ANALYSE – Europe–Amérique : La fracture silencieuse de l’Alliance atlantique

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Drapeaux des États-Unis et de l’Union européenne séparés par une fissure symbolique au coucher du soleil, représentant la fracture transatlantique et les tensions entre Washington et Bruxelles.
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Olivier d’Auzon

Il est des gestes symboliques qui, à première vue, paraissent anecdotiques. Mais qui, lorsqu’on les replace dans le théâtre plus vaste des relations internationales, révèlent des déséquilibres profonds. 

En juillet 2025, Bruxelles a frappé fort en infligeant à Google une amende de 3,5 milliards de dollars pour abus de position dominante. Une victoire apparente de la puissance normative européenne. Mais aussi, peut-être, une provocation inutile. Car à Washington, l’administration américaine — incarnée dans toute sa brutalité par Donald Trump — y a vu une attaque frontale contre ses champions nationaux. La réaction fut immédiate, tonitruante: « L’Amérique ne tolérera pas ces discriminations ! » lançait le président sur son réseau social.

Cet épisode n’est pas un simple accrochage commercial. Il est le révélateur d’un malaise bien plus profond : celui d’une alliance transatlantique qui se fissure, minée par des contradictions existentielles.

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Le rêve européen de la « puissance normative »

Depuis la fin de la guerre froide, l’Union européenne s’est bâtie une identité de « superpuissance réglementaire ». N’ayant ni une armée intégrée, ni une diplomatie commune forte, elle a trouvé dans la régulation un substitut au pouvoir classique. Le « Brussels effect », cette capacité de l’UE à imposer ses normes au reste du monde par la taille de son marché, a été érigé en étendard.

En matière de protection des données personnelles, l’Europe a montré la voie avec le RGPD. Dans le domaine de la concurrence, elle s’est attaquée à plusieurs géants du numérique. Cette stratégie a pu donner l’illusion que le Vieux Continent compensait sa faiblesse militaire et stratégique par une force normative universelle.

Mais derrière cette vitrine se cache une dépendance criante. L’Europe, malgré ses discours enflammés sur la « souveraineté numérique », reste tributaire des infrastructures américaines : serveurs, logiciels, intelligence artificielle, semi-conducteurs de pointe. Elle s’abrite sous le parapluie nucléaire et militaire de l’OTAN, dominé par Washington. Elle importe massivement du gaz naturel liquéfié américain depuis la rupture énergétique avec la Russie.

En somme, elle ne fait que réguler ce qui lui est vital, sans jamais produire de substitut autonome.

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L’Amérique, ailleurs que l’Europe

Ce déséquilibre n’a rien d’un accident conjoncturel. Il découle d’une évolution structurelle. Depuis deux décennies, le centre de gravité de la puissance américaine s’est déplacé vers l’Asie. Les grandes batailles économiques de Washington ne se jouent plus à Berlin ou à Paris, mais à Pékin et à New Delhi.

Dans les années 1960, la moindre menace européenne d’embargo sur les vins, les fromages ou les avions civils faisait trembler Washington. Aujourd’hui, une guerre commerciale transatlantique coûterait infiniment plus cher à l’Europe qu’aux États-Unis. L’économie américaine, dopée par ses géants technologiques et son indépendance énergétique, dispose d’amortisseurs que l’Europe n’a pas.

Trump, avec son instinct animal pour les rapports de force, a compris cette asymétrie. Là où Bruxelles croit parler d’égal à égal, lui sait que l’Europe ne peut pas se permettre une escalade. Ses exportations sont enfermées dans le marché atlantique ; ses alternatives géopolitiques, ruinées par ses propres choix : rupture avec Moscou, froideur avec Pékin, absence de liens solides avec le Sud global.

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Une Europe acculée

Le dilemme est cruel. Déjà fragilisée par des coûts énergétiques stratosphériques depuis la guerre en Ukraine, l’industrie européenne perd du terrain face à ses rivales asiatiques et américaines. Ses filières automobiles, chimiques et métallurgiques souffrent d’un désavantage compétitif durable.

Dans ce contexte, céder aux exigences américaines sur la régulation technologique, sur l’achat de matériel militaire ou sur la politique commerciale ne fait qu’accentuer la dépendance. Mais résister, c’est risquer une guerre économique dont l’Europe sortirait exsangue. Chaque concession l’enchaîne un peu plus ; chaque recul réduit ses marges de manœuvre.

Certains dirigeants européens caressent l’espoir que cette passe difficile prendra fin avec le départ de Trump. Ils se persuadent qu’un président démocrate ou un républicain « modéré » rétablira une harmonie transatlantique. Mais ce calcul relève d’un dangereux aveuglement. Car les fractures sont structurelles : l’indépendance énergétique américaine, l’hégémonie technologique de la Silicon Valley, la suprématie militaire de l’OTAN sont des réalités qui dépassent les alternances politiques.

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La fracture stratégique

La vérité est que l’alliance atlantique repose désormais sur une contradiction insurmontable : l’Europe rêve d’autonomie stratégique, mais vit sous perfusion américaine. Washington tolère cette dépendance, mais refuse que Bruxelles la transforme en force de contrainte normative.

Ce divorce latent ne s’exprime pas encore au grand jour, car la guerre en Ukraine impose une façade d’unité. Mais derrière le rideau, les rancunes s’accumulent. Et chacun sait qu’une fracture qui n’est pas traitée ne se résorbe pas : elle s’aggrave, elle finit par rompre.

Quel avenir pour l’Europe ?

L’Union européenne se trouve à la croisée des chemins. Soit elle assume sa condition de vassal économique et sécuritaire des États-Unis, en se résignant à devenir une puissance secondaire, simple exécutrice des règles de Washington. Soit elle accepte le prix d’une véritable autonomie : réinvestir massivement dans la défense, l’énergie, la technologie, au prix de décennies d’efforts et de sacrifices.

Mais pour l’instant, ce choix historique n’a pas été posé. Les capitales européennes continuent de disserter sur « l’autonomie stratégique », sans jamais en payer le prix. La lucidité commande pourtant de comprendre que, sans ce sursaut, le rêve européen de souveraineté ne sera jamais qu’un mirage.

L’Europe voulait être la maîtresse des règles. Elle risque de n’être plus qu’une élève appliquée, récitant les leçons dictées par Washington. Et plus longtemps elle s’accroche à l’illusion de la parité, plus rude sera le réveil.

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