
Par Julien Aubert
Le discours d’entrée en fonction du président Trump a représenté un véritable choc pour les élites des deux rives de l’Atlantique car Donald Trump n’a pas hésité à déchirer le consensus mou qui prévaut depuis la chute du mur de Berlin en Occident.
Pour les commentateurs, le discours de Trump a d’abord été analysé comme une attaque idéologique.
En invitant Orban, Meloni ou Zemmour, Trump se pose en leader d’une contre-révolution dont le mot d’ordre est la destruction du wokisme et la lutte contre l’immigration.
En faisant graver dans le marbre leader fait qu’il n’y a que deux genres sur Terre, Trump a tranché d’un coup les 9 têtes de l’Hydre de Lerne progressiste.
Il ne s’agit cependant plus d’un réflexe épidermique, sans doute lié au combat de Musk sur ce sujet, que la manifestation d’une pensée globale sur la perte d’universalisme de la société américaine ou la défense d’un mode de vie traditionnel. Ainsi, par exemple il n’est pas allé jusqu’à remettre en cause la politique de discrimination positive qui a conduit à racialiser les enjeux aux Etats-Unis, pas plus qu’il ne défend une politique familiale conservatrice.
En réalité, le cyclone Trump – Musk est bien plus qu’un retour de balancier radical.
Trump incarne le retour du Politique avec un grand P dans un système mondialisé marqué par la prédominance du Marché. Depuis trente ans, le principe de gouvernement a lentement cédé la place au concept de gouvernance destinée à accompagner les mutations économiques. La source de la légitimité dans un système de gouvernance n’est plus tant l’adhésion des populations (exprimées par le vote) mais le respect du droit, notamment économique.
La règlementation sécrétée par les institutions internationales – officielles ou officieuses (Davos) – permet de dire le droit (c’est à dire le bon) et d’arbitrer des différends, ce qui relègue la loi expression de la volonté générale au même rang que celui d’un règlement d’une copropriété devant un tribunal judiciaire. La conséquence, ce sont des alternances politiques réduites aux acquêts où entre la différence était ténue, entre droite libérale épongeant les dommages économiques de la mondialisation et gauche socio-démocrate adaptant le système social aux réalités économiques. Trudeau, Blair ou Macron ont été les enfants chéris de la gouvernance.
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En s’essuyant successivement les pieds sur le système des Nations-Unies (sortie de l’OMS, menaces guerrières à Poutine), la souveraineté des États (Panama), l’alliance atlantique et le libre-échange, Trump s’attaque à un système mondialisé qui s’est construit depuis 1945, d’abord dans la partie occidentale « libre », tempérée par le risque nucléaire, puis qui après la chute du mur a eu l’ambition de devenir le seul système du globe. Pour nous c’est une sorte de traumatisme doublée d’une révélation. Le système international actuel façonné par les Etats-Unis, est mourant. C’est comme si l’Arabie saoudite sortait de l’OPEP.
L’Amérique de Wilson puis de Roosevelt a bâti l’ONU et l’OTAN, et conforté le règne du droit international.
Elle a impulsé un cycle continu de négociations commerciales du GATT jusqu’à l’OMC, en se pensant cœur industriel de la planète et en faisant du dollar la monnaie du monde.
Ce faisant Washington a cru, sur fond d’essor conjoint de systèmes de démocraties représentatives d’essence bourgeoise, d’éducation des masses et d’essor d’un capitalisme dirigiste avec l’État en chaperon, pouvoir faire émerger un triangle démocratie / paix par le droit / capitalisme.
Après la guerre froide, la guerre du Koweït a incarné le momentum parfait de cette stratégie. Il s’agissait de défendre à la fois les intérêts économiques (dépendance pétrolière de l’Occident) que le système de sécurité collective. Il montrait le succès des principes occidentaux : respect du libre-commerce, respect de l’intégrité territoriale, autodétermination des peuples. Le Koweït a inauguré un cycle fastueux de mondialisation du système capitaliste.
L’Histoire politique et démocratique du monde était enfin achevée. Fukuyama proclamait alors « la fin de l’Histoire ».
C’est à cette époque que le système capitaliste a subi le retour en force des idées libérales postulant un marché auto-régulé, et que les doctrines keynésiennes des décennies précédentes ont été jetées aux orties. Après quatre décennies d’internationalisation des échanges, on a cru pouvoir parachever l’œuvre économique en se débarrassant de l’État, puisque désormais toute contrainte géopolitique devenait anachronique.
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Discrédité par la crise de 29, qui avait conduit au fascisme, le libéralisme « veille école » est redevenu à la mode sous le nom de néolibéralisme, l’idée que le marché ne devait pas seulement se concevoir au plan national. On a ainsi bâti au niveau planétaire, en plus du vieux système rooseveltien, un nouvel ordre économique basé sur le fondamentalisme de marché : « l’ordoglobalisme », un interventionnisme pro-marché à l’échelle non plus seulement nationale, mais mondiale.
Dans ce système, grâce à un réseau dense de traités, les droits du capital sont préservés au plus haut niveau et plus largement, au capitalisme en tant que système économique à prémunir contre toute velléité de régulation politique. Le dogme du libre marché n’a jamais autant été encadré sur le plan juridique, de telle façon à prémunir le nouvel ordre global dont il constitue « l’esprit des lois », contre toute attaque sociale ou politique susceptible de le déstabiliser. Aussi s’agit-il de s’assurer que les gouvernements n’interfèrent pas dans les activités économiques, mais fassent néanmoins respecter le principe de la libre concurrence ainsi que l’ordre juridique nécessaire à l’épanouissement du marché. Le monde normatif néolibéral n’est pas un marché sans frontière et sans États, mais un modèle double, protégé par les gardiens de la constitution économique des demandes des masses en faveur de la justice sociale et de l’égalité redistributive.
