Tribune de Julien Aubert
Donald Trump, récemment élu, a commencé à procéder à une vague de nominations qui démontre une envie de prise de contrôle rapide de l’état américain. Il a par exemple annoncé vouloir utiliser une clause qui permet au président de faire des nominations temporaires lorsque le Sénat n’est pas en session. Ceci montre qu’il a appris de son premier passage à la Maison Blanche, où certains postes stratégiques étaient longtemps restés vacants, ou avaient connu une valse de titulaires, donnant l’impression d’un chaos généralisé.
Le plus controversé restera sans doute la proposition de nommer Elon Musk à la tête d’un ministère de l’efficience gouvernementale. Imaginerait-t-on nommer en France Bernard Tapie à la Cour des comptes ? L’objectif affiché est de réduire d’un tiers le budget fédéral, une ambition qui ne pourra se réaliser qu’au prix d’un big-bang institutionnel. Elon Musk a démontré un grand talent pour écrémer Twitter, avec le licenciement de la moitié des employés lors de la prise de contrôle du réseau, mais deux ans plus tard, la valeur de Twitter semble avoir fondu des deux-tiers (perte de 24 milliards de dollars de valorisation). Je ne suis pas certain qu’on puisse parler d’efficience, d’autant que certains cadres réclament des centaines de millions de dollars de primes impayées.
Musk ne sera pas tout seul dans la cabine de pilotage, puisqu’il devrait partager le poste avec un autre homme d’affaires, Vivek Ramaswamy. Vivek, officiellement climatosceptique, anti-woke et opposé au cadre environnemental institutionnel, examinera avec la plus grande attention les programmes de diversité et inclusion et de lutte contre le réchauffement climatique. Vivek a annoncé par le passé vouloir fermer le département de l’Éducation (comme Musk d’ailleurs), le FBI ou encore le fisc. Sur l’éducation, il devra trouver un terrain d’entente avec Musk, qui a fondé des écoles et des universités, mais a des idées très disruptives sur la manière de revisiter le modèle scolaire. Sur le climat, il devra composer avec Lee Zeldin, nommé à la tête de l’Agence de protection de l’environnement, qui milite pour limiter les émissions de CO2, mais pourra s’appuyer sur la volonté de Trump de se retirer de l’accord de Paris sur le climat.
Quoiqu’il en soit, si cette proposition devait se concrétiser, les démocrates devront faire leur mea culpa. A force de diviser le peuple américain en nuances de genre et d’ethnie, ils ont oublié ce qui aurait pu rassembler une majorité d’Américains : les mécanismes de protection sociale et les services publics pour les plus modestes. Or, ces derniers risquent de ne pas survivre au choc, vu qu’il est assez peu probable que les dépenses militaires fassent l’objet d’un rabot.
Il faudra voir aussi si les économies seront réalisées sur la base d’une analyse rationnelle ou plutôt de choix idéologiques, ou encore d’intérêts privés. Je m’interroge sur l’impartialité d’Elon Musk, qui a injecté des sommes colossales (118 millions de dollars) dans la campagne de Trump, quand il faudra décider du budget de la NASA, que SpaceX a ridiculisé au niveau de la prestation technologique. Heureusement pour elle, la NASA a sous-traité de plus en plus de contrats civils à Musk.
Derrière ces nominations d’ordre politique, il faut relever la constitution du trio qui va dominer la politique étrangère des Etats-Unis : Mike Waltz, ancien militaire des forces spéciales comme conseiller à la sécurité nationale et faucon : Pete Hegseth, un ancien officier d’infanterie bardé de médailles devenu présentateur de Fox News, à la Défense ; Marco Rubio, actuel sénateur américain de Floride est lui pressenti comme secrétaire d’état.
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Aucun d’entre eux n’est une colombe, ni un enfant de chœur. Hegseth est diplômé de prestigieuses universités. Chrétien convaincu, il conspue la gauche qui a corrompu les valeurs morales de l’armée américaine, a défendu des soldats qui avaient tiré de manière in. Waltz a été par le passé conseiller à la sécurité nationale du vice-président Dick Cheney – l’homme de l’invasion en Irak – et a su faire des affaires en sachant vendre au bon moment (il a ainsi revendu son entreprise de formation des forces spéciales en Afghanistan quelques jours à peine avant que Trump n’annonce le retrait). Rubio a un profil de modéré mais a par le passé appuyé l’armement des rebelles syriens, dénoncé l’accord nucléaire avec l’Iran et soutient le renforcement de la présence militaire américaine en Asie. Il est interventionniste, comme Waltz et partage avec lui le fait d’être de Floride, tout comme la nouvelle chef de cabinet (Susie Wiles).
