ÉDITO – Sommet d’Anchorage : Un « rien » qui compte peut-être… Ou du moins espérons-le…

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Donald Trump et Vladimir Poutine se serrent la main lors du sommet d’Anchorage en Alaska, symbolisant une rencontre diplomatique tendue mais décisive entre les États-Unis et la Russie.
Sources : Capture d’écran de Trump accueillant Poutine sur la base militaire américaine d’Elmendorf-Richardson à Anchorage, en Alaska, le 15 août 2025.

L’Édito de Roland Lombardi, Directeur de la rédaction – Le Diplomate Média

Avouons-le d’emblée — et avec un brin d’ironie : l’accueil, sur la base militaire américaine d’Elmendorf-Richardson à Anchorage, en Alaska, plus que chaleureux et tactile de Donald Trump à Vladimir Poutine a dû faire blêmir Xi Jinping, Volodymyr Zelensky et nombre de dirigeants européens (qui, mutatis mutandis, semblent préférer la poursuite de la guerre à un processus incertain de désescalade). On imagine déjà les mines crispées au visionnage des premières images de cette rencontre historique…

Quoi qu’il en soit, il s’agissait de leur premier face-à-face de ce mandat et du premier déplacement officiel de Poutine sur le sol américain depuis des années.

Mais les faits, eux, sont têtus, comme disait Lénine. Ce vendredi 15 août, Trump et Poutine se sont donc entretenus près de trois heures à huis clos. Puis, une conférence de presse conjointe d’à peine… douze minutes, sans questions de journalistes à l’issue, où l’on a parlé d’échanges « extrêmement constructifs », « productifs » et « respectueux ». 

Or aucune annonce majeure et concrète sur l’arrêt du conflit en Ukraine et aucun détail sur les discussions. 

Les deux hommes ont certes promis de se revoir « très bientôt ». Faut-il en déduire qu’un couac s’est glissé quelque part ? Le format éclair, l’absence de Q&A et une fin de séance visiblement écourtée, un déjeuner prévu mais annulé… — en dépit de gestes encore très cordiaux entre les deux hommes d’État lors de leur séparation — peuvent en effet le laisser penser. Mais le diable, en diplomatie, niche rarement dans la partie visible de l’iceberg.

À lire aussi : ANALYSE – Guerre en Ukraine : L’effondrement de l’utopie pacifiste et le retour du réalisme offensif

L’écume polémique et le fond des choses

Cette sobriété a aussitôt déclenché un concert de commentaires sarcastiques chez les incorrigibles anti-Trump. Dans l’instant, il est tout de même consternant voire écœurant – car derrière cette triste affaire il y a des morts, beaucoup de morts ! – une grande partie des commentateurs sur les chaînes d’info mainstream et viscéralement anti-Trump a exulté – soulagée après la véritable torture visuelle qu’a été pour elle la scène de l’accueil enflammé et enthousiaste de Trump à Poutine sur le tarmac de la base   d’Elmendorf-Richardson – : « fiasco », « rien de concret », « il s’est fait humilier, rouler et piéger par Poutine ». Certains se sont presque réjouis et étaient même au bord de l’orgasme qu’il n’y ait pas de paix conclue hier soir — tristement révélateur. 

Mieux vaut, pour cette chapelle, démontrer l’incompétence supposée de Trump que soutenir un processus certes encore embryonnaire et donc vulnérable. C’est un réflexe partisan mais c’est un manque notable de professionnalisme et sur le fond, pitoyablement abject !

Or, que nous ont dit les deux protagonistes ? Poutine a répété que s’il avait eu Trump en face en 2022, « il n’y aurait pas eu de guerre ». Message double : renvoyer la responsabilité de l’escalade aux Démocrates et aux Européens, et donner des gages (en reprenant ses propres termes) à son interlocuteur du moment. Et en effet, ce n’est pas parce que le maître du Kremlin dit parfois une vérité que ce n’est pas une vérité ! Il a enfin apprécié cette reprise du dialogue qui pour lui allait « ouvrir la voie vers la paix en Ukraine ».

Trump, lui, a répété son mantra : « no deal until there’s a deal » — pas d’accord tant qu’il n’y a pas d’accord. Il a assuré qu’« il ne restait que très peu » de points à régler, tout en annonçant des « coups de fil » nécessaires — à l’OTAN, à Zelensky — avant toute suite. Il a insisté, dans sa conclusion, sur « les vies à sauver » : une formulation qui n’a rien d’anodine. Elle prépare l’opinion à des gestes graduels plutôt qu’à un grand soir diplomatique.

