
Le 9 octobre 2025, Israël et le Hamas ont approuvé la première phase d’un accord de cessez-le-feu et d’échange d’otages sous parrainage américain. Le dispositif prévoit un arrêt des combats, une libération séquencée des 48 otages restants contre des prisonniers palestiniens, une reconfiguration des positions israéliennes à l’intérieur de Gaza et une montée en puissance massive de l’aide humanitaire. Un groupe de suivi réunissant les États-Unis, l’Égypte, le Qatar et la Turquie doit en surveiller l’exécution. Le cessez-le-feu est entré en vigueur ce 10 octobre. Avec cette nouvelle étape, quel avenir pour la région ?
Pour y répondre, en exclusivité, Le Diplomate a interrogé Michel Fayad, professionnel de l’énergie et de la finance, formateur en géopolitique (hydrocarbures, métaux stratégiques et terres rares) à IFP Training (IFP Énergies nouvelles), analyste politique et géopolitique, ancien conseiller du ministre libanais de l’Économie et du Commerce, et chercheur associé (CERDAP2 – Sciences Po Grenoble – Univ. Grenoble Alpes). Il est l’un des plus réalistes et brillants spécialistes du Moyen-Orient et intervient régulièrement dans les médias français et internationaux.
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Propos recueillis par Roland Lombardi
Le Diplomate : Le plan américain repose sur un séquençage (trêve/otages/relâchements/positions militaires) et sur des garanties tierces (Égypte-Qatar-Turquie-États-Unis). Quels coûts/contreparties ont été nécessaires côté israélien et côté Hamas ? En quoi cette approche transactionnelle et la « méthode Trump » diffèrent-t-elles des médiations précédentes qui ont échoué depuis deux ans ?
Michel Fayad : Israël a accepté un repositionnement partiel de ses forces dans la bande de Gaza (retrait vers des lignes convenues, couvrant environ 30 à 40 % des positions au nord de l’enclave), une suspension temporaire des opérations militaires et la libération de milliers de prisonniers palestiniens (environ 2 000, dont 250 condamnés à perpétuité). Ces concessions s’accompagnent d’une ouverture élargie des corridors humanitaires, permettant l’entrée quotidienne de quelque 1 000 camions d’aide. Malgré les critiques de certains de ses alliés au sein de sa coalition gouvernementale, Benyamin Netanyahou a consenti à ce plan sous la pression directe de Donald Trump, qui a lié le soutien américain à une avancée rapide.
Le Hamas, pour sa part, s’engage à libérer dans les 72 heures les 20 otages vivants restants et à remettre les corps des 28 otages tués. Non seulement il accepte un cessez-le-feu phasé sans retrait israélien complet préalable, mais il est censé remettre toutes ses armes et laisser place à une gouvernance de la bande de Gaza dont il sera exclu.
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La méthode Trump rompt avec celle de Biden non seulement par sa pression encore plus forte sur le Premier ministre israélien, mais aussi parce que, sous sa pression — et même si ce n’est pas dit officiellement —, les pétromonarchies du Golfe ont dû payer les dirigeants du Hamas pour qu’ils acceptent cet accord. C’est ainsi que se sont fait les accords dans le passé, car historiquement, toutes ces organisations terroristes palestiniennes ont toujours été mercenaires. Selon les périodes, elles ont reçu l’argent ou les armes de l’URSS, de l’Égypte, de la Syrie, de l’Irak, de l’Arabie Saoudite, de la Libye, du Qatar, du Koweït, des Émirats Arabes Unis, de la Turquie et de l’Iran.
Durabilité de la trêve : quels « points durs » peuvent faire échouer la phase 2 ?
Dispositif de désarmement de facto du Hamas, gouvernance intérimaire de Gaza, contrôle des tunnels/armes, calendrier de retrait israélien et rôle du centre de commandement multinational (env. 200 militaires US ?, coordination avec Qatar, Turquie, Égypte, EAU). Quels garde-fous juger indispensables pour éviter un « cessez-le-feu en trompe-l’œil » ?
La phase 2 du plan Trump consiste en un retrait israélien élargi avec reconstruction de la bande de Gaza. Elle risque de se heurter au refus du Hamas de son désarmement, du démantèlement de ses tunnels, et de son exclusion de la future gouvernance palestinienne. Sans compter la difficulté qu’il y aura à surveiller, non seulement le désarmement du Hamas et le démantèlement de ses tunnels, mais aussi, le contrôle de ses dépôts d’armes, et surtout, des flux d’armes en provenance du Sinaï égyptien et de la mer. Je suis pessimiste concernant cette deuxième phase. Je pense qu’il s’agit d’une pause tactique de la part du Hamas, qui ne remettra jamais pacifiquement ses armes.
Alors que le Qatar et la Turquie semblaient de plus en plus écartés du dossier ces derniers mois, notamment par Trump, ils ont été au final centraux dans les dernières négociations et veulent suivre l’exécution de l’accord. Comment l’expliquez-vous et jusqu’où ces deux acteurs iront-ils (observateurs, forces de stabilisation, financements, reconstruction) ? Quelles lignes rouges d’Ankara et Doha vis-à-vis d’Israël et du Hamas ?
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Trump est pragmatique et veut être un « deal-maker ». Ainsi, s’il a parfois critiqué le rôle du Qatar, qui joue tour à tour au pyromane (comme financier et relai médiatique du Hamas), puis au pompier, et a souvent minimisé le rôle de la Turquie, il s’est rendu à l’évidence : s’il ne veut pas traiter du sujet avec les Iraniens, il ne peut pas se passer d’eux. Doha et Ankara sont, avec Téhéran, les principaux canaux entre lui et le Hamas. La frappe israélienne visant une installation du Hamas au Qatar a été utilisée par Trump pour impliquer un nombre important de pays musulmans (l’Égypte, l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, l’Indonésie, la Jordanie, le Pakistan, le Qatar et la Turquie) dans la réalisation de son plan et son acceptation par le Hamas. D’ailleurs, ce sera à eux de financer la reconstruction de la bande de Gaza. La Turquie envisage même l’envoi de troupes – une première depuis la chute de l’Empire ottoman. Cela s’ajoute à sa présence militaire en Syrie. Le Qatar ne rejoindra pas les accords d’Abraham si Israël ne montre pas des avancées concrètes vers un État palestinien. Idem pour l’Arabie Saoudite. La Turquie va plus loin : pas de désarmement total du Hamas sans perspective politique pour les Palestiniens. Ankara ne veut même pas entendre parler de coopération militaire ou dans le renseignement avec Israël. Trump compte sur le Qatar pour payer le Hamas afin qu’il accepte l’accord et libère les otages, puis pour financer la reconstruction et le paiement des fonctionnaires. Le Qatar veut conserver une influence politique dans la future gouvernance palestinienne et refuse donc la mise à l’écart politique du Hamas et du Djihad islamique, branches des Frères Musulmans palestiniens.
Liban/Sud-Liban : l’accord de Gaza change-t-il l’équation ? Le gouvernement libanais a accueilli un plan de désarmement du Hezbollah, sans calendrier détaillé, sur fond de frappes et d’attrition depuis 2024. La trêve à Gaza peut-elle déconnecter le front nord ou, au contraire, créer une fenêtre de pression sur le Hezbollah (et ses parrains) pour avancer vers un monopole de la force par l’État ? Quelles garanties frontalières (Litani/1701) seraient crédibles ?
Si le plan Trump fonctionne, il permettra à Israël de redéployer une partie de ses troupes sur le front nord. Le Hezbollah subira alors une pression accrue pour désarmer, que ce soit sous la pression des Américains, des Israéliens ou de l’État libanais. En septembre, l’armée libanaise a présenté au gouvernement libanais un plan de désarmement du Hezbollah en quatre phases, mais sans véritable calendrier avec date butoir. Il faudrait un calendrier contraignant et des pressions économiques. En parallèle, il faut absolument renforcer l’armée libanaise, y compris en drones et en avions. L’armée libanaise doit être en mesure de contrôler tout le territoire libanais et aussi de pouvoir défendre le pays en cas d’attaques de la part de la Syrie. Malgré la victoire d’Israël l’an passé, le Hezbollah reste militairement puissant et soutenu par l’Iran. Il a été affaibli, mais pas suffisamment pour accepter un calendrier contraignant.
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Le vote du Sénat américain pour abroger les sanctions “Caesar” (processus encore législatif) intervient alors que Damas parle de reconstruction et de normalisations partielles. Quel effet systémique prévoir sur les équilibres sécuritaires (HTS, SDF, présence iranienne), sur les retours de réfugiés, et sur l’économie régionale ? Votre avis sur les derniers accrochages intercommunautaires qui émaillent le pays depuis l’arrivée au pouvoir de l’islamiste al-Charaa et enfin, que pensez-vous d’une éventuelle paix avec Israël évoquée par certains, est-ce réaliste ?
