ÉDITO – Frères musulmans : Le coup de semonce américain qu’il fallait

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Image de Donald Trump annonçant une décision ferme contre les Frères musulmans, illustrée par un symbole de l’organisation marqué du mot « FIRED », représentant la volonté américaine de les classer comme organisation terroriste.
Réalisation Le Lab Le Diplo

L’Édito de Roland Lombardi, Directeur de la rédaction – Le Diplomate Média

On connaît la scène : quand Washington éternue, Bruxelles cherche un mouchoir, Paris disserte, Doha tousse… et Ankara sort le thermomètre. L’annonce — ou plutôt la pré-annonce — de l’administration Trump de classer les Frères musulmans comme « organisation terroriste » (l’une des rares promesses de son premier mandat non tenues…) est passée quasi inaperçue – guerre en Ukraine oblige – alors que cette décision est peut-être l’une des plus importantes pour l’Occident mais également pour le monde arabo-musulman. 

On s’en étonne ? Pas moi. Cela fait des années que j’explique, avec d’autres confrères et bien avant le dernier rapport, bien tiède, du ministère de l’Intérieur français, que cette Confrérie, fondée en Égypte en 1928, n’est pas un club de « gentils moines bouddhistes » version musulmane – comme  certains idiots utiles islamo-gauchistes (tels les nervis de LFI) essaient toujours de nous le faire croire – ou encore, des « islamistes modérés » (alors que l’islamisme modéré n’existe pas !) mais l’ossature idéologico-politique de l’islamisme contemporain, infiniment plus dangereuse pour l’Occident et le monde arabo-musulman que Daech ou Al-Qaïda avec qui elle ne partage pas certes le modus operandi, mais a la même matrice idéologique et surtout les mêmes objectifs ! L’entrisme patient, la respectabilité en façade et la conquête culturelle (et politique) au quotidien sont les clés de voûte de sa stratégie. De fait, en Europe aujourd’hui et depuis déjà de nombreuses décennies, là où il y a revendications et tensions communautaires, et aujourd’hui les mouvements anti-israéliens, il y a toujours derrière de l’agit-prop d’une association peu ou prou liée à cette nébuleuse…

Juste trois petits rappels factuels mais toujours nécessaires sur la Confrérie : le Hamas n’est autre que la branche palestinienne de l’organisation, Khomeini s’est grandement inspiré de ses méthodes pour prendre le pouvoir en Iran en 1979 et les cadres (pour leur grande majorité) d’Al-Qaïda ou Daech ont tous débuté leurs « cursus » macabres… chez les Frères !  

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Le signal de Washington, et ce qu’il change

Selon plusieurs indications publiques de presse et de relais politiques à Washington, la Maison-Blanche pousse pour une désignation qui s’appuierait sur le droit américain existant (liste FTO du Département d’État et/ou sanctions EO 13224 du Trésor). Concrètement, pareille décision criminalise l’appui matériel (« material support ») aux entités désignées, assèche les circuits financiers, dissuade banques et ONG, et expose même des acteurs non-US dès lors qu’ils croisent la juridiction américaine. Ce n’est pas du symbole : c’est l’instrumentalisation assumée du droit financier et pénal au service d’une stratégie. 

Le 12 août dernier, lors d’un entretien dans l’émission américaine Sid and Friends in the Morning, Marco Rubio a donc annoncé que son département travaillait à classer les Frères musulmans comme « organisation terroriste ». Selon le secrétaire d’État, cette mesure, envisagée par l’administration Trump, est déjà « en cours de réalisation », ajoutant qu’il faudrait « désigner chacune des branches » de la confrérie séparément, en raison de leur structure éclatée.

Simultanément, au Capitol Hill, l’offensive politique est visible : un texte, Muslim Brotherhood Terrorist Designation Act of 2025, porté par le sénateur républicain du Texas, Ted Cruz, ainsi que les représentants Mario Diaz-Balart et Jared Moskowitz, vise explicitement la Confrérie. Bref, la fenêtre s’ouvre — et cette fois, avec un mode d’emploi juridique et surtout, par la grande puissance américaine.

