
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie)
Ballymena, petite ville d’Irlande du Nord, est devenue, les 8 et 9 juin 2025, le théâtre d’une explosion de violence qui a secoué la région. Pendant deux nuits consécutives, des émeutes marquées par des attaques contre la police, des incendies de maisons et de voitures, et des actes d’intimidation à caractère communautaire ont déchiré le tissu social déjà fragile de cette communauté. Ces événements, bien que déclenchés par une affaire de violence sexuelle présumée impliquant deux adolescents d’origine étrangère, révèlent des tensions bien plus profondes, enracinées dans l’histoire tourmentée de l’Irlande du Nord et exacerbées par des dynamiques contemporaines.
Une étincelle dans un baril de poudre
Tout a commencé par une marche de protestation à Ballymena, organisée en réponse à une agression sexuelle alléguée sur une mineure. Rapidement, cette manifestation s’est transformée en une vague de violence anti-immigrés. Des manifestants masqués, armés de cocktails Molotov, de feux d’artifice et de briques, ont affronté la police nord-irlandaise (PSNI), blessant 15 agents. Des maisons habitées par des étrangers ont été attaquées. Une femme et un enfant ont été hospitalisés pour intoxication par la fumée, et un manifestant a été touché par une balle en plastique. La PSNI n’a pas hésité à qualifier ces actes de « troubles à caractère raciste », orchestrés avec une précision inquiétante.
Mais réduire ces événements à une simple réaction à un fait divers serait une erreur. Ballymena n’est pas un cas isolé. Ces violences s’inscrivent dans un contexte plus large, où l’immigration, la crise post-Brexit et les cicatrices du conflit nord-irlandais, The Troubles, convergent pour créer une tempête parfaite.
À lire aussi : ANALYSE – Démographie, islamisme et crise identitaire en France : Vers une recomposition silencieuse ?
Les racines d’un malaise
L’Irlande du Nord, malgré la paix fragile instaurée par l’Accord du Vendredi saint en 1998, reste une société profondément divisée. Les murs de la paix, qui séparent encore les quartiers catholiques et protestants, témoignent d’une méfiance persistante entre les communautés. Pourtant, les émeutes de Ballymena ne sont pas un simple écho du conflit sectaire entre nationalistes (favorables à la réunification avec l’Irlande) et unionistes (fidèles au Royaume-Uni). Elles traduisent un nouveau malaise : celui d’une population qui, confrontée à une crise du logement, à l’inflation et à une immigration croissante, se sent menacée dans son identité.
La démographie joue un rôle clé. Les catholiques, désormais majoritaires en Irlande du Nord, alimentent les espoirs de réunification pour les uns et les craintes d’une perte d’influence pour les autres. Les unionistes, en particulier, perçoivent l’arrivée de migrants comme une menace supplémentaire à leur identité britannique, déjà fragilisée par le Protocole nord-irlandais post-Brexit. Ce dernier, en alignant l’Irlande du Nord sur le marché unique européen, a créé une frontière commerciale dans la mer d’Irlande, perçue comme une trahison par les unionistes. Les tensions autour du Protocole ont paralysé le gouvernement local de février 2022 à janvier 2024, culminant avec l’élection historique de Michelle O’Neill, du Sinn Féin, comme Première ministre en février 2024. Ce changement a ravivé les débats sur l’avenir de l’Irlande du Nord, accentuant le sentiment d’insécurité chez certains.
Un écho aux The Troubles, mais un contexte nouveau
Les images des barricades en flammes et des affrontements avec la police rappellent les années sombres des The Troubles (1968-1998), lorsque l’Irlande du Nord était déchirée par un conflit qui a fait plus de 3 500 morts. Mais la comparaison a ses limites. Les émeutes de Ballymena ne sont pas un affrontement entre catholiques et protestants. Elles reflètent plutôt un ressentiment anti-immigrés, amplifié par des dynamiques globales : la montée des sentiments xénophobes, observable également dans la République d’Irlande, où des manifestations similaires ont éclaté à Dublin en 2023, et au Royaume-Uni, où des attaques contre des mosquées ont été signalées en 2024.
Sur les réseaux sociaux, comme la plateforme X, certains commentaires, tels ceux d’utilisateurs prônant la « remigration », trahissent une rhétorique d’extrême droite qui trouve un écho dans les frustrations locales. Ces voix, bien que minoritaires, amplifient la polarisation.
Les défis à venir
Les violences de Ballymena soulignent la fragilité de l’Irlande du Nord, où la paix reste un travail en cours. La crise migratoire, bien que moins intense qu’ailleurs en Europe, agit comme un révélateur des tensions sociales et économiques. La réponse des autorités devra aller au-delà de la répression policière. Sans une stratégie pour répondre à la crise du logement, à l’inflation et aux inquiétudes identitaires, le risque d’une escalade est réel. Sur le plan diplomatique, ces troubles pourraient compliquer les relations déjà tendues entre Londres et Bruxelles, tandis que les États-Unis, attentifs à la stabilité de la région, pourraient accentuer leur pression pour une désescalade.
Ballymena, en ces nuits de juin 2025, n’est pas seulement le théâtre d’une colère locale. C’est le miroir d’une société nord-irlandaise mais plus largement européenne, confrontée à ses démons du passé et aux défis du présent. La question est de savoir si l’Irlande du Nord saura surmonter cette nouvelle épreuve, ou si elle risque de replonger dans un cycle de violence que l’on croyait appartenir à l’histoire.
À lire aussi : ANALYSE – Les fondements de la démocratie attaqués ? L’inéligibilité de Marine Le Pen et le Monde…
#IrlandeDuNord,#Ballymena,#Émeutes,#Racisme,#Immigration,#ProtocoleNordIrlandais,#Brexit,#Unionisme,#Nationalisme,#TheTroubles,#ViolencesUrbaines,#SociétéFragmentée,#ConflitIdentitaire,#RéunificationIrlandaise,#MichelleONeill,#SinnFein,#AccordDuVendrediSaint,#TensionsCommunautaires,#CriseDuLogement,#Xénophobie,#Remigration,#EuropeEnCrise,#UKPolitics,#PoliceViolence,#PSNI,#NordIrlande,#RoyaumeUni,#IdentitéBritannique,#IntégrationEuropéenne,#ExtrêmeDroite,#FractureSociale,#Irlande,#ViolencesRacistes,#SécuritéIntérieure,#InstabilitéPolitique,#CriseMigratoire,#Incendies,#ViolencesSexuelles,#Manifestations,#GéopolitiqueEuropéenne,#Populisme

Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/
avec l’Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l’Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
Ouvrages en italien
Découvrez ses ouvrages en italien sur Amazon.
https://www.amazon.it/Libri-Giuseppe-Gagliano/s?rh=n%3A411663031%2Cp_27%3AGiuseppe+Gagliano
Ouvrages en français
https://www.va-editions.fr/giuseppe-gagliano-c102x4254171
Liens utiles
Biographie sur le site du Cestudec
http://www.cestudec.com/biografia.asp
Intelligence Geopolitica
https://intelligencegeopolitica.it/
Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis
