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TRIBUNE – Diplomatie de Donald Trump : La double rupture 

Portrait de Donald Trump levant les poings en signe de victoire, en costume bleu marine et cravate rouge, sur fond de ciel bleu et drapeau américain — image emblématique de sa posture politique et de sa diplomatie affirmée.
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Jean Daspry, Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques

« Diplomatie et logique ne se confondent pas toujours Â» (François-Charles Roux, 1949). C’est le moins que l’on soit autorisé à dire en s’efforçant de tirer, avec un maximum d’objectivité, le bilan du premier semestre de la diplomatie pratiquée par Donald Trump ! 

Il n’est pas question de céder à la critique stérile et sans retenue de l’action extérieure du 47ème président des États-Unis à l’instar de celle de la bien-pensance germanopratine[1]. Il importe de prendre un minimum de recul pour porter un jugement équilibré sur les succès et les échecs du malappris à la crinière jaune. À y regarder de plus près, la situation est plus contrastée, moins binaire, que les procureurs implacables du Président américain voudraient bien nous le faire croire. Et cela à condition de ne pas se contenter de l’écume des jours, important travers de notre haut clergé médiatique. Et cela à condition d’aller au-delà de l’horizon étroit du court terme, pour ne pas dire du très court terme, voire de l’éphémère. Une chose est certaine, la pratique diplomatique trumpienne est caractérisée par une double rupture par rapport à la pratique passée. Elle concerne tout autant la forme que le fond.

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La rupture dans la forme : L’étrange concert 

Nous devons nous rendre à l’évidence. La diplomatie conduite par l’actuel titulaire du Bureau Ovale de la Maison Blanche marque une césure complète avec les formes de la diplomatie classique, césure en termes d’imprévisibilité (le grand écart permanent) et d’intemporalité (le temps court incessant). 

La diplomatie de l’imprévisibilité : le grand écart permanent

Le président américain n’est jamais là où les médias l’attendent. Il est vrai que sa diplomatie de l’improvisation paraît déroutante pour le profane des relations internationales[2]. La pratique du grand écart permanent, comme celle du contrepied, la rend illisible. Hier, va-t-en guerre, aujourd’hui va-t-en paix. C’est à n’y rien comprendre pour les adeptes de la diplomatie de papa caractérisée par sa constance et donc sa prévisibilité.  Avec Donald Trump, la vérité d’un jour n’est pas celle de tous les jours[3]. Il faudra s’y faire pour les trois prochaines années. À titre d’exemple récent, citons sa position sur le conflit entre l’Iran et Israël. Le président américain veut la fin du programme nucléaire iranien et se montre disposé à pousser pour un changement de régime[4] (le bâton), d’une part et, Å“uvre pour mettre un terme à la « guerre de douze jours Â» entre l’Iran et Israël, d’autre part (la carotte) et annonce la reprise de la négociation bilatérale avec le régime des Mollahs. À la veille du sommet de l’OTAN, il s’attaque à un dogme de la relation transatlantique, la clause d’assistance mutuelle prévue à l’article 5 de la charte de l’Alliance atlantique lorsqu’il déclare : « Cela dépend de la définition que vous en donnez. Il existe de nombreuses définitions de l’article 5. Vous le savez, n’est-ce pas ? Â»[5]. Telle est sa diplomatie transactionnelle. Mais, cela n’est pas tout. Autrement, ce serait trop simple.

La diplomatie de l’intemporalité : le temps court incessant

Il est nul besoin de rappeler que le président américain est un fervent adepte du ministère de la parole, de l’éclat, du superlatif, de l’excès. Il est le meilleur commentateur de sa politique intérieure et extérieure. On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Il pratique, avec un art consommé, la diplomatie de la carotte et du bâton, la diplomatie brutale[6]. Par ailleurs, trait fondamental de sa pratique diplomatique, il se situe dans une autre dimension de la temporalité diplomatique. « Donald Trump apporte plusieurs choses à la pratique des relations internationales dont la première qui est la maîtrise du temps. Il n’est pas un marathonien mais un sprinter Â»[7]. À titre d’exemple, il exige et obtient la réduction de la durée du G7 de Kananaskis et du sommet de l’OTAN de La Haye. Il estime, parfois à raison, que les organisations multilatérales sont aussi chronophages (longue suite de discours inutiles) qu’inefficaces (communiqués finaux longs et sans relief). Avec Donald Trump, les « machins Â» doivent se repenser, se remettre en cause s’ils veulent ne pas avoir le même sort que la SDN. Aujourd’hui, il apparait comme l’unique maître des horloges. Ses partenaires, qu’ils traitent souvent avec mépris (Cf. ses propos peu amènes sur Emmanuel Macron sur son réseau social « Truth Â»), en sont réduits au rôle d’observateur du sablier du Nouveau Monde.