Une lecture réaliste des objectifs

Moscou cherche trois résultats :

  1. Sanctuariser de facto ses gains territoriaux ;
  2. Obtenir une trajectoire — même conditionnelle — d’allègement des sanctions ;
  3. Rediscuter l’architecture de sécurité européenne pour y inscrire ses lignes rouges, avec notamment la neutralité de l’Ukraine et sa non-entrée dans l’OTAN.

La photo d’Anchorage brise déjà un isolement politique et offre au Kremlin un levier narratif.

Washington (version Trump) veut amorcer une désescalade politiquement soutenable : faire baisser l’intensité des combats sans « vendre » l’Ukraine, ménager l’OTAN et l’électorat républicain, et conserver de la coercition dans la poche. Et également donner certains gages aux néoconservateurs encore influents en politique interne et au puissant et omnipotent complexe militaro-industriel qui œuvrent toujours à sa perte… 

D’où une approche transactionnelle et séquencée : tester ce que Poutine peut concéder contre des contreparties graduées. Dans ce cadre, l’idée de garanties de sécurité pour Kiev « hors OTAN » — assorties d’un paquet capacitaire — n’est plus taboue.

Kiev demeure la variable déterminante. Non invité, Zelensky ne peut accepter une cession territoriale trop explicite ; son espace de manœuvre dépend donc de trois réalités tangibles : un coup d’arrêt militaire sur le terrain ; la crédibilité des garanties et du réarmement promis ; et sûrement sa survie politique…

L’Europe, enfin, a surtout regardé passer le train : le canal utile et efficace, aujourd’hui, est bilatéral Washington–Moscou, avec consultation des alliés a posteriori. Pathétique ! Une réalité strategico-diplomatique peu confortable pour Bruxelles, Berlin ou Paris. 

De toute manière, comme je l’avais déjà déclaré le jeudi 14 août : « Trump se fout royalement de l’avis des responsables européens. Ils ne comptent pas, sauf pour torpiller toutes les tentatives de paix ! Trump a d’autres problèmes plus importants. Sa priorité c’est de se débarrasser de ce boulet ukrainien qui n’a aucun intérêt pour lui – et pour les Européens, mais personne ne veut l’entendre depuis 3 ans ! Il faut rapidement qu’il parvienne à normaliser, au moins partiellement, ses relations avec Moscou qui est un pivot incontournable dans sa rivalité avec la Chine. C’est aussi simple que cela. De plus, il sait pertinemment que les petits dirigeants européens ne veulent pas de paix en Ukraine – et donc une victoire russe – car cela les discréditerait une fois de plus – et c’est déjà fortement le cas ! – auprès de leurs administrés puisque toutes leurs propagandes, leurs mensonges et le flot de milliards déversés à Kiev pendant plus de 3 ans n’auront au final servi strictement à rien ! Enfin, Trump n’est absolument pas dupe de leur hypocrisie macabre : il sait très bien qu’ils veulent poursuivre le conflit car ils ne sont que les petits télégraphistes et les pitoyables obligés des néoconservateurs et de l’omnipotent complexe militaro-industriel américains, les mêmes qui œuvrent à sa chute à Washington ! » 

« Rien » devant les caméras, tout (peut-être) en coulisses

L’absence d’annonce n’est pas un échec en soi. Confondre communication et négociation est un sport mondial, surtout pour les médias et les « experts » de plateaux TV ! Les processus de désescalade sérieux commencent rarement devant micros et drapeaux et ne se tranchent ni au pupitre ni sous les projecteurs. Une séquence réaliste ressemblerait plutôt à ceci :

  • Étape 1 : mesures à faible visibilité (échanges de prisonniers, corridors humanitaires, règles de non-frappe sur certaines infrastructures) ;
  • Étape 2 : gel localisé des lignes, mécanismes de vérification, hotlines militaires ;
  • Étape 3 : discussion politique sur garanties à l’Ukraine et allègement conditionnel de sanctions.

Rien de tout cela n’a été annoncé — ce qui, paradoxalement, peut être un signe de travail en coulisses plutôt qu’un aveu d’impuissance. Les formats restreints, la brièveté calculée, le vocabulaire de respect mutuel fabriquent une mise en condition plus qu’un résultat.

