
Par Olivier d’Auzon
Le retrait de Wagner du Mali ne marque pas la fin de la présence militaire russe, mais sa transformation stratégique. Le Kremlin opère une réorganisation de ses forces à travers l’Africa Corps, nouvelle vitrine officielle de Moscou dans le Sahel. Cette mutation vise à regagner en légitimité, après les scandales qui ont terni l’image de Wagner, tout en conservant une influence militaire décisive dans la région.
Volonté de réétatisation de la présence militaire russe
- Wagner incarnait un modèle hybride : ni totalement privé ni totalement officiel.
- Le Kremlin a décidé de recentraliser ses opérations militaires à l’étranger par le biais d’une structure étatique claire : Africa Corps est directement rattachée au ministère russe de la Défense.
Cela permet de :
– Donner une légitimité internationale à l’intervention,
– Faciliter la coordination diplomatique,
– Mieux contrôler les actions militaires sur le terrain.
Africa Corps vise à éviter les dérapages incontrôlés et les scandales comme ceux de Moura (2022)
L’arrivée d’Africa Corps sur le théâtre malien ne représente pas une simple relève logistique de Wagner, mais la tentative d’une redéfinition de l’empreinte militaire russe en Afrique. Toutefois, cette réorganisation soulève des défis majeurs qui vont bien au-delà de la coordination opérationnelle.
Voici les principaux enjeux à examiner :
Un test de crédibilité pour le Kremlin
Africa Corps agit désormais comme vecteur officiel de l’État russe, contrairement à Wagner, qui relevait d’un modèle hybride – mi-privé, mi-étatique. Ce changement impose une responsabilité accrue au Kremlin : en cas d’échec, les accusations de violations des droits de l’Homme ou d’inefficacité sécuritaire ne seront plus imputées à un acteur opaque comme Wagner, mais directement à Moscou.
C’est donc un test de crédibilité diplomatique et stratégique : la Russie veut démontrer qu’elle est un partenaire alternatif, capable de garantir la sécurité sans l’arrogance néocoloniale perçue chez d’autres puissances.
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Une lutte d’image et de légitimation auprès des populations
Africa Corps débarque dans un contexte de fracture profonde entre les populations civiles et les forces armées étrangères. La brutalité de certaines opérations de Wagner a laissé des traces durables dans plusieurs localités
Des événements comme le massacre de Moura (mars 2022), où plusieurs centaines de civils ont été tués sous couvert d’opérations antiterroristes, ou encore les abus documentés à Niono et Djenné, ont laissé des traces profondes dans la mémoire collective.
Ces actions ont non seulement affaibli la légitimité de l’État central, mais également alimenté la propagande djihadiste, qui dénonce la présence étrangère comme une nouvelle forme d’occupation.
Dans ce contexte, Africa Corps ne débarque pas en terrain vierge mais dans une zone où l’hostilité latente, la mémoire du sang versé et l’épuisement des populations face à l’insécurité chronique complexifient toute opération militaire. Moscou devra donc faire preuve de rupture avec les méthodes de Wagner pour espérer :
- Gagner la confiance des populations locales,
- Se différencier des puissances occidentales,
- Éviter de reproduire les erreurs de son prédécesseur semi-officiel.
Défi majeur : transformer une présence militaire en un levier de légitimation politique et sociale, et non en un facteur de fragmentation.
Pour s’imposer durablement, Africa Corps devra sortir de la seule logique militaire pour gagner les « cœurs et les esprits », par exemple en appuyant des projets de reconstruction locale, en respectant le droit de l’Homme et en affichant une posture plus professionnelle. Faute de quoi, elle risque d’alimenter un ressentiment populaire déjà vif.
Une efficacité militaire à prouver dans un terrain toujours instable
Malgré les déclarations optimistes de la junte et de ses alliés, le nord et le centre du Mali échappent encore à tout contrôle étatique solide. Les Groupes de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) et l’État Islamique au Grand Sahara (EIGS) multiplient les attaques.
Africa Corps devra montrer qu’elle peut produire des résultats tangibles, en évitant les erreurs de Wagner, notamment : la concentration excessive sur les opérations de reconquête urbaine au détriment du maillage territorial, et l’incapacité à coopérer avec les communautés locales.
Une mission à haute tension politique régionale et internationale
L’arrivée d’Africa Corps intervient dans un contexte de recomposition régionale accélérée : retrait des forces françaises, effritement de la MINUSMA, renforcement des axes Bamako-Ouagadougou-Niamey, et montée des tensions avec la CEDEAO.
Dans ce tableau, Africa Corps n’agit pas seulement comme une force militaire, mais comme un outil diplomatique russe destiné à consolider un axe de contestation de l’ordre régional occidental. Ce rôle stratégique implique des risques : si les dérives de Wagner se répètent, Africa Corps pourrait devenir un catalyseur d’isolement international pour les régimes qui l’accueillent.
L’Africa Corps, l’armée de Moscou sans le masque ?
Africa Corps ne pourra pas se contenter d’être un Wagner 2.0. Sa mission implique de produire des résultats sans reproduire les excès, d’agir militairement sans aliéner les populations, et de servir Moscou sans exposer la Russie à un discrédit international.
Son efficacité ne se mesurera donc pas seulement au nombre de villes sécurisées, mais à sa capacité à incarner une force crédible, contrôlée et légitime, dans un Sahel où la guerre n’est plus seulement militaire, mais aussi politique, sociale et symbolique.
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Olivier d’Auzon est consultant juriste auprès des Nations unies, de l’Union européenne et de la Banque mondiale. Il a notamment publié : Piraterie maritime d’aujourd’hui (VA Éditions), Et si l’Eurasie représentait « la nouvelle frontière » ? (VA Éditions), L’Inde face à son destin (Lavauzelle), ou encore La Revanche de Poutine (Erick Bonnier).