« Interdite dans de nombreux pays arabes » : Un rappel utile

Ceux qui poussent des cris d’orfraie en Europe dénonçant un énième et sempiternel acte d’« islamophobie », feraient bien de regarder la carte. L’Égypte a classé la Confrérie « terroriste » dès 2013, l’Arabie saoudite en 2014, tout comme les Émirats arabes unis et dernièrement la Jordanie. Ainsi que la Russie depuis les années 1990… Ce n’est donc ni inédit ni « islamophobe » (terme inventé par les mollahs iraniens dans les années 1980, CQFD !) : c’est la traduction politique d’un rapport de force observé, chez eux, depuis longtemps. Présent en Tunisie, en Égypte et en Syrie au début des révolutions de 2011, j’ai pu constater de visu leur redoutable efficacité opérationnelle…

En Europe, la revue officielle britannique (rapport Jenkins, 2015) notait déjà la relation ambiguë de la Confrérie à la violence et son rôle de passerelle vers l’extrémisme. Sans oublier bien sûr le dernier et excellent ouvrage de Florence Bergeaud-Blackler : Le frérisme et ses réseaux, l’enquêteOdile Jacob, 2023.

Voilà pour les faits, pas les fantasmes.

Une Confrérie plus dangereuse que Daech !

Daech et Al-Qaïda « bruitent » ; les Frères, aujourd’hui marginalisés dans le monde arabe, se sont tournés vers le ventre mou de l’Occident à savoir l’Union européenne. Ils s’instituent. Ils s’infiltrent dans l’associatif, l’humanitaire, l’éducation, les universités, les mosquées, les médias et sur le web — et travaillent le temps long. C’est précisément ce que j’écrivais en 2023 dans une suite d’analyses « Quel avenir pour les Frères musulmans ? » : le frérisme prospère moins par la terreur que par la normalisation de normes incompatibles avec nos principes.  La menace est donc structurelle, non conjoncturelle. 

Les autorités françaises semblent avoir découvert l’humidité de l’eau : leur rapport de mai 2025 sur « les Frères musulmans et l’islamisme politique » alerte sur l’entrisme et l’islamisme municipal. On peut en discuter les biais ; on ne peut pas feindre d’ignorer le problème. 

Un coup dur pour Ankara et Doha

Depuis plusieurs décennies et notamment à partir 2011 (début des printemps arabe), le Qatar et la Turquie d’Erdogan (issue lui-même de la Confrérie) ont offert tribune, relais médiatiques et parfois refuge à des figures fréristes, et surtout, en ont fait un outil d’influence régional afin de placer leurs sbires dans les capitales arabes touchées par les révolutions de 2011 — ce qui, au passage, a fissuré le CCG et nourri des crises où l’on a beaucoup parlé de « terrorisme » et d’« islam politique ». 

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Une désignation américaine n’assèche pas seulement des comptes, ce qui est déjà beaucoup : elle réduit la valeur d’usage de ce réseau pour ces deux capitales, complique les levées de fonds, renchérit le coût réputationnel et juridique des intermédiations. C’est du simple bon sens, du réalisme, pas du moralisme. 

« Et l’Europe ? » — La tentation de l’atermoiement

Souhaitable, l’alignement européen ? Oui. Probable ? Non. Pour deux raisons.


D’abord, le cadre juridique européen est plus étroit : il exige des preuves formelles (pas toujours évidentes) par entité et par État membre — la « nébuleuse » frériste se défend très bien sur le terrain procédural. Et ne parlons même pas de la quasi protection que lui assure la CDEH ! Car ne nous leurrons pas : ce que nous considérons comme de la tolérance, n’est pour cette organisation que le signe de notre incommensurable faiblesse, qu’elle exploite à l’envi !


Ensuite, le climat d’influence est réel : l’affaire dite Qatargate a montré à quel point nos institutions pouvaient être poreuses aux intérêts de Doha (et d’autres), avec des valises de cash au cœur du Parlement. Il n’y a pas besoin d’être complotiste pour conclure que, dans pareil contexte, la hardiesse réglementaire se refroidit vite face aux froncements de sourcils des parrains et derniers grands argentiers des Frères musulmans…

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Qu’on se comprenne : il s’agit pourtant de neutraliser un acteur politique transnational qui instrumentalise le religieux au service d’une idéologie et d’un projet éminemment mortifère. Les États sérieux, du Caire à Riyad en passant par Abou Dhabi, ne s’y sont pas trompés. 

