
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie)
Choisir l’Alaska comme lieu pour un premier sommet avec Vladimir Poutine n’est pas un geste anodin. Pour Donald Trump, qui maîtrise l’art des messages visuels et symboliques, il s’agit d’un double mouvement stratégique : contraindre le chef du Kremlin à se rendre sur sol américain – reconnaissance implicite de l’hégémonie des États-Unis – tout en lui offrant une scène diplomatique qui réhabilite, du moins en apparence, son statut international. Un paradoxe qui illustre la nature ambiguë de ce face-à-face : confrontation et reconnaissance, distance et proximité.
Héritage d’un échange historique : Du “folly” américain à la revanche économique
L’Alaska est plus qu’une région glaciale au nord du continent. C’est une cicatrice dans l’histoire russo-américaine. En 1867, l’Empire russe, accablé par les dettes de la guerre de Crimée, vend l’Alaska aux États-Unis pour 7,2 millions de dollars – environ 120 millions d’aujourd’hui. L’opération, décidée par le tsar Alexandre II, fut perçue par les nationalistes russes comme une trahison et, côté américain, comme une folie coûteuse du secrétaire d’État William Seward.
La découverte d’or en 1897 transforma pourtant l’affaire en jackpot stratégique et économique : en quelques décennies, l’investissement initial fut multiplié par cent. Ce rappel historique nourrit aujourd’hui la charge symbolique de tout geste diplomatique dans cette région : pour Poutine, traverser le détroit de Béring, large de quelques kilomètres, revient à toucher un territoire que la mémoire nationale continue de considérer comme arraché à la patrie.
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L’Arctique, nouvelle frontière des rivalités : Un espace qui se réchauffe… et s’ouvre
Si l’Alaska est choisie comme décor, c’est aussi parce qu’elle se trouve au cœur d’un théâtre stratégique en pleine mutation : l’Arctique. Le réchauffement climatique réduit la couverture glaciale, ouvrant de nouvelles routes maritimes et donnant accès à des gisements sous-marins considérables en pétrole, gaz et métaux précieux. Ces voies peuvent réduire de moitié le temps de transit entre l’Europe et l’Asie, modifiant potentiellement la carte du commerce mondial.
Pour Washington, il ne s’agit pas seulement de défendre ses propres approches septentrionales, mais de contrer l’installation durable de la Russie et la percée méthodique de la Chine dans cet espace.
La montée en puissance russe : Bases, sous-marins et flotte de brise-glaces
Depuis 2014, Moscou a constitué un Commandement du Nord, réactivant ou construisant une cinquantaine de bases et de sites militaires au-dessus du cercle polaire, surpassant numériquement l’OTAN dans la région. Sa marine déploie des sous-marins nucléaires de nouvelle génération, comme la classe Arcturus, capables de mettre en œuvre des drones et des missiles hypersoniques sous-marins.
Mais l’atout majeur de la Russie reste sa flotte de brise-glaces – plus de cinquante navires en service, avec un plan d’expansion ambitieux. Cette capacité garantit à Moscou une présence permanente, quelles que soient les conditions météorologiques, et lui offre un levier logistique et militaire sans équivalent.
Pékin : Un acteur non-arctique, mais ambitieux : La “Route de la soie polaire” comme projet global
Depuis 2018, la Chine s’est autoproclamée “État proche-arctique” et revendique un intérêt stratégique dans la région. Elle possède déjà trois brise-glaces, dont l’un est le plus grand jamais construit, et coopère étroitement avec Moscou pour développer une “Route de la soie polaire”. Pékin y voit une extension de son initiative globale Belt and Road, capable de diversifier ses routes commerciales, sécuriser des ressources et accroître sa projection stratégique.
Cette alliance de circonstance entre Russie et Chine dans le Grand Nord inquiète particulièrement Washington, qui craint une consolidation de leur influence dans un espace encore en structuration.
Les États-Unis en position de contrôle : Arctic Edge 2025 et la logique de dissuasion
Le sommet en Alaska coïncide avec l’exercice militaire Arctic Edge 2025, conçu pour tester et démontrer la capacité américaine à défendre le Nord contre toute menace, en particulier russe. La logique est claire : maintenir une posture de supériorité technologique et opérationnelle, tout en signalant à Moscou que les approches septentrionales de l’Amérique restent inviolables.
L’Alaska devient ainsi la vitrine d’un double message : puissance de dissuasion et volonté de dialogue. Un équilibre subtil où la démonstration militaire soutient l’initiative diplomatique.
Un triangle stratégique et énergétique : Compétition et opportunités
L’Arctique est à la fois champ de confrontation et horizon de coopération potentielle. Les ressources énergétiques, les routes maritimes et les enjeux environnementaux pourraient devenir le terrain d’ententes ponctuelles entre Washington et Moscou, si des compromis géopolitiques plus larges (notamment sur l’Ukraine) voyaient le jour.
Pour la Russie, s’arrimer à un accord avec les États-Unis dans le Nord pourrait offrir un contrepoids à la dépendance croissante vis-à-vis de la Chine. Pour Washington, cela signifierait encadrer la projection russe et limiter l’influence chinoise.
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Alaska, carrefour du passé et du futur
Au-delà du symbole historique, l’Alaska incarne aujourd’hui la réalité géopolitique du XXIᵉ siècle : un espace où l’histoire coloniale, les rivalités militaires et les perspectives économiques s’entrelacent. Pour les États-Unis, c’est un avant-poste de surveillance et de contrôle sur les routes du Pacifique Nord et de l’Arctique. Pour la Russie, c’est le souvenir d’une perte et le point le plus proche de l’Amérique. Pour la Chine, c’est une porte d’entrée vers un espace qu’elle veut intégrer à son réseau global.
Le sommet Trump-Poutine en Alaska ne se réduit donc pas à une photo sur fond de neige. Il s’inscrit dans une bataille plus large : celle de l’accès, du contrôle et de l’influence dans un Arctique qui, à mesure qu’il se réchauffe, devient une mer où se croisent ambitions, stratégies et duels de superpuissances.
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