Le néolibéralisme est devenu le stade suprême du capitalisme.
La domination du Tout-marché a cependant affaibli la souveraineté des états, et provoqué un appauvrissement des classes moyennes, dont le pouvoir d’achat ne se base plus sur les revenus de la production mais les importations à bas coût venues de l’ancien tiers-monde. La complexité des interdépendances a suscité dans tous les pays occidentaux des recherches de solutions radicales pour changer les choses. C’est ce populisme, identitaire car enraciné dans les lieux, qui est né pour résister à un environnement apatride et cosmopolite. Dans une tribune du Monde, Isabelle Ferreras, sociologue, écrivait ainsi en 2019 : « Les populistes identitaires attisent la légitime colère des citoyens, relayée par des firmes transnationales qui placent l’expression des peurs et des antagonismes en haut de leurs algorithmes. ». Comment ne pas y voir l’alliance de Trump et de Musk ?
Le populisme identitaire n’est cependant pas la seule réaction épidermique au grand bazar mondial. J’ai débuté cet article en citant le wokisme qui est une forme de réaction identitaire individualiste à la grande confusion d’une époque où tout s’achète, tout se transporte et tout se troque. On pourrait aussi citer le retour au fondamentalisme religieux. Chacun cherche à s’ancrer comme il peut.
L’erreur d’analyse des contempteurs de la mondialisation est d’avoir, notamment après la crise de 2008, dénoncé le divorce entre démocratie et capitalisme, en pensant que le populisme identitaire était une aberration démocratique (première erreur) et surtout en pensant que c’était la structure du système qui était viciée (seconde erreur). Ainsi, Ferreras écrivait : « les leaders politiques tentent, face à la surpuissance des entités privées qu’ils courtisent, d’occulter leur impuissance à réduire les inégalités et sauver la planète. Les peuples ne sont pas dupes, et la contradiction entre capitalisme et démocratie atteint un point de non-retour. »
Ce faisant, on a mélangé le système économique basé sur la propriété privée des moyens de production (le capitalisme) et le système de répartition du capital (le marché). Or, ce qui pose problème c’est la coexistence entre une approche maximaliste du marché et la démocratie.
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Après les foucades républicaines de Reagan puis Bush contre le système des Nations Unies, Trump a fait simplement le calcul que ce système international est trop cher et pas assez rentable pour la société américaine, et donc entend le démolir au marteau piqueur. L’ouverture des frontières a créé des mouvements de population mais les pays n’ont pas seulement importé « le facteur travail » mais aussi les cultures des pays d’origine. La décision de Trump de renvoyer 12 millions d’immigrés sud-américains est donc un aveu lucide d’une peur de grand envahissement. L’ouverture commerciale a fini par se retourner contre les pays occidentaux à partir du moment où des pays comme la Chine ont maitrisé non seulement la production de biens à faible coût mais aussi ceux nécessitant des technologies avancées. Enfin, Trump fait passer l’intérêt des Américains d’abord, et celui de la planète ensuite. C’est ainsi qu’il a eu l’audace de jeter aux orties le texte le plus sacré du moment, les Accord de Paris.
Trump a ceci d’impressionnant qu’il assume le pouvoir non pas pour adapter le système au marché mais pour le faire turbuler. Il vient abolir Fukuyama et décréter la reprise de l’Histoire.
La complexité du phénomène Trump est qu’on ne peut certainement pas le qualifier d’anticapitaliste, ni même de pro-État : Musk entend diminuer drastiquement le poids des administrations fédérales au profit, non pas du marché, mais du privé.
Ce populisme à algorithme n’a pas produit, avec Trump, la mort du capitalisme ou de la démocratie. Au contraire, jamais la démocratie américaine n’a connu alternance aussi radicale et passionnante. C’est bien le néolibéralisme que Trump entend déconstruire, mais le risque est qu’il y substitue un libéralisme oligarchique et une démocratie ploutocratique dont Musk ou Bezos seront les nouveaux maréchaux d’Empire.
Les limites de la pensée trumpienne sont triples :
Tout d’abord, penser un politique fort sans un État fort semble contradictoire. Investir 500 milliards de dollars dans la politique spatiale et penser qu’une administration légère peut suivre le dossier est très optimiste. Trump substitue à Colbert Elon Musk, mais la coordination de ces politiques privatisées sera insuffisante et il est probable que l’intérêt de M. Musk ne coïncide pas totalement avec ceux du peuple américain.
Ensuite, en impulsant un protectionnisme violent, Trump risque de provoquer une fermeture de la plupart des marchés du monde, et donc un renchérissement du coût des importations avec une chute des exportations. Comme en 1929, après le premier échec de l’ouverture libérale. Pour que cette nouvelle configuration fonctionne, il faut que l’Amérique soit toujours en capacité d’être souveraine industriellement et alimentairement. Trump entend résoudre sans doute la fermeture des marchés par l’intimidation guerrière, mais est-il prêt à envahir militairement Panama si on ne lui cède pas ?
Troisièmement, l’effondrement du système international dont Washington était l’horloger va renchérir les menaces géopolitiques et donc rendre le monde bien plus dangereux. Espérons que dans la déconstruction mondiale, n’émerge pas un nouvel Hitler ou Staline. Quant à la facture écologique d’un monde devenu un univers de pays égoïstes, elle risque d’être à terme astronomique.
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Julien Aubert est ancien député de Vaucluse, vice-président des Républicains et président d’Oser la France, mouvement d’inspiration gaulliste.
