RENSEIGNEMENT – La France et le nouveau front oriental du renseignement

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Un analyste du renseignement observe une carte stratégique de l’Europe avec des liaisons lumineuses illustrant la surveillance aérienne et satellitaire, symbolisant les opérations de défense, de cyberdéfense et de renseignement militaire français sur le front oriental.
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie) 

Du dialogue avec Moscou à la dissuasion

Depuis l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, Paris a opéré un virage stratégique que peu auraient anticipé avant la guerre. Emmanuel Macron, qui plaidait encore pour le “dialogue” avec Vladimir Poutine en 2021, a reconnu à Bratislava en 2023 la “négligence historique” de la France envers l’Europe de l’Est et promis un engagement accru pour la sécurité du flanc oriental de l’OTAN. 

Ce pivot s’est traduit par une aide militaire record à l’Ukraine, des exercices en Pologne et en Roumanie et un repositionnement du renseignement, de plus en plus concentré sur la Biélorussie, la mer Noire et le Caucase.

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Renseignement : Séduire les petits États

L’innovation la plus marquante est l’intensification de l’action de la DGSE et de la DGSI, qui multiplient les partenariats avec les services de l’Est. Objectif : obtenir des informations directes sur les mouvements de Moscou et prévenir les opérations hybrides, qu’il s’agisse de propagande, de cyberattaques ou de désinformation.

Pologne : coopération en GEOINT pour le partage d’images satellites et surveillance des frontières avec la Biélorussie et la Russie. Un traité de coopération globale – défense, renseignement, industrie – est attendu en 2025.

Roumanie : renforcement des liens en mer Noire avec le déploiement d’AWACS français et le commandement du battlegroup de l’OTAN. Les exercices “Dacian Spring 2025” testeront l’interopérabilité complète.

Moldavie : accord signé en 2024 pour contrer la déstabilisation russe en Transnistrie et soutenir la sécurité intérieure. Paris voit la petite république comme un “pont stratégique” entre l’UE et l’Ukraine.

Pays baltes : liaison permanente à Tallinn, coopération cyber avec l’Estonie et la Lituanie, déploiement de Mirage 2000D pour des missions ELINT.

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La guerre de l’information

Ce nouvel axe de coopération vise à neutraliser des opérations russes comme “Doppelganger” ou “Portal Kombat”, campagnes de désinformation qui ont visé les élections et l’opinion publique en Europe en 2023-2024. La France a expulsé plus de 50 agents russes et renforcé ses systèmes de cyberdéfense grâce à des cadres communs (SCPEVA). Avec Kiev, un accord bilatéral de 2024 prévoit l’échange de renseignements et la formation pour contrer la manipulation de l’information et la guerre électronique.

Dimension militaire et dissuasion nucléaire

Le pivot ne se limite pas au renseignement. Des frégates FREMM françaises ont opéré en mer Baltique, des Atlantique-2 en mer Noire, tandis que Macron a rappelé en 2024 que la dissuasion nucléaire française est “une garantie pour l’Europe”. Paris entend démontrer qu’elle peut assumer un rôle de chef de file, même si cela suppose des frictions avec certains partenaires plus réticents comme la Hongrie ou la Slovaquie.

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Géoéconomie et industrie de la défense

L’intensification de la coopération avec les pays de l’Est a aussi une dimension industrielle : renforcer MBDA, Thales et Safran, promouvoir les programmes européens d’armement et réduire la dépendance aux fournisseurs américains. C’est une réponse à l’incertitude sur l’engagement américain, surtout à l’approche de l’élection présidentielle de 2028. Le message est clair : la France veut une Europe capable de se défendre, sans renoncer pour autant au parapluie atlantique.

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Défis et risques

Ce nouvel axe comporte des défis majeurs. La France doit équilibrer son rôle de puissance méditerranéenne avec celui d’acteur central sur le front oriental, maintenir l’unité de l’UE malgré les résistances de Budapest et Bratislava et, surtout, soutenir dans la durée l’effort financier et militaire. Il y a aussi le risque d’une escalade avec Moscou, qui considère le renforcement du renseignement occidental à ses frontières comme un acte hostile.