La fin des sanctions “Caesar” marque un tournant de l’administration Trump en faveur du lobby arabo-musulman : l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Émirats Arabes Unis et la Turquie ont milité en faveur du terroriste islamiste Joulani, autoproclamé président de la Syrie sous son vrai nom, al-Charaa. Ce dernier a besoin de la levée des sanctions pour attirer des investissements étrangers en Syrie, relancer l’économie syrienne et ainsi consolider son pouvoir, qui, malgré le meurtre de plus de 10 000 personnes (essentiellement alaouites, druzes et chrétiens) depuis sa prise de Damas, reste fragile. Celui qu’on appelle encore Joulani au Moyen-Orient tente, avec l’aide de la Turquie, de mettre au pas les FDS (Forces démocratiques syriennes, aux mains des Kurdes), qui contrôlent une partie importante du pays. Il ne renoncera pas au Golan mais, pour convaincre Trump et l’Union européenne de lever les sanctions, et Israël de se retirer du mont Hermon et du Sud syrien, il peut signer des accords sécuritaires avec Israël, malgré la destruction, par ce dernier, de la flotte aérienne et maritime syriennes quand Joulani a pris Damas, et malgré son intervention pour stopper la tentative de génocide des Druzes de Soueïda par ce dernier et par les milices qu’il aide et (ou) finance.
Trump voudrait capitaliser sur l’accord de Gaza pour élargir les accords d’Abraham (Riyad en tête), mais l’Arabie Saoudite conditionne tout progrès à la fin durable de la guerre et à une perspective politique pour les Palestiniens. Quelle fenêtre réaliste voyez-vous, et avec quels pays “passerelles” (Maghreb, Asie) en premier ?
Trump voit effectivement dans l’accord de Gaza une rampe de lancement pour élargir les accords d’Abraham, notamment avec l’Arabie Saoudite. Il rêve de conclure des partenariats entre les États-Unis, Israël et l’Arabie Saoudite dans le secteur de la défense, de l’énergie et des nouvelles technologies, avec des investissements saoudiens massifs. Toutefois, Mohammed ben Salmane (MBS) conditionne cela à une perspective politique concrète pour les Palestiniens, avec la création d’un État pour eux. Si la phase 2 de l’accord de Gaza se réalise, alors l’Arabie Saoudite pourrait rejoindre les accords d’Abraham l’an prochain. Parmi les pays-passerelles, on pourrait voir la Mauritanie, le Sénégal, l’Indonésie et le Pakistan rejoindre ces accords. Les présidents mauritanien et sénégalais ont été invités en juillet pour discuter de questions commerciales, d’investissement et de sécurité, ainsi que de métaux et de minerais. Leurs pays ont cruellement besoin d’investissements. Et l’Indonésie et le Pakistan ont participé à l’accord de Gaza.
Enfin, après « la guerre des douze jours », les frappes israéliennes et les contre-frappes iraniennes, où en sont les capacités militaires de Téhéran, la dissuasion régionale et l’état du pays et de l’appareil économique (inflation, redénomination monétaire, hydrocarbures) ? Cet après-choc favorise-t-il des ajustements doctrinaux des mollahs vis-à-vis du dernier cessez-le feu à Gaza, du Hezbollah et de la Syrie ?
Durant la guerre des douze jours, plus de 30 hauts commandants de l’armée iranienne, et surtout du corps des Gardiens de la Révolution islamique, ont été éliminés, et le ciel iranien est tombé sous le contrôle militaire israélien. Une partie du programme nucléaire iranien a été détruite. À cela s’ajoute l’affaiblissement de ses proxies comme le Hezbollah, les Houthis, le Hamas et le Djihad islamique, ou encore la chute de Bachar el-Assad. Toutefois, les Hachd al-Chaabi sont toujours là en Irak, et les autres proxies n’ont pas disparu ni même désarmé. Les sanctions économiques européennes ont été rétablies, mais dans la réalité, les pays européens avaient déjà cessé de commercer avec l’Iran lorsque Donald Trump avait rétabli les sanctions américaines lors de son premier mandat. Depuis la réélection d’Ahmadinejad en 2009, l’inflation est galopante et la devise nationale se déprécie. Cela fait donc au moins 16 ans que la population iranienne subit un appauvrissement. À cela s’ajoute une répression féroce depuis la guerre des douze jours, sur fond d’accusations de liens avec Israël. La République islamique ne modifie pas sa doctrine mais adopte une prudence accrue vis-à-vis de Trump et Netanyahou. La guerre pourrait reprendre à tout moment, l’AIEA ayant déclaré que Téhéran peut aujourd’hui développer un programme nucléaire militaire en quelques semaines.
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