La méthode diplomatique originale, disruptive de Donald Trump est mise au service d’une importante rupture sur le fond, souvent difficile à appréhender, par des esprits conformistes et cartésiens.

La rupture sur le fond : La symphonie déconcertante 

En dépit du dénigrement de ses détracteurs et à condition de l’analyser avec rigueur, la diplomatie de Donald Trump est marquée au sceau d’une double cohérence, celle de ses objectifs (la stratégie) et celle de ses moyens (la tactique).

La cohérence dans les objectifs : la stratégie définie 

Face à la montée des incertitudes et à la multiplication des crises, Donald Trump opère un changement radical. Il passe d’une vision universaliste et messianique de la diplomatie à une vision nationaliste et utilitariste, celle de la primauté de la défense des intérêts bien compris de son pays (« America First Â»). Ce faisant, il se fixe comme objectif ultime d’éviter de se fourvoyer dans des guerres qui ne concernent pas les États-Unis. C’est pourquoi, il critique les « guerres sans fin Â» et l’interventionnisme des néoconservateurs. Donald Trump avait promis qu’il terminerait les guerres précédentes et qu’il n’en commencerait pas de nouvelles. « Il ne croit pas au changement de régime. Il veut une paix par le business Â»[8]Il ne veut plus défendre l’Europe, préférant se concentrer vers l’Indo-Pacifique. Mais il se fixe comme autre objectif de défendre bec et ongles les intérêts américains tant avec ses compétiteurs (guerre commerciale avec la Chine) qu’avec ses alliés (imposition de l’objectif du 5% du PIB consacré aux dépenses de défense à ses partenaires de l’OTAN)[9].  Â« Il ne croit pas au changement de régime. Il veut une paix par le business Â»[10]N’oublions pas que derrière l’homme à la mèche blonde, s’activent derrière la scène publique aussi bien des théoriciens aguerris (les fameux centres de recherches) que des praticiens (les émissaires qui sillonnent le terrain.) 

La cohérence dans les moyens : la tactique appliquée

« Dans les relations internationales, les réalités concourent moins à la définition d’une politique que les perceptions Â»[11]Donald Trump jette les bases du monde d’après. Il réaffirme la centralité stratégique des États-Unis et, par voie de conséquence, la marginalisation des Européens (Cf. sur le dossier ukrainien). L’homme, qui se veut surtout être le Prix Nobel de la paix exprime, un refus de la guerre largement souhaité par sa base électorale[12]. Force est de constater qu’il enregistre déjà quelques succès que ses opposants viscéraux passent élégamment sous silence. Notons ce qui sont sous nos yeux : conflit lancinant entre la RdC et le Rwanda[13] dont la conclusion a lieu à Washington ; conflit entre l’Inde et le Pakistan qui menaçait de dégénérer entre deux puissances nucléaires ; éviction progressive du Hezbollah au Liban compensée par une promesse d’aide ; modus vivendi avec le nouveau président syrien en échange d’une levée partielle des sanctions et d’un apaisement de la relation avec Israël, mise au point d’un cessez-le-feu, même précaire, entre Iran et Israël ; ouverture d’un dialogue limité avec la Biélorussie[14] â€¦ Sans compter les autres dossiers en situation de veille qui pourraient évoluer dans la bonne direction dans les prochaines semaines. Avec Donald Trump, stratégie et tactique se conjuguent harmonieusement en dépit d’apparences trompeuses.

