ANALYSE – Mohammed ben Salman face à l’incendie Iran-Israël : Un prince saoudien entre diplomatie et méfiance

Shares
Mohammed ben Salmane (MBS) devant un ciel en flammes, symbolisant la crise géopolitique au Moyen-Orient en 2025 entre Israël et l’Iran. Une image forte du chaos régional.
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie) 

Le Moyen-Orient est une poudrière, et Mohammed ben Salmane, le prince héritier d’Arabie saoudite, surnommé MBS, se tient au cœur d’une tempête géopolitique. La guerre entre Israël et l’Iran, qui a éclaté le 13 juin 2025, n’est pas seulement un affrontement entre deux puissances rivales : c’est une épreuve pour la survie du Golfe, un test pour le leadership saoudien et un puzzle où Donald Trump, président américain, joue un rôle aussi indispensable qu’ambigu. 

Alors que les sirènes antiaériennes déchirent le ciel de Tel-Aviv à Téhéran, MBS tisse une toile diplomatique frénétique, enchaînant les appels avec Emmanuel Macron, Recep Tayyip Erdogan, Keir Starmer et même Masoud Pezeshkian, le président iranien. Mais dans l’ombre des palais de Riyad, un murmure inquiet circule parmi ses proches : que veut vraiment Trump ? Est-il un allié fidèle, un opportuniste ou une pièce imprévisible dans un jeu déjà périlleux ? Dans cette danse d’équilibriste, le Conseil de coopération du Golfe (CCG) devient l’arène où l’Arabie saoudite tente d’imposer un fragile équilibre, sous le regard du monde entier.

À lire aussi : OPEP, Russie, Iran, Chine… : L’Arabie saoudite prend ses distances avec Joe Biden, et l’imperium américain avec

Les hantises de MBS

Mohammed ben Salmane ne dort pas sur ses lauriers. La guerre entre Israël et l’Iran n’est pas un simple conflit lointain : elle frappe à la porte du Royaume, menaçant ses fondations. Ses inquiétudes ne se limitent pas à l’escalade militaire ; elles s’étendent à un enchevêtrement de risques qui pourraient ébranler l’Arabie saoudite :

L’économie sous pression : Le Golfe est le poumon économique du Royaume, avec 62 % de ses revenus tirés du pétrole. Un conflit prolongé pourrait ressusciter le cauchemar de 2019, lorsque des drones attribués aux Houthis, soutenus par l’Iran, ont paralysé les installations d’Aramco à Abqaiq. Une attaque contre les infrastructures pétrolières mettrait en péril les ambitions de la Vision 2030, ce grand projet de diversification économique, et effraierait les investisseurs étrangers, qui ont promis 600 milliards de dollars aux États-Unis.

La fragilité du CCG : La réconciliation avec le Qatar en 2021 avait donné un nouvel élan à l’unité du CCG. Mais la guerre menace de fissurer cette alliance. L’Oman et le Qatar, plus ouverts au dialogue avec Téhéran, pourraient s’écarter de la ligne dure de Riyad et d’Abou Dhabi, qui considèrent l’Iran comme une menace existentielle. Pour MBS, un CCG divisé est un Golfe vulnérable.

Le leadership sunnite : L’affaiblissement de Hamas et du Hezbollah, frappés par les assauts israéliens, a créé un vide dans le monde arabe. MBS veut le combler, affirmant l’Arabie saoudite comme phare du sunnisme. Mais une escalade incontrôlée pourrait le forcer à choisir entre le soutien aux États-Unis et un dialogue prudent avec l’Iran, comme l’a illustré la visite historique de son frère, Khalid ben Salmane, à Téhéran en avril 2025.

Les tensions internes : La stabilité du Royaume repose sur la capacité de MBS à projeter force et vision. Un conflit régional pourrait attiser le mécontentement des élites, qui regardent déjà ses réformes audacieuses avec une certaine méfiance.

Une stratégie pour éteindre l’incendie

MBS n’est pas homme à rester les bras croisés. Face à la crise, il déploie une stratégie à plusieurs niveaux, mêlant diplomatie audacieuse et coordination interne :

Une valse diplomatique mondiale : Depuis le 13 juin, MBS a transformé son téléphone en outil stratégique. Avec Macron, il dénonce les violations israéliennes du droit international ; avec Starmer, il plaide pour une action concertée du G7 ; avec Erdogan, il cherche à aligner le monde musulman. Avec Pezeshkian, il offre une solidarité calculée, un geste de realpolitik plus que d’empathie. Chaque appel est une pièce d’un puzzle visant à faire de Riyad un médiateur incontournable.

Une task force d’élite : Pour orchestrer la réponse saoudienne, MBS a constitué une équipe de hauts responsables. Khalid ben Salmane, ministre de la Défense et frère du prince, protège les infrastructures pétrolières et maintient le canal ouvert avec Téhéran. Faisal ben Farhan Al Saoud, ministre des Affaires étrangères, coordonne les discussions avec le CCG et les puissances occidentales, plaidant pour un cessez-le-feu via l’ONU. Abdulaziz ben Salmane, ministre de l’Énergie, veille sur les marchés pétroliers, tandis que Yasir Al-Rumayyan, gouverneur du Fonds d’investissement public, s’assure que les investisseurs ne fuient pas les projets saoudiens. Une machine bien huilée, reflet de l’approche centralisée de MBS.