Les États-Unis, par intérêt bien compris, jouent dans la même division. À l’Europe de décider si elle préfère la morale verbale et la naïveté procédurale… ou la prudence stratégique.

« Les illusions coûtent cher, les réalités se paient comptant ». En attendant, malgré ses salamalecs et sa campagne de charme effrénée pour se racheter auprès de Donald Trump (et oui les Qataris ayant toujours soutenu et financé les campagnes de Clinton, Biden et Harris !), Doha n’est pas parvenu à faire oublier à ce dernier sa vieille promesse de faire inscrire les Frères musulmans sur la liste américaine des organisations terroristes. L’administration Trump a donc choisi de passer à l’action. Et c’est une très bonne chose ! Or il est certain que le Qatar mettra toute son influence et ses moyens pour entraver cette décision, n’ayons crainte… Des juges fédéraux, proches des Démocrates, annoncent déjà qu’ils pourraient bloquer l’initiative de Marco Rubio et Ted Cruz à l’échelle nationale…

Quoi qu’il en soit, pour réduire rapidement l’influence « frériste », il faut la criminaliser, en interdisant purement et simplement l’organisation (sous toutes ses formes et avec toutes les associations affiliées) comme va donc peut-être le faire le secrétaire d’État américain Marco Rubio. Et si la plus grande puissance occidentale franchit le pas, ce sera un très bon signal…

Cela bloquerait ses financements, limiterait ses déplacements, restreindrait drastiquement sa communication et lui interdirait donc d’agir sur son territoire et la rendrait donc inopérante, en la marginalisant et la privant de nouveaux adeptes potentiels ainsi que de nouvelles cotisations. Exactement ce que devrait faire la France – et l’Europe car seule l’Autriche a eu le courage de le faire en 2020 – pour enfin rapidement stopper, avant qu’il ne soit trop tard et qu’elle ne fasse exploser nos sociétés, le poison qu’elle déverse insidieusement dans les esprits et les cœurs de certains de nos compatriotes musulmans. 

Or comme je le répète souvent et l’écrivais déjà ici même en 2023, c’est là que le bât blesse puisque la confrérie demeure encore très riche. Grâce d’abord aux contributions et de dons de leur centaine de milliers voire de leurs millions d’adhérents, membres et sympathisants à travers la planète et également grâce au soutien politique et financier de certains pays… Napoléon le disait pour les guerres conventionnelles mais il en va de même pour les guerres asymétriques, idéologiques ou psychologiques. Pour les gagner, il faut trois choses : de l’or, de l’or et de l’or !  Plus d’argent, plus de conflit ! C’est ce que j’appelle « la jurisprudence Al Capone ». Car l’histoire le prouve. Même le plus fanatique des idéologues ne va jamais bien loin sans le principal nerf de la guerre, de toutes les guerres, qui est et restera toujours : l’argent !

En France, on prend tardivement et très timidement conscience de la dangerosité de cette organisation, en Europe, on détourne le regard…

A la différence de Trump et des membres de son administration, la plupart des autres dirigeants occidentaux actuels n’ont pas les mêmes priorités sécuritaires et géopolitiques, focalisés qu’ils sont, de manière hystérique et inconséquente, sur le (faux) « danger russe », le « prédateur » et l’ « ogre » Poutine » ! 

Dans les chancelleries européennes, on l’a dit, les Frères musulmans via les lobbies de Doha restent encore très influents. Aujourd’hui, et malheureusement, aucun dirigeant progressiste européen, pour des raisons de faiblesse, d’aveuglement, d’angélisme idéologique, de diplomatie commerciale ou encore de conflit d’intérêt ne se hasarderait à interdire la confrérie. Pour la bonne et simple raison qu’il ne faut surtout pas froisser le néo-Sultan Erdogan et encore moins les riches émirs du Qatar…

A Paris, par exemple, on n’osera jamais contrarier Doha : on ne mord pas la main qui a fait – enfin ! – soulever au PSG la Coupe de la Ligue des Champions le 31 mai 2025 — question de principes… comptables.

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