
Par Olivier d’Auzon
Le faste des palais qataris n’a pas réussi à masquer la gravité de l’instant. Dans une salle illuminée de lustres, au cœur de Doha, l’émir Tamim ben Hamad Al-Thani a accueilli, le 15 septembre, une assemblée où se mêlaient présidents, rois et princes venus des horizons les plus divers du monde arabe et musulman. Tous avaient répondu à l’appel d’un sommet extraordinaire, convoqué dans l’urgence après l’attaque israélienne sur le sol qatari, une première historique qui a sidéré les chancelleries régionales.
L’acte, ciblant des responsables du Hamas réfugiés à Doha, a coûté la vie à six hommes – cinq Palestiniens et un garde qatari. Mais au-delà du drame, c’est l’arrogance et l’impunité affichées par Tel-Aviv qui a déclenché la colère : frapper à Doha, médiateur attitré des négociations de cessez-le-feu à Gaza, revient à piétiner le fragile équilibre diplomatique régional.
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La riposte diplomatique : Menaces sur les relations avec Israël
Dans un texte commun, les dirigeants arabes et musulmans ont appelé à une révision en profondeur de leurs relations diplomatiques et économiques avec Israël. Plus encore, ils menacent de coordonner leurs efforts pour suspendre l’État hébreu des Nations unies.
Les gestes symboliques ne manquent pas. L’Égypte, premier pays arabe à avoir reconnu Israël, a mis en garde contre un effondrement des accords de paix. Les monarchies du Golfe, partenaires traditionnels de Washington, ont condamné avec une rare unanimité l’attaque, exigeant de l’allié américain qu’il use enfin de son influence pour contenir les velléités israéliennes.
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Entre Washington et Doha : Une équation instable
Or, à peine les discours enflammés résonnaient-ils encore dans les salons de Doha que le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, s’exprimait à Jérusalem. Fidèle au rôle de protecteur de l’État hébreu, il réaffirmait le soutien « indéfectible » de Washington dans son combat contre le Hamas. Une posture classique, mais périlleuse à l’heure où plusieurs capitales occidentales se préparent à reconnaître un État palestinien aux Nations unies.
Rubio devait se rendre dès le lendemain au Qatar, illustration crue de la schizophrénie diplomatique américaine : soutenir Israël sans perdre un allié stratégique tel que Doha, pivot énergétique et financier de la région.
Les fractures du monde arabe
Le sommet a révélé autant d’unité de façade que de divergences profondes. Les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc – signataires des accords d’Abraham – ont prudemment envoyé de simples représentants, refusant de se joindre pleinement à l’embrasement rhétorique. Car derrière les appels à la solidarité islamique se cache une autre réalité : la tentation pour certains de transformer la normalisation avec Israël en levier d’influence sur Washington.
Mais l’émir du Qatar, dans un discours offensif, a dénoncé « l’illusion dangereuse » d’un Proche-Orient remodelé sous hégémonie israélienne. À ses côtés, l’Iran a joué sa partition guerrière, avertissant que « demain, toute capitale arabe pourrait être frappée ». La Turquie d’Erdogan, fidèle à son rôle de tribun des causes palestiniennes, a pour sa part accusé Israël de vouloir poursuivre un « génocide ».
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L’horizon : Une paix de plus en plus illusoire
À mesure que l’on scrute la scène, une évidence s’impose : Israël cherche à dissuader, par la force, toute médiation qui pourrait ressusciter l’idée d’un État palestinien viable. Le calcul de Benyamin Netanyahou est clair : pousser ses voisins à choisir entre une normalisation complète sous ses termes ou un isolement croissant.
L’histoire du Moyen-Orient enseigne que les humiliations accumulées finissent toujours par rejaillir. L’attaque de Doha, en violant l’hospitalité qatarie et en défiant les codes tacites de la diplomatie régionale, risque d’ouvrir une nouvelle séquence d’instabilité. Comme souvent, ce sont les populations civiles – palestiniennes d’abord, arabes ensuite – qui paieront le prix des illusions stratégiques.
Or Roland Lombardi, directeur de la rédaction du Diplomate média et spécialiste du Moyen-Orient, est plus nuancé sur la portée de cette conférence de Doha et relativise ses conséquences :
« Le sommet « extraordinaire » de Doha, après le raid israélien tout sauf ordinaire, c’est le théâtre oriental typique qui remet ses masques.
Le message israélien était limpide : pression maximale sur un Qatar déjà relégué en coulisses au profit du Caire, de Riyad et d’Abou Dhabi, et objectif d’éradication totale du Hamas.
De fait, l’indignation des autres pays arabes est bien réelle : on ne frappe pas un pays « non hostile » (officiellement) impliqué dans des pourparlers. Mais en réalité, chacun pense d’abord à sa propre vulnérabilité et à sa rue, inflammable sur Gaza et sourcilleuse de souveraineté. Alors il fallait bien marquer le coup, si j’ose dire, et afficher une solidarité protocolaire avec Doha, tout en adressant un rappel à l’ordre à Israël – et, surtout, à son protecteur à Washington : l’écrasante suprématie militaire israélienne, ok, l’humiliation des mollahs de Téhéran, à la rigueur, mais l’humiliation arabe, c’est non ! Faut pas pousser !
En privé, Sissi, MBS et MBZ ne pleurent pas sur l’humiliation qatarie (comme sur celle de l’Iran en juin) – pourvu que l’orage passe ailleurs. Surtout que moins de Doha à la table, c’est le dernier grand argentier des islamistes hors-jeu et moins de rivalité ; plus de latitude pour verrouiller la suite.
Et la suite est connue. Une Gaza débarrassée du Hamas par Israël, qui n’est pas sans déplaire aussi aux dirigeants arabes cités précédemment puisqu’ils ont déjà des « personnalités de rechange » déjà en file indienne… Tous les soi-disant « spécialistes » s’hystérisent et poussent des cris d’orfraie mais ceux qui connaissent vraiment la région savent où mène la trajectoire : un retour aux bonnes affaires avec les Israéliens après un compromis à deux États, rebaptisé pour l’occasion, sous la pression de Trump et avec, pour le nouvel État palestinien, les hommes du Caire, de Riyad et d’Abou Dhabi à sa tête. Point ! Les Russes et les Chinois ont secrètement validé. Même Netanyahou le sait, il ne peut l’avouer aujourd’hui ; ses alliés politiques à la Knesset le lui interdisent, or le réalisme géopolitique le lui dictera à plus ou moins long terme ».
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