
De Alexandre AOUN
Fondée en 1928 à Ismaïlia, en Égypte, par Hassan al-Banna, la Société des Frères musulmans (al-Ikhwān al-Muslimūn) est un mouvement islamiste sunnite transnational visant à instaurer une société régie par les principes islamiques. Combinant réforme religieuse, action sociale et engagement politique, elle a profondément influencé le XXe siècle et reste active en 2025. Cet article explore son histoire, ses penseurs, son expansion et son influence bien au-delà du monde arabo-musulman.
Dans la clandestinité et avec l’aval officieux de la couronne britannique, Hassan al-Banna, enseignant égyptien, crée les Frères musulmans dans un contexte de crise identitaire, marqué par l’abolition du califat ottoman (1924) et l’occupation britannique de l’Égypte. Londres tolère la création de cette confrérie pour faire contrepoids aux idées nationalistes du Wafd. Le mouvement critique l’occidentalisation des élites et de la jeunesse égyptienne et entend réislamiser la société par le bas.
De la répression égyptienne aux élites du Golfe
Son idéologie panislamique conçoit l’islam comme un cadre global pour la vie individuelle, sociale et politique, proclamant que « l’islam doit dominer, non être dominé ». Dans les années 1950, Sayyid Qutb radicalise cette vision dans Jalons sur la route (1964), introduisant le concept de jahiliyya (ignorance préislamique) pour décrire les sociétés modernes, y compris musulmanes, et prônant le jihad pour les renverser. Bien que la confrérie rejette officiellement la violence depuis les années 1970, les idées de Qutb inspirent des groupes jihadistes. Le penseur Yusuf al-Qaradawi, basé au Qatar et décédé en 2022, promeut une approche gradualiste, favorisant la participation électorale pour islamiser les sociétés, s’opposant ainsi à des mouvements comme al-Qaïda.
Sur le plan sociétal, les Frères musulmans défendent une vision conservatrice ancrée dans la morale islamique, prônant les valeurs familiales, la ségrégation des genres et l’application des normes de la charia, souvent en conflit avec les idéaux laïques ou libéraux. Économiquement, ils soutiennent un modèle mixte alliant libre marché et finance islamique, avec un accent sur la justice sociale via la zakat (aumône) et les waqf (fondations). Al-Banna imaginait une économie sans usure, tandis que Qaradawi valorisait les banques islamiques pour renforcer la souveraineté économique. Géopolitiquement, la confrérie aspire à une ummah musulmane unie sous un califat restauré, s’opposant à l’hégémonie occidentale et soutenant des causes anti-impérialistes.
À lire aussi : Quel avenir pour les Frères musulmans ? [ 1-2]
Dès les années 1930, les Frères musulmans s’étendent à la Syrie, au Soudan, à la Palestine, au Liban et en Afrique du Nord, s’appuyant sur des réseaux sociaux, éducatifs et caritatifs pour pallier les défaillances étatiques. En Égypte, ils comptent jusqu’à 500 000 membres à la fin des années 1940. La répression sous les régimes nationalistes, comme celui de Gamal Abdel Nasser, qui exécute Qutb en 1966, les pousse à l’exil, amplifiant leur rayonnement notamment dans les pays du Golfe. Cette période est désignée par (al-Sahwa al-Islamiyya), ou « l’éveil islamique ». Ce terme, bien que plus large, englobe l’impact des Frères musulmans dans la région du Golfe, où des membres exilés ont diffusé leurs idées, influençant les élites locales.
Le Printemps arabe (2011) marque un apogée : en Égypte, Mohamed Morsi accède à la présidence en 2012, mais son renversement en 2013 par l’armée, suivi d’une interdiction, les relègue dans la clandestinité. En Tunisie, Ennahda opte pour un islamisme modéré, s’intégrant au pluralisme. En Palestine, le Hamas, issu historiquement de la confrérie, révise sa charte en 2017 pour omettre toute référence aux Frères, privilégiant un nationalisme palestinien. En Jordanie, le Front d’action islamique, influent jusqu’en 2025, est évincé du Parlement par le roi Abdallah II, qui invoque des menaces sécuritaires, marginalisant la confrérie.
Interdits et combattus dans le Golfe, présents en Europe
Depuis les années 1960, les Frères musulmans s’implantent en Europe, créant des organisations comme Musulmans de France (ex-UOIF) et la Fédération des organisations islamiques en Europe. Financés par des donateurs du Golfe jusqu’aux années 1990, ils gèrent mosquées, écoles et centres culturels, promouvant une identité islamique parmi les diasporas. Un rapport du Parlement européen de 2023 alerte sur leur « entrisme » dans les institutions locales, citant la Belgique, où des associations liées à la confrérie ont obtenu des subventions publiques à Bruxelles en 2024. Leur vision sociétale conservatrice, hostile à la laïcité, suscite des controverses sur des sujets comme le voile ou l’alimentation halal dans les écoles. Les critiques les accusent d’exploiter les politiques multiculturelles pour promouvoir l’islam politique, tandis que leurs partisans les défendent comme des représentants légitimes des communautés musulmanes.
Les monarchies du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU) et Bahreïn, considèrent les Frères musulmans comme une menace à leur stabilité. Après le Printemps arabe, les succès électoraux des Frères en Égypte et en Tunisie font craindre des soulèvements dans les monarchies. L’Arabie saoudite, qui les soutenait contre le nationalisme arabe dans les années 1950-1980, rompt avec eux après leur appui à Saddam Hussein en 1990 et l’élection de Morsi. En 2014, Riyad et Abou Dhabi classent la confrérie comme organisation terroriste, l’accusant de vouloir renverser les régimes monarchiques. Les EAU financent des factions anti-Frères en Libye et en Syrie, tandis que Bahreïn réprime les groupes islamistes locaux. Le Qatar, à l’inverse, soutient les Frères, notamment via Qaradawi, provoquant la crise du Golfe de 2017, lorsque l’Arabie saoudite, les EAU et Bahreïn rompent avec Doha. Le Koweït tolère une présence limitée via le mouvement Hadas, sous contrôle strict.
Les Frères musulmans affrontent des obstacles majeurs. Les divisions internes entre factions radicales et modérées, exacerbées par l’échec égyptien de 2013, fragilisent leur unité. La répression en Égypte, en Syrie (Hama, 1982) et désormais en Jordanie restreint leur action, les orientant vers des activités clandestines ou à l’étranger. Leur vision sociétale rigide peine à répondre aux aspirations démocratiques modernes. La concurrence des mouvements salafistes réduit leur base.
À l’avenir, la confrérie pourrait regagner du terrain dans des contextes instables comme le Yémen ou la Libye, grâce à ses réseaux sociaux. En Europe, son influence pourrait croître si les politiques multiculturelles persistent, bien que des mesures, comme celles de la France en 2025 contre l’entrisme, tentent de limiter son essor. L’opposition des monarchies du Golfe, contrebalancée par le soutien du Qatar, façonnera son avenir.
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