Alors qu’Elon Musk se garde bien de mécontenter le pouvoir chinois – Starlink n’a ainsi pas été activé à Taïwan – et est connu pour appeler Vladimir Poutine, Trump ici montre les dents. On pourrait croire à un retour de la coalition qui avait porté Bush au pouvoir, faite de faucons et d’ultra-conservateurs, mais au vu des critiques de John Bolton, le tableau est peut-être plus contrasté qu’il n’y paraît.
En apparence, il y a une grande unité de message : les Etats-Unis sont fiers de leur armée, sont prêts à l’utiliser, et listent comme menaces la Chine, l’Iran, la Russie, et le terrorisme. Néanmoins, il y a une différence de taille entre Bush fils et Trump. En prenant Jack Vance comme vice-président, ce dernier a donné aux isolationnistes plus de poids qu’ils n’en avaient auparavant et l’alignement de faucons doit être interprété plus comme un acte de dissuasion – Trump est le seul président depuis 20 ans qui n’a pas lancé de guerre – que comme le retour à une forme de néo-conservatisme interventionniste. On verra si cela suffit pour dissuader la Chine de faire main basse sur Taïwan.
Sur le problème plus spécifique du Moyen-Orient, Trump a envoyé des signaux qui vont tous dans le même sens. La nouvelle ambassadrice des Etats-Unis aux Nations-Unies, Elise Stefanik a une expérience limitée en politique étrangère, mais est une fervente partisane d’Israël. Elle s’est faite connaître en obtenant au Congrès la peau des présidents d’université qui s’étaient laissés déborder par les étudiants pro-palestiniens, puis en accusant l’ONU d’être antisémite. A côté de ceci, relevons Mike Huckabe au poste d’ambassadeur des Etats-Unis en Israël. Celui-ci avait estimé par le passé que la Cisjordanie n’était pas un territoire occupé, qu’elle n’existait historiquement pas (en référence à la Bible, où l’on parle de Judée et de Samarie) et qu’il n’y avait pas de colonies. Cet ultra-conservateur chrétien a tout pour plaire aux ultra-orthodoxes sionistes. Les deux nominés ont été accueillis et plébiscités comme il se doit par Tel-Aviv.
Ce duo sera complété par Steven Witkoff, vieil ami et partenaire de golf de Trump, qui sera l’envoyé spécial des Etats-Unis au Moyen-Orient. Ce juif new-yorkais ne devrait pas gêner le soutien de Trump à Netanyahou.
Que conclure ? D’un bout à l’autre, Trump a appris de ses erreurs. Toutes ses nominations vont dans le sens de personnalités fortes, clivantes, idéologiquement engagées (Hegseth a renvoyé son diplôme à Harvard parce que selon lui l’université empoisonne les esprits), en ligne avec son thème de campagne (MAGA) et surtout qui ont su faire preuve de leur loyauté (Mike Pompeo, son ex-secrétaire d’État quelque peu infidèle, a ainsi été rayé des cadres ; John Ratcliffe, ancien directeur du renseignement sous le premier mandat Trump lui avait rendu service en déclassifiant des documents mettant en cause Hillary Clinton ; Elise Stefanik ou Lee Zeldin sont des inconditionnels de Trump).
Dis-moi qui tu nommes, je te dirai qui tu hais : si globalement les ennemis intérieurs (le gauchisme et le wokisme) et extérieurs (la Chine, l’Iran) sont montrés du doigt, l’administration Trump II est un modèle de privatisation par des idéologues et des hommes d’affaires, dont la qualité commune est l’alignement sur le président. La clé de voûte est la croyance que ce qui est bon pour Trump est bon pour l’Amérique. Espérons qu’il y ait des externalités positives pour la paix dans le monde.
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