DÉCRYPTAGE – Chine – Iran – Russie : Un axe remis en question

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Réunion tendue entre hauts responsables militaires russes, iraniens et chinois autour d’une table symboliquement fissurée, illustrant la fragilité de leur alliance face à la domination stratégique des États-Unis au Moyen-Orient.
Réalisation Le Lab Le Diplo

De Alexandre Aoun

Alors que l’Etat hébreu peut compter sur son alliance indéfectible avec les Etats-Unis, l’Iran peine à trouver un soutien de poids dans cette guerre. Moscou et Pékin, proches de Téhéran, se limitent à des déclarations ministérielles, appelant à la désescalade et condamnant les attaques israéliennes et américaines. Les trois pays ne forment pas une alliance militaire formelle comme l’OTAN, mais un partenariat stratégique visant à contester l’ordre libéral international dominé par Washington. L’équation des mollahs s’avère donc plus que délicate face à une probable continuation du conflit. 

Dans cette guerre opposant Israël à l’Iran, l’Etat hébreu bénéficie du soutien logistique, financier et des renseignements américains pour localiser les cibles iraniennes. Washington, privilégiant initialement la diplomatie à l’opération militaire, a changé son fusil d’épaule en frappant dans la nuit du 21 au 22 juin trois sites nucléaires : Natanz, Ispahan et surtout Fordo. L’intervention a nécessité le largage de 14 bombes pénétrantes de très grande puissance (Massive Ordnance Penetrators, aussi appelées GBU-57), avant d’être suivie par des missiles Tomahawk, les derniers à frapper, selon le général Dan Cain. Sept bombardiers furtifs B-2 ont été utilisés pour ces frappes, ce qui en fait l’opération ayant mobilisé le plus grand nombre de ces appareils dans l’histoire du pays (après le 11 septembre). Au total, quelque 75 armes de précision ont été utilisées par les forces américaines, ainsi que 125 avions militaires.

La Russie ne rend pas la pareille

Face à ce déluge de puissance, l’Iran est une fois de plus mis en porte à faux. Isolé et affaibli depuis les défaites successives de ses proxys aux quatre coins du Moyen-Orient, Téhéran se contente que d’un soutien diplomatique de la part de Moscou et Pékin. Loin derrière les poncifs d’une sainte alliance anti-occidentale, l’axe Russie-Chine-Iran n’est autre qu’une entente de circonstance opposée aux desseins de Washington. Ni Pékin, ni Moscou ne se risqueraient à alimenter le conflit. 

Malgré la visite du chef de la diplomatie iranienne à Moscou pour rencontrer le président russe Vladimir Poutine, la Russie pourrait au mieux jouer un rôle de médiateur dans le conflit. Par pragmatisme politique, les autorités russes entretiennent des relations avec les deux belligérants. Les liens avec l’Etat hébreu ont été quelque peu affecté en raison de la guerre à Gaza et du discours pro-palestinien de la Russie, mais Israël s’est bien gardé de ne pas fournir d’aide militaire à l’Ukraine pour éviter une rupture. À l’inverse, Moscou s’est largement rapproché de Téhéran ces dernières années. Les deux pays ont signé en janvier un traité de partenariat stratégique global, visant à renforcer leurs liens, notamment militaires, qui ne comprennent néanmoins pas de pacte de défense mutuelle.

Qui plus est, malgré l’assistance iranienne sur le front ukrainien, la Russie n’a pas d’intérêts suffisants en Iran pour se permettre de fournir une aide militaire conséquente. En effet, depuis 2022, l’Iran soutient la Russie dans la guerre en Ukraine en fournissant des drones Shahed-136, rebaptisés Geran-2 par Moscou. Ces drones kamikazes, utilisés pour frapper les infrastructures ukrainiennes, sont produits en Russie grâce à une usine construite avec l’aide iranienne à Yelabuga, dans le Tatarstan. L’objectif est de fabriquer 6 000 drones d’ici mi-2025, renforçant la capacité russe à mener des attaques à bas coût. L’Iran a livré environ 3 000 drones, malgré des sanctions occidentales visant Shahed Aviation Industries. Réaliste, Vladimir Poutine ne veut pas se risquer à s’embourber dans une recrudescence des tensions avec Washington si Moscou venait à aider militairement l’Iran. Dans ce jeu de billard à plusieurs bandes, le chef du Kremlin choisit ses intérêts aux dépens d’une alliance de façade avec Téhéran. Publiquement, le président russe prend fait et cause pour la souveraineté iranienne, tout en prenant soin de critiquer l’ingérence occidentale, fer de lance de son discours auprès du Sud-Global. 

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Pékin privilégie la diplomatie

Pour ce qui est de Pékin, partenaire stratégique et principal soutien économique de Téhéran, a adopté un ton étonnamment mesuré. À la suite de l’opération militaire conduite par les États-Unis contre l’Iran le 22 juin 2023, la République populaire de Chine, critique de longue date de l’ordre mondial américanocentré, pourrait saisir cette opportunité pour affaiblir son principal rival géopolitique. Néanmoins le redéploiement des forces américaines du Pacifique vers le golfe Persique, en réponse à la crise iranienne, pourrait bénéficier à Pékin dans le contexte de la rivalité autour de Taïwan, revendiquée par la Chine et sous menace d’une potentielle invasion. 

Cependant, les ambitions chinoises dans la région sont contraintes par des considérations économiques et stratégiques. La Chine, premier importateur mondial de pétrole, dépend du Moyen-Orient pour plus de 50 % de ses approvisionnements, dont environ 10 % proviennent de l’Iran, souvent via des raffineries indépendantes contournant des sanctions américaines. Une escalade du conflit, notamment une fermeture du détroit d’Ormuz par Téhéran, perturberait gravement le commerce pétrolier mondial, affectant directement les intérêts chinois.

Par ailleurs, Pékin cherche à consolider son image d’acteur responsable en promouvant la désescalade, comme en témoigne son rôle de médiateur dans la normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran en mars 2023. La situation actuelle diffère toutefois : l’influence chinoise sur Israël, déjà limitée, s’est affaiblie depuis les événements du 7 octobre 2023, rendant improbable une médiation efficace. La Chine, attachée à la stabilité régionale pour soutenir ses projets d’infrastructures, tels que les nouvelles routes de la soie, privilégie une posture diplomatique prudente. Un effondrement du régime iranien, partenaire stratégique dans la contestation de l’hégémonie occidentale, serait un revers pour Pékin, qui valorise la multipolarité régionale pour contrer l’ordre libéral international. Cette multipolarité sert les intérêts chinois en évitant un Moyen-Orient dominé par les États-Unis et Israël. Cependant, un engagement militaire direct de Pékin pour soutenir Téhéran reste hautement improbable, en raison de ses capacités limitées de projection de puissance et de son intérêt à préserver ses relations économiques globales. Ainsi, la Chine devrait se limiter à des initiatives diplomatiques, appelant à la réduction des tensions tout en évitant une confrontation ouverte avec Washington.

Le monde musulman ne peut que condamner

Dans ce conflit, à l’issue plus qu’incertaine, Téhéran ne peut miser que sur ses propres forces. Outre le soutien diplomatique russe et chinois, au cours d’une réunion des ministres des Affaires étrangères à Istanbul, les 57 pays membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) ont publié une déclaration conjointe dénonçant « l’agression israélienne » contre l’Iran et insistant sur « l’urgence d’arrêter les offensives israéliennes ». L’OCI a exprimé sa « vive inquiétude face à cette escalade périlleuse » et appelle la communauté internationale à adopter des « mesures dissuasives » contre les attaques visant Téhéran. Dans une résolution distincte en 13 points, l’organisation condamne les frappes israéliennes et américaines, réaffirmant sa « solidarité absolue avec l’Iran » et qualifiant ces « actes barbares » de violations du droit international. L’OCI exhorte l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à « condamner sans ambiguïté » ces attaques et à en référer au Conseil de sécurité. Elle demande également à Israël d’adhérer immédiatement au traité de non-prolifération nucléaire et de soumettre ses installations nucléaires à la supervision de l’AIEA. Enfin, l’OCI reconnaît le « droit légitime de l’Iran à l’autodéfense » et sa capacité à « prendre toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder pleinement sa souveraineté ».

Cette confrontation israélo-iranienne a prouvé que les Etats-Unis restent la seule puissance hégémonique au Moyen-Orient, capable de projeter ses forces rapidement et d’agir unilatéralement. De surcroît, cette opération contre les sites nucléaires iraniennes résulte également d’un timing précis et d’une préparation adéquate, en coordination avec son allié israélien.

De son côté, Téhéran est donc face à une équation à plusieurs inconnues. Vont-ils se risquer à un conflit de grande envergure contre les Etats-Unis en ciblant les bases américaines dans la région, vont-ils se décider à se soumettre aux exigences israélo-américaines en abandonnant totalement son programme nucléaire ou vont-ils sortir du traité de non-prolifération ? Une chose est sûre, malgré le soutien diplomatique de la majorité des pays du Sud-Global, sur le champ de bataille, l’Iran fait cavalier seul. 

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