
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie)
Dans les années 1970, le KGB était parvenu à infiltrer les services français et à viser avec succès les principales industries transalpines.
À partir de 1949, la DST commença à frapper régulièrement ces réseaux. Les Soviétiques ne pouvaient plus rencontrer aisément leurs agents. Néanmoins, le KGB continua longtemps à dérober des secrets français. Les officiers de la division chargée du renseignement technologique étaient extrêmement actifs. Au début des années 1980, il y en avait à Paris deux fois plus que dans n’importe quelle autre capitale européenne. La France était alors, après les États-Unis et l’Allemagne, la troisième cible du contre-espionnage technologique soviétique. Les industries de la défense, de l’aéronautique et du spatial étaient leurs cibles privilégiées.
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Le témoignage le plus éloquent de cet espionnage reste celui du général Oleg Kalugin, ancien chef du contre-espionnage extérieur du KGB : « Pour autant que je sache, lorsque j’ai pris la tête du contre-espionnage extérieur, on nous a présenté une liste impressionnante de noms que nous avions au sein des services de renseignement et du contre-espionnage français, ainsi que dans l’armée. Durant mon commandement, nous pouvions nous targuer d’une douzaine d’excellents espions en France, dont la plupart se trouvaient aux plus hauts niveaux des services. Ces agents, pour la plupart, croyaient fermement au communisme et nous avaient approchés après avoir rencontré nos hommes dans les années 1940. Nos officiers leur avaient demandé de ne pas adhérer au Parti communiste français et de rester sans aucun prétexte idéologique apparent. » (Oleg Kalugin et Fen Montaigne, The First Directorate: My 32 Years in Intelligence and Espionage Against the West, St. Martin’s, 1994).
Par la suite, ces taupes et leurs maîtres du KGB attendirent patiemment d’atteindre des postes de haute responsabilité dans les services de renseignement et dans l’armée. Pendant les années 1960 et 1970, l’armée et les services secrets français étaient comme une passoire. La situation était si critique que les Américains décidèrent finalement de ne plus partager le moindre secret avec les Français.
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Certaines de ces taupes françaises furent découvertes. L’une des plus célèbres fut Georges Pâques, qui travaillait à l’état-major français et au siège de l’OTAN à Paris et qui fournit au KGB les plans de bataille de l’OTAN pour l’Europe occidentale. Mais beaucoup d’autres agents communistes français ne furent jamais identifiés. La plupart d’entre eux étaient déjà d’un âge avancé, voire sexagénaires, lorsqu’ils dirigeaient le contre-espionnage extérieur et, sans aucun doute, avaient pris leur retraite bien avant l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. Kalugin livrera ces révélations en 1992, après la chute de l’URSS et son départ du KGB, alors qu’il était député du nouveau parlement russe.
Le témoignage qu’il donne à l’occasion d’une de ses visites d’inspection à Paris permet de mesurer l’ampleur de la pénétration soviétique en France. « À Paris, au milieu des années 1970, j’ai rencontré l’un de nos meilleurs agents au sein du service de renseignement français, qui avait commencé à travailler pour nous en 1946. Nous l’avons introduit secrètement dans notre ambassade dans la voiture de l’ambassadeur soviétique, vitres teintées. L’officier français est resté avec nous toute la nuit et nous avons parlé jusqu’à l’aube. Il ne s’agissait pas simplement de débriefer l’homme qui avait travaillé pour nous pendant trente ans et qui était un agent de confiance et de qualité. Il nous fallait également examiner les moyens de rencontrer le chef du contre-espionnage extérieur soviétique. Je l’ai félicité pour l’aide qu’il nous avait apportée au fil des ans. Je l’ai aussi longuement interrogé sur la façon dont le service de renseignement français gérait ses sources, les agents qu’il employait et la manière dont les agents français travaillaient avec la CIA » (ibid.).
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À l’époque, les informations fournies par cet agent déclenchèrent une enquête qui permit de rassembler des éléments compromettants contre plusieurs hauts responsables du GRU, même si aucune de ces informations n’identifia le véritable coupable.
Malheureusement, ce n’est pas un cas isolé. L’un des agents à la solde de Moscou joua un rôle particulièrement important. Connu sous le nom de code « Jour » dans les archives du KGB, il s’agissait d’un officier chiffre, dont la véritable identité demeure inconnue. Recruté par le KGB en 1945, Jour transmit à ses officiers traitants la majeure partie de la correspondance diplomatique française de 1945 à 1982, c’est-à-dire presque tous les messages d’un pays membre de l’OTAN pendant les trois quarts de la Guerre froide ! En outre, entre 1968 et 1973, il fournit des informations sur les machines de chiffrement de l’ambassade de France à Moscou et sur celles du quartier général de l’OTAN à Bruxelles. Ses renseignements permirent aux Soviétiques, en 1976, de placer des micros sur le nouveau téléimprimeur de l’ambassade de France dans la capitale soviétique. Ce système d’interception fonctionna six ans avant d’être détecté.
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Jour aurait également permis au KGB de recruter six autres officiers chiffre, restant actif jusqu’en 1982. Kalugin confirme que le renseignement soviétique opérait avec un grand zèle : « Durant mon séjour à Paris, j’ai également rencontré l’un de nos principaux officiers de terrain, connu seulement sous le nom d’Evgueni. Officiellement, il travaillait pour l’UNESCO à Paris, mais en réalité Evgueni était notre principal gestionnaire de taupes au sein des services secrets français. Il se déplaçait librement dans la capitale française, rencontrant ses sources françaises et recueillant des informations cruciales pour le KGB. Evgueni […] fut nommé général du KGB pour son excellent travail avec les espions français » (ibid.).
Il faudra l’expulsion de 47 membres de l’ambassade d’URSS à Paris, en 1983, pour que l’espionnage soviétique soit temporairement désorganisé.
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