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La réorientation stratégique des services français représente bien plus qu’un simple ajustement : c’est le signe d’une France qui veut être un acteur clé de la sécurité européenne, transformant l’Est d’une périphérie négligée en cœur de son action. Un choix qui renforce la crédibilité de Paris, mais qui exigera cohérence politique, investissements continus et capacité à gérer une relation de plus en plus conflictuelle avec Moscou.

Ce qui est d’ailleurs pour le géopolitologue Roland Lombardi, un véritable désastre géostratégique que nous payerons tôt ou tard. En effet, pour le directeur de la rédaction du Diplomate média, « se focaliser seulement sur la Russie est une grave erreur. C’est une perte de temps, d’argent et d’énergie. La géopolitique, comme le disait Yves Lacoste, ça sert à faire la guerre. Soit. Mais ça sert aussi à faire la paix ou du moins à éviter de se créer de nouveaux ennemis inutiles. Certes en relations internationales il n’y a pas d’amis mais que des intérêts comme disait l’autre, voire, si l’on est cynique que des ennemis potentiels ! Et donc, il faut se méfier de tout le monde, Russes comme Américains. Or si l’on reste sérieux, la Russie n’avait pas vocation à être notre ennemie bien au contraire, et ce pour des raisons historiques, géographiques, énergétiques et stratégiques. Je m’explique : d’abord, il est stupide de croire, comme essaient nous le bassinent certains que les Russes vont déferler sur l’Europe de l’ouest. Elle n’en a pas la volonté ni les moyens. Ensuite, sauf à vouloir la déclencher nous-mêmes comme les dangereux dirigeants européens le souhaitent aujourd’hui – ce qui serait dramatique pour l’Europe –, une guerre contre la Russie est peu probable. Au contraire, la Russie aurait pu être, sans l’inconséquence de la caste de Bruxelles, un partenaire économique et énergétique important pour les Européens, tout en leur offrant une profondeur stratégique vers l’Asie qui devient le centre de gravité de la géopolitique mondiale de demain. Moscou aurait aussi été un allié précieux (et l’a été ces dernières années en Syrie par exemple) face aux vrais défis qui menacent l’Europe et la France et qui se sont tous dans notre arc sud de crises : le terrorisme jihadiste, les crises migratoires et les instabilités en Afrique. Or aujourd’hui, la Russie est devenue à présent un adversaire, son hostilité est patente. Pourquoi ? Et bien car nos « chefs » et Macron le premier, aveugles et ignares en stratégie, soumis au complexe militaro-industriel américain et aux néoconservateurs qui gravitent toujours malgré ses efforts dans les pattes de Trump, nous ont placés – tout en ruinant nos économies – comme co-belligérants du pouvoir de Kiev en Ukraine, dans une guerre qui était perdue d’avance et qui surtout, n’avait aucun intérêt vital pour l’Europe et encore moins pour la France. Car voici les seuls risques de conflits de demain qui attendent l’Hexagone : d’abord, une guerre asymétrique sur son propre sol avec des dizaines de « 7 octobre » à la française, des territoires sécessionnistes à reconquérir par la République et donc une guerre civile de fait. Ensuite, concernant les conflits de haute intensité, les plus vraisemblables seraient un affrontement contre la Turquie d’Erdogan, peut-être du côté de Chypre, pour défendre nos intérêts et nos alliés grecs et chypriotes (comme cela a failli être le cas en 2019), ou encore, dans quelques années, si des gouvernements islamistes venaient à reprendre le pouvoir au sud de la Méditerranée, des pluies de missiles sur Marseille, Nice, Cannes ou Montpellier. Enfin, après-demain, lorsque les ressources nourricières ou minières indispensables à nos sociétés modernes se feront rares, un conflit direct avec l’armée populaire chinoise, lorsque Pékin, prête, assez puissante et sans rival solide, et qui lorgne déjà « pacifiquement » – pour l’instant – sur notre ZEE dans le Pacifique, passera à la vitesse supérieure pour prendre possession manu militari de nos archipels et îles comme la Nouvelle-Calédonie, Tahiti, etc… Voilà ce qui peut nous attendre dans un avenir plus ou moins proche. Or, nos responsables politiques qui nous servent de « chefs », qui sont de simples gestionnaires à la petite semaine et non des stratèges, sont à mille lieues d’en avoir conscience et donc au final, ce sont peut-être eux qui sont la véritable menace pour notre sécurité… »

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