DÉCRYPTAGE – Alger, le spectre du « Djinn » : Quand la sécurité d’État devient affaire d’État

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Des forces de sécurité algériennes en tenue noire montent la garde dans une rue d’Alger de nuit, sous la pluie, devant un drapeau algérien. L’image illustre la tension sécuritaire et le contrôle de l’État dans un contexte de crise politique.
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie) 

Alger n’a pas seulement connu des barrages et des hélicoptères. Elle a vu un pouvoir se regarder dans le miroir de ses propres services et ne pas se reconnaître. La disparition de l’ex-patron de la DGSI, Nasser El-Djinn, limogé puis assigné à résidence avant de s’évanouir, dit plus qu’un raté policier : elle expose la fracture d’un système qui, pour survivre, a longtemps mis la loyauté des hommes au-dessus de la solidité des institutions.

La traque et son message

Le quadrillage des 18-19 septembre a servi d’aveu : on ne verrouille pas une capitale si l’on maîtrise la situation. Les contrôles au cordeau, la convocation en urgence du Haut Conseil de sécurité, les rumeurs d’une fuite à l’étranger ont produit l’image d’un État à la fois omniprésent et débordé. Cette dualité est au cœur de l’Algérie contemporaine : une puissance administrative considérable, mais une chaîne de commandement, grignotée par les rivalités, où la décision devient souvent un arbitrage de clans.

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La valse des chefs, l’usure de la doctrine

Depuis des années, les directions de la sécurité tournent comme un carrousel. Chaque remaniement promet la « rationalisation », chaque limogeage annonce la « clarification ». En réalité, la doctrine se dilue. Le renseignement ne se pilote pas comme un gouvernement : il a besoin de continuité, d’un langage commun, d’une mémoire. En remplaçant les hommes plus vite que les méthodes, on sabote le cœur invisible de la sécurité : l’anticipation.

Politique intérieure : Autorité sous tension

L’affaire El-Djinn tombe au moment où l’exécutif revendique la « nouvelle Algérie ». Or rien n’érode l’autorité comme la preuve que la maison n’est pas tenue. La réponse immédiate – serrage de vis, nominations, promesses d’audits – rassure l’opinion un jour ou deux, mais ne traite pas la cause : une sécurité conçue comme un outil d’équilibre politique plutôt que comme un service public stratégique. Tant que le renseignement restera le champ clos des loyautés personnelles, il ne sera pas le rempart neutre dont l’État a besoin.

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Impacts économiques : Le prix de l’incertitude

La sécurité, c’est aussi une ligne comptable. Une capitale paralysée renchérit la logistique, dégrade la confiance et ajoute une prime de risque à tout ce qui se négocie : contrats gaziers, appels d’offres, assurances. Les investisseurs ne craignent pas l’autorité, ils craignent l’imprévisibilité. Si l’on doit mobiliser des brigades entières pour rattraper un ancien chef des services, que se passera-t-il quand il faudra sécuriser un terminal, un pipeline, une frontière ? Dans une conjoncture marquée par la recomposition des flux énergétiques et la compétition des places portuaires, le coût réputationnel se paie cash.

Enjeux stratégiques : L’appareil tourné vers lui-même

Un service qui s’auto-surveille n’observe plus le monde. Les heures, les semaines passées à fouiller, purger, transférer, c’est autant de veille perdue sur le Sahel instable, la Libye imprévisible, le Maroc concurrent et les réseaux criminels qui traversent le Sahara. La sécurité n’est pas qu’un bouclier : c’est un moteur d’influence. Quand il cale, la diplomatie consomme ses forces à justifier, au lieu de proposer. Et les voisins – partenaires comme rivaux – en tirent des conclusions très concrètes sur la résilience de l’État.

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Diplomatie : La fenêtre d’opportunité se rétrécit

L’Algérie se veut pôle de stabilité et médiateur régional. Elle a des atouts : profondeur stratégique, ressources, expérience. Mais la crédibilité d’un médiateur tient à la lisibilité de sa maison. Les capitales européennes, clientes de gaz et d’assurance-risques, n’ont qu’une demande : la prévisibilité. Les chancelleries maghrébines, elles, regardent si le centre tient. Un partenaire qui communique en mode « état d’alerte » se prive d’initiative : il subit l’agenda des autres.

Trois scénarios, un seul horizon

Premier scénario : la tentation du tout-répressif. On resserre, on punit, on remplace. Efficace à court terme, stérile à moyen terme : on gouverne par la peur, on récolte le silence, pas la sécurité.

Deuxième scénario : l’équilibrisme. On conserve la fermeté, mais on fixe des règles simples : durée minimale des mandats, procédures traçables, cloisonnement des opérations. Moins spectaculaire, plus robuste.

Troisième scénario : la fuite en avant narrative. On fabrique des succès symboliques, on évite les réformes lourdes. C’est confortable… jusqu’à la prochaine crise.

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La sortie par le haut

Il faut réhabiliter l’institution contre la personnalisation. Stabiliser les postes-clés, réécrire une doctrine partagée, séparer nettement le renseignement de la lutte des factions. Et rappeler une évidence : la sécurité intérieure n’est pas un substitut à la politique, c’en est la condition. Un service qui prévient vaut mieux que dix colonnes de véhicules qui fouillent. La traque du « Djinn » n’est pas une parenthèse : c’est un test. Si l’Algérie le réussit, elle convertira une humiliation en acte fondateur. Si elle l’échoue, la prochaine alerte coûtera plus cher, à l’intérieur comme à l’extérieur.

Ce que révèle le silence

On saura peut-être demain où est passé El-Djinn. Mais on sait déjà ce que son absence a montré : qu’un pays ne tient pas par l’addition de ses forces, mais par l’architecture de ses règles. La vraie reconquête ne se joue pas aux barrages, elle se joue dans les procédures, les contrôles croisés, la durée. Là où la loyauté change, la méthode reste. C’est ce socle, discret et têtu, qu’il faut rebâtir. Alors la capitale n’aura plus à se barricader pour rattraper ses fantômes.

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