Le CCG comme bouclier et épée : MBS pousse pour une position unifiée du CCG, confiant à l’Oman et au Qatar le soin d’accueillir des pourparlers d’urgence entre l’émissaire américain Steve Witkoff et les diplomates iraniens. L’objectif est double : obtenir un cessez-le-feu et relancer les négociations sur le nucléaire iranien, pour éviter que le conflit n’engloutisse les bases américaines du Golfe.

Gestes symboliques : Dans un coup de théâtre diplomatique, MBS ordonne au ministère du Hajj d’assister les pèlerins iraniens bloqués en Arabie saoudite après la fermeture de l’espace aérien de Téhéran. Un signe de détente qui renforce la crédibilité de Riyad comme acteur impartial.

Les ombres de Trump

Dans les couloirs du pouvoir saoudien, le nom de Donald Trump résonne avec un mélange de respect et de suspicion. MBS et Trump parlent le même langage : celui des affaires, des grands contrats, de la politique comme transaction. Les 142 milliards de dollars d’armements et les 600 milliards d’investissements saoudiens aux États-Unis scellent une alliance solide. Mais les agissements de Trump dans la crise suscitent des doutes :

Un jeu ambigu sur le nucléaire iranien : En mai 2025, Trump a surpris Riyad en annonçant la reprise des négociations sur le nucléaire iranien. MBS craint qu’un accord trop souple ne renforce Téhéran sans démanteler son réseau de proxies – Houthis, Hezbollah – qui menacent le Golfe.

Un désengagement sélectif : La décision de Trump de suspendre les frappes contre les Houthis au Yémen sans consulter Israël, et son silence sur les attaques iraniennes contre l’aéroport Ben Gourion, font planer le spectre d’une politique américaine en retrait, exposant l’Arabie saoudite à des représailles iraniennes.

Des intérêts personnels : À Riyad, on murmure que les priorités de Trump pourraient être dictées par des intérêts économiques, comme les projets immobiliers de sa famille – deux Trump Towers prévues à Djeddah et Riyad. Une telle perspective fait craindre que sa politique soit plus motivée par le profit que par la stabilité.

L’exclusion d’Israël : En mai 2025, Trump a snobé Tel-Aviv lors de sa tournée au Moyen-Orient, privilégiant Riyad, Doha et Abou Dhabi. Ce choix a irrité Netanyahou et semé le doute à Riyad, où l’on voit en Israël un rempart stratégique contre l’Iran, malgré les divergences publiques.

Trump, l’allié incontournable mais imprévisible

Pour MBS, Trump est une carte maîtresse, mais difficile à jouer. Son influence est indéniable : la levée des sanctions contre la Syrie, obtenue à la demande de MBS, et la médiation avec le nouveau leader syrien Ahmed al-Sharaa montrent que Trump écoute Riyad. Mais son approche transactionnelle – les affaires d’abord, la stratégie ensuite – sème l’incertitude. Il a poussé Netanyahou à un cessez-le-feu à Gaza et à limiter les opérations au Liban et en Syrie, en écho aux demandes saoudiennes. Pourtant, ses déclarations belliqueuses contre l’Iran, suivies d’ouvertures au dialogue, brouillent les pistes. MBS craint qu’un accord nucléaire trop permissif ne renforce Téhéran, ou qu’une escalade militaire américaine n’entraîne le Golfe dans un conflit direct.

Un équilibriste dans la tempête

Mohammed ben Salmane marche sur une corde raide. La guerre Iran-Israël est une menace existentielle, mais aussi une opportunité pour faire de l’Arabie saoudite un phare de stabilité dans un Moyen-Orient fracturé. Sa task force, ses appels incessants, son rôle dans le CCG sont les pièces d’un échiquier où chaque mouvement est calculé. Mais les doutes sur Trump, la fragilité de l’unité du CCG et les incertitudes de la Vision 2030 planent comme des ombres. Dans un monde où chaque missile porte un message et chaque entretien un calcul, MBS sait que l’avenir du Golfe se joue moins sur les champs de bataille que dans les salons où se dessinent les équilibres de pouvoir. Et dans ces salons, le prince saoudien est déterminé à laisser sa marque.

À lire aussi : ANALYSE – Un ciel armé au-dessus de Doha : L’accord sur les drones MQ-9B et le nouveau chapitre des relations entre le Qatar et les États-Unis


#MoyenOrient, #ArabieSaoudite, #MBS, #IranIsraël, #GuerreAuMoyenOrient, #Géopolitique, #DonaldTrump, #Vision2030, #ConseilDeCoopérationDuGolfe, #Riyad, #Hezbollah, #Hamas, #GolfePersique, #Pétrole, #Aramco, #Diplomatie, #Stratégie, #Realpolitik, #Macron, #Erdogan, #Pezeshkian, #Trump2025, #NucléaireIranien, #Sunnisme, #Israël, #Iran, #TrumpMBS, #LeadershipArabe, #TaskForce, #ONU, #CessezLeFeu, #Investissements, #SaudiArabia, #ProcheOrient, #USA, #CCG, #MohammedBenSalmane, #RiyadDiplomatie, #TrumpDeal, #CriseDuGolfe, #Guerre2025

Shares
Retour en haut