
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie)
Un pays fracturé par la violence : Criminalité organisée, économie illégale et effondrement institutionnel
Depuis près de vingt ans, le Mexique est ravagé par une guerre silencieuse, diffuse et capillaire. Il ne s’agit pas d’une guerre civile classique, mais d’un conflit hybride dans lequel les forces de l’État affrontent une myriade d’acteurs armés non étatiques qui, par leurs moyens et leur implantation territoriale, exercent aujourd’hui des fonctions de pouvoir parallèle. Chaque année, des dizaines de milliers de victimes, plus de 125 000 disparus et un taux d’impunité quasi total : le territoire national est fragmenté en fiefs criminels où l’autoritas appartient davantage aux cartels qu’à l’État.
De la guerre aux cartels à la métastase armée
Le conflit éclate officiellement en 2006, lorsque le président Felipe Calderón décide de déployer l’armée contre les cartels de la drogue. Mais au lieu de restaurer l’ordre, l’intervention provoque un chaos incontrôlable : en démantelant les hiérarchies des grands groupes (Golfo, Sinaloa, Juárez, Tijuana), l’État a déclenché une fragmentation criminelle explosive. Aujourd’hui, plus de 400 groupes armés opèrent dans le pays : cellules locales, bandes autonomes, anciennes milices populaires corrompues et nouvelles structures infiltrant chaque secteur économique et géographique du pays.
Une économie criminelle mondiale : Fentanyl, migrants et or noir
Le Mexique est devenu un nœud stratégique de l’économie illicite mondiale. La cocaïne transite en direction de l’Europe et de l’Asie. Le fentanyl, produit dans des laboratoires clandestins à Sinaloa à partir de précurseurs chimiques chinois, inonde le marché nord-américain. Les flux migratoires, d’abord en provenance d’Amérique centrale, puis d’Haïti, du Venezuela, de Cuba et de l’Équateur, alimentent des réseaux de traite humaine parfois plus rentables que la drogue. À cela s’ajoutent : vol de carburant (huachicol), extorsion, enlèvements, exploitation minière illégale, contrebande et blanchiment d’argent.
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Le pouvoir des cartels : Gouvernance parallèle et militarisation sophistiquée
Deux acteurs dominent : le Cartel de Sinaloa, maître du nord du pays et du marché du fentanyl, et le CJNG, qui contrôle la façade pacifique centrale et les routes de la cocaïne vers l’Europe. Tous deux ont développé des capacités militaires : drones armés, mines artisanales, véhicules blindés, systèmes de surveillance. L’usage de la force n’est plus une réponse à la répression, mais un instrument de contrôle social, de domination territoriale et de censure médiatique. Dans certains États — Guerrero, Michoacán — les cartels lèvent des impôts, fixent les horaires scolaires, régulent l’accès à l’eau et administrent la justice.
Un État trop faible, trop tard
La réponse de l’État a été la militarisation : création de la Garde nationale, centralisation des politiques de sécurité, développement de centres de fusion de renseignements. Mais ces structures sont souvent infiltrées ou fragmentées, incapables de contenir un pouvoir criminel fluide, adaptatif et enraciné. La nouvelle présidente Claudia Sheinbaum a nommé à la sécurité Omar Harfuch, ex-chef de la police de Mexico, mais ses initiatives — comme l’opération Enjambre — risquent de rester symboliques. Dans de nombreuses régions, l’État mexicain a perdu le monopole de la violence légitime.
Un problème global : Flux d’armes, de drogues et d’êtres humains
La guerre mexicaine dépasse largement les frontières nationales. Les États-Unis exportent — directement ou non — des armes qui alimentent le conflit. En retour, ils reçoivent fentanyl et cocaïne. Les ports du Pacifique relient les cartels aux marchés asiatiques. Les migrants traversent le Mexique comme une marchandise jetable. C’est une guerre à flux continu, où les frontières sont poreuses et la souveraineté réduite à une fiction administrative.
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Un laboratoire du crime organisé au XXIe siècle
Le Mexique n’est pas simplement un pays frappé par la violence. C’est un laboratoire du crime transnational, un espace où les mafias exercent des fonctions étatiques et où l’État, désarmé ou complice, observe. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la sécurité, mais l’essence même de la souveraineté. Et si le monde continue de détourner le regard, cette guerre invisible continuera de produire des effets très visibles — bien au-delà du Rio Grande.
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