La puissance triomphante ou Donald Trump Imperator 

« La diplomatie a ses bizarreries et ses raccourcis Â» (John Kenneth Galbraith, 1969). La diplomatie de Donald Trump révèle les fractures du monde actuel[15] et les impostures de l’Union européenne. L’incapacité des Européens à parler d’une seule voix et à peser sur les problématiques fondamentales du XXIe siècle est évidente[16]. Obsédés par les questions sociétales[17], ils apparaissent marginalisés et impuissants face au rouleau compresseur américain lors du sommet du G7 (Kananaskis, 16-17 juin 2025) et de l’OTAN (La Haye, 24-25 juin 2025). Leurs résultats accentuent les fractures qui se creusent entre les deux rives de l’Atlantique[18]. Au passage, Donald Trump met en évidence la faiblesse et les incohérences de la diplomatie française[19]. Il y a pour Emmanuel Macron un problème de lisibilité et de crédibilité de sa diplomatie de l’attrape-tout, de sa « diplomatie de l’essuie-glaces Â»[20]. À l’instar de ses partenaires européens, il est devenu spectateur du nouvel ordre mondial en gestation[21]. In fine, un semestre de diplomatie de Donald Trump peut se résumer en une double rupture.

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Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur


[1] Justin Vaïsse, Avec Trump, c’est moins l’effet produit que l’impression donnée qui compte, Le Monde, 25 juin 2025, p. 30.

[2] Piotr Smolar, La guerre en Iran, un révélateur de la « doctrine Trump Â». Le président américain, connu pour son sens de l’improvisation, a cherché une voie médiane entre les isolationnistes et les faucons, Le Monde, 1er juillet 2025, p. 3.

[3] Ã‰ditorial, Trump et l’Ukraine : une inflexion limitée, Le Monde, 18 juillet 2025, p. 28.

[4] Hélène Vissière, Donald Trump tenté par un renversement du régime des mollahs, Le Figaro, 24 juin 2025, p. 3.

[5] Philippe Jacqué/Élise Vincent, OTAN : Donald Trump renforce le doute des alliés sur sa solidarité, Le Monde, 26 juin 2025, p. 4.

[6] Ã‰ditorial, Le Moyen-Orient soumis à la primauté de la force, Le Monde, 24 juin 2025, p. 28.

[7] Yves La Marck, OTAN à cinq chiffres, www.bertrand-renouvin.fr , 27 juin 2025.

[8] Michel Duclos, Sur la paix au Proche-Orient, il y a plus de convergences qu’il n’y paraît entre Trump et l’Europe, Le Monde, 28 juin 2025, p. 28.

[9] Ã‰ditorial, Thomas Gomart : « Donald Trump réaffirme la centralité stratégique des États-Unis Â», Le Monde, 27 juin 2025, p. 27.

[10] Michel Duclos, Sur la paix au Proche-Orient, il y a plus de convergences qu’il n’y paraît entre Trump et l’Europe, Le Monde, 28 juin 2025, p. 28.

[11] Renaud Girard, Une guerre préventive à l’utilité discutable, Le Figaro, 24 juin 2025, p. 19.

[12] Gilles Paris, Guerre en Ukraine : la mise en garde de Trump à Moscou, Le Monde, 16 juillet 2025, p. 2.

[13] Christophe Châtelot, LRDC et Rwanda signent un accord de paix sous pression américaine, Le Monde, 29-30 juin 2025, p. 5.

[14] Faustine Vincent, Biélorussie : Sergueï Tsikhanowski remis en liberté. Loukachenko a relâché l’opposant à l’issue de sa rencontre avec Keith Kellog, l’envoyé spécial de Trump, Le Monde, 24 juin 2025, p. 7.

[15] Nicolas Barotte, L’OTAN au défi d’un monde en guerre, Le Figaro, 24 juin 2025, p. 4.

[16] Philippe Ricard, Iran : position intenable pour la diplomatie européenne, Le Monde, 24 juin 2025, p. 4.

[17] Jean-Baptiste Chastand, En interdisant le Pride à Budapest, Orban veut diviser son opposition. L’ambassadeur français pour les droits des personnes LGBT+, une commissaire européenne et des eurodéputés y sont attendus, Le Monde, 28 juin 2025, p. 6.

[18] Philippe Jacqué/Élise Vincent, Ã€ La Haye, les alliés se plient aux exigences américaines, Le Monde, 27 juin 2025, p. 2.

[19] Claire Gatinois/Philippe Ricard, Pour Emmanuel Macron, une croisade diplomatique semée d’écueils, Le Monde, 27 juin 2025, p. 3.

[20] Guillaume Tabard, Difficiles clarifications françaises, Le Figaro, 24 juin 2025, p. 3.

[21] Ilyes Ramdani, Sur la scène internationale, le nouveau rôle de figurant d’Emmanuel Macronwww.mediapart.fr , 7 juillet 2025.


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