
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie)
La tourmente géopolitique actuelle a plongé l’Afghanistan et les républiques d’Asie centrale dans une phase de vulnérabilité sans précédent. Avec le retour au pouvoir des talibans en 2021 et le retrait progressif des donateurs traditionnels occidentaux, l’équilibre fragile construit au cours des dernières décennies s’est effondré, laissant apparaître un paysage marqué par de profondes incertitudes stratégiques.
Une survie historiquement bâtie sur la dépendance
L’histoire de l’Afghanistan n’est pas seulement une succession d’invasions et de résistances. Elle est aussi, et peut-être surtout, l’histoire d’une dépendance constante à l’égard de ressources extérieures. Dès ses origines modernes, le pays a fondé sa survie économique sur l’acquisition de richesses externes, soit par la conquête, soit par la négociation et l’alignement géopolitique.
L’Afghanistan a su tirer parti des rivalités entre grandes puissances, devenant une sorte de « zone tampon » rémunérée pour sa neutralité ou son rôle de barrière stratégique. Au XXᵉ siècle, cette dynamique s’est renforcée : en alternant assistance soviétique et américaine, le pays a développé ses infrastructures, son éducation et ses capacités militaires, non sur des bases productives internes, mais sur sa capacité à attirer aides et investissements stratégiques.
Même la période post-soviétique et l’ère qui a suivi le 11 septembre n’ont pas modifié cette structure : l’Afghanistan a continué à vivre grâce à un flux constant de soutien extérieur, demeurant vulnérable aux changements de cap dans les centres décisionnels internationaux.
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Un isolement croissant et de nouvelles incertitudes
Aujourd’hui, le pays est confronté à une nouvelle réalité. Avec la réduction de l’implication américaine et européenne, l’Afghanistan est forcé de chercher d’autres partenaires dans un contexte international beaucoup plus fragmenté. Les sanctions économiques, le gel des avoirs souverains et l’isolement diplomatique ont encore affaibli une structure étatique déjà précaire.
La recherche de nouveaux soutiens — Russie, Chine, monarchies du Golfe — ne saurait, à court terme, compenser le vide laissé par l’Occident. Les nouvelles puissances émergentes, bien que désireuses d’élargir leur influence, privilégient des approches sélectives et prudentes, évitant les engagements financiers massifs ou risqués.
Cet isolement progressif affecte non seulement l’Afghanistan, mais toute l’Asie centrale. L’absence de stabilisation à Kaboul alimente l’insécurité transfrontalière, les trafics illicites, l’instabilité migratoire et le risque de nouvelles radicalisations idéologiques.
Les dilemmes stratégiques de l’Asie centrale
Les républiques d’Asie centrale se trouvent face à un choix historique. Pendant des années, elles ont adopté une approche pragmatique et prudente envers l’Afghanistan, favorisant des relations bilatérales limitées et comptant sur le soutien occidental pour contenir les menaces majeures. Aujourd’hui, cette stratégie n’est plus tenable.
L’absence de réponse coordonnée de la part des grands acteurs mondiaux oblige les nations centre-asiatiques à développer leurs propres initiatives pour empêcher que l’instabilité afghane ne déstabilise la région.
La possibilité que la crise afghane dégénère en une spirale de pauvreté, de faim et de militarisation incontrôlée représente une menace concrète pour la sécurité, l’économie et la cohésion sociale des États voisins.
Vers une nouvelle stratégie régionale
Dans ce contexte, il devient prioritaire de mettre en place une approche structurée et multilatérale à la question afghane.
Plusieurs axes stratégiques apparaissent :
Création de mécanismes régionaux d’assistance : Malgré des ressources limitées, les pays d’Asie centrale peuvent unir leurs efforts pour créer des fonds communs, concentrés sur l’aide humanitaire, les infrastructures essentielles et les programmes éducatifs. Une forme de solidarité régionale garantissant continuité et engagement.
Renforcement de la sécurité collective : Il est nécessaire d’investir dans des dispositifs communs de contrôle des frontières, de renseignement partagé et de programmes de lutte contre la radicalisation et le terrorisme.
Intégration économique progressive : Plutôt que de voir l’Afghanistan comme un fardeau, il faut l’envisager comme un pont commercial entre l’Asie centrale, le Moyen-Orient et le sous-continent indien. Le développement de corridors de transport et de projets énergétiques communs peut stabiliser le pays tout en réduisant sa dépendance aux aides extérieures.
Diplomatie multilatérale coordonnée : Les États de la région doivent parler d’une seule voix dans les forums internationaux, sollicitant le soutien de nouveaux acteurs financiers et politiques.
L’Afghanistan comme épreuve de maturité pour l’Asie centrale
Le destin de l’Afghanistan est désormais étroitement lié à celui de ses voisins. Pour l’Asie centrale, la gestion de la crise afghane est bien plus qu’une question d’assistance humanitaire ou de sécurité.
C’est le premier véritable test de leur capacité à se comporter comme un acteur régional cohérent, capable de prendre en main son propre avenir sans dépendre des puissances extérieures.
S’ils savent collaborer et mutualiser leurs ressources et stratégies, les pays d’Asie centrale pourront non seulement atténuer les effets de la crise afghane, mais aussi renforcer leur souveraineté politique et économique, rompant ainsi avec une longue tradition de dépendance.
À l’inverse, en cas de divisions persistantes et de rivalités nationales, la région risque d’être de nouveau ballottée au gré des dynamiques imposées par les grandes puissances.
La crise afghane, donc, n’est pas seulement une menace : elle est aussi une opportunité exceptionnelle.
L’occasion de jeter les bases d’un nouveau modèle régional plus autonome, plus résilient, et plus influent sur la scène internationale.
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