Et maintenant ?
  • Pour Poutine : Déjà que l’armée russe remporte succès sur succès sur le terrain, Anchorage fut clairement une réussite pour les Russes contribuant ainsi à rompre l’isolement en Occident. Poutine pouvait pavoiser. Il a retrouvé une scène occidentale et l’a exploitée avec habileté. On lui a déroulé le tapis rouge et a été reçu en grandes pompes par le président américain. Les Russes n’ont apparemment rien « lâché » mais il faut transformer la belle photo en brèche diplomatique, tester et surveiller la patience américaine, diviser encore les Européens.
  • Pour Trump : Il est vrai qu’il avait la mine fermée à l’issue de cette journée. Il doit assurément être déçu, ne nous leurrons pas, car, toujours pressé (car le temps des hommes d’affaires n’est pas le même que les virtuoses des relations internationales que sont les diplomates russes), il aurait indubitablement espéré faire une grande annonce dès hier soir. Pour l’instant, il doit se contenter d’obtenir un début de réduction de la violence et un calendrier de mesures, tout en gardant la pression (sanctions, soutien militaire à Kiev ?) si Moscou « joue la montre ». Et on l’a dit, essuyer les torrents de critiques, de moqueries et de sarcasmes de tous ses adversaires…
Ce qu’il faudra surveiller, concrètement
  1. Au sol : baisse mesurable des frappes, stabilisation d’un secteur, retrait d’armes lourdes d’une zone test.
  2. Humanitaire : échanges de prisonniers, évacuations, protection des infrastructures civiles.
  3. Politique : cadrage d’un paquet de garanties pour Kiev (bilatérales US, coalition de bailleurs, défense aérienne, munitions) et date d’une seconde rencontre — Poutine a suggéré Moscou, Trump a laissé la porte ouverte.
  4. Signalisation coercitive : quelles « conséquences très sévères » si le Kremlin temporise ? La crédibilité d’une menace vaut autant que l’appât de la récompense.
Alors mon verdict provisoire…

Difficile pour un réaliste de faire une analyse sur… du « rien ». Je préfère laisser cela aux pseudos experts, aux idiots utiles, aux idéologues et aux agents d’influence. Toutefois, je pense qu’Anchorage n’est ni une percée ni un fiasco. C’est un test de canaux, un pari de séquencement. Ceux qui se gaussent de « tout ça pour ça » confondent la scène et la partie. Ceux qui annoncent la paix demain se paient d’histoires. Entre ces deux contes, il reste l’essentiel : la capacité des Américains et des Russes à transformer une photo en dynamique. C’est long, ingrat, souvent invisible. Mais c’est ainsi que se fabriquent, parfois, les compromis. Souvent, en géopolitique comme ailleurs, il faut « laisser du temps au temps » comme disait l’autre…

Au final, que retenir ? La confiance affichée par Trump et Poutine paraît difficilement simulée ; leur volonté de se revoir aussi. L’absence d’annonces, le format expéditif et l’hypothèse d’un couac ou de potentiels points d’achoppement, ne changent pas l’essentiel : à présent, un canal majeur existe, directement entre les deux chefs d’État, et surtout, le dialogue est rétabli. Ce n’est déjà pas si mal. Dans le monde réel, c’est souvent le préalable qui compte. Le reste viendra, ou pas, à la vitesse des rapports de force. 

Qu’on ne s’y trompe pas : oui nous pouvons être déçus, déçus pour la paix. Et non nous réjouir d’un potentiel « fiasco » du président américain comme le font déjà allègrement en cœur et sourire aux lèvres beaucoup de journalistes, de « spécialistes » et comme sûrement aussi et plus discrètement, les Chinois, les profiteurs de guerre en tout genre, les marchands de canons et les dirigeants européens, leurs clients/dindons ! 

Et enfin, quid d’un cessez-le-feu ? Il n’est même plus évoqué, et cela dit tout. 

En attendant, dès demain, de très jeunes soldats ukrainiens et russes devront de nouveau sortir des tranchées pour reprendre les combats et, beaucoup, mourront. Et de pauvres mamotchki et matusi vont encore pleurer et être anéanties. C’est précisément pour ces vies-là que la Realpolitik vaut mieux que les postures : elle cherche des issues imparfaites mais réelles

À lire aussi : DÉCRYPTAGE – Pourquoi les Européens cherchent jusqu’au bout à torpiller la rencontre Trump/Poutine ?


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