6] dans la zone indopacifique, passés de 8 à 18 en un an, témoignent d’une volonté de contrer l’influence chinoise auprès de partenaires comme le Japon, la Corée du Sud et les Philippines. En Europe, l’utilisation des stocks prépositionnés pour l’exercice DEFENDER 24 a renforcé l’interopérabilité avec l’OTAN face à la Russie. Mais cette dépendance croissante envers les alliés soulève des questions : que se passerait-il si les États-Unis réduisaient drastiquement leur présence, comme certains le craignent avec la nouvelle administration Trump ? La réponse pourrait dépendre de la capacité des forces américaines à rester autonomes tout en s’appuyant sur des partenaires. Pour l’instant, la modernisation et les réformes visent à maintenir une “force crédible au combat“, selon les mots de Wormuth, capable de dissuader dans un monde multipolaire de plus en plus instable[7].
2025 : Un équilibre fragile
L’US Army est donc en pleine mutation. Les coupes dans les effectifs, la crise du recrutement et l’accent mis sur la technologie dessinent une armée plus légère, plus connectée, mais aussi plus vulnérable si les ressources humaines ne suivent pas. Les réformes en cours, ambitieuses et nécessaires, reposent sur un pari : que la qualité technologique compensera la quantité réduite de soldats alors que la guerre en Ukraine vient de remettre en avant l’intérêt de disposer de « gros bataillons » pour vaincre dans une guerre de haute intensité entre états industrialisés.
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[1] https://crsreports.congress.gov/product/pdf/R/R47985
[2] https://www.battleorder.org/post/waypoint-divisions
[3] https://www.defense.gov/Spotlights/Project-Convergence-Capstone-4/
[4] https://defensescoop.com/2025/02/18/army-transforming-in-contact-2-0-next-iteration-autonomy/#:~:text=Transforming%2Din%2Dcontact%2C%20as,off%2Dthe%2Dshelf%20gear.
[5] https://www.army.mil/article/278935/transforming_in_contact
[6] https://www.pacom.mil/Media/News/News-Article-View/article/974743/with-pacific-pathways-army-puts-multi-domain-into-action/
[7] https://crsreports.congress.gov/product/pdf/R/R47985
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