Peer de Jong est un expert reconnu en stratégie militaire et géopolitique, ancien officier des troupes de marine françaises, et cofondateur de l’Institut Themiis, une institution dédiée à la formation de cadres africains en matière de sécurité et de gouvernance. Son expérience opérationnelle et sa connaissance des enjeux internationaux lui confèrent une perspective unique sur les dynamiques de pouvoir et les questions de défense.
Raphaëlle Auclert qui a collaboré à cet ouvrage, est chercheuse spécialisée dans les affaires internationales particulièrement du monde russe. Son travail met l’accent sur les relations de pouvoir et la géopolitique contemporaine.
Ensemble, dans Poutine, Lord of War : le retour des Boyards, ils décryptent le cercle de pouvoir de Vladimir Poutine, composé de ce qu’ils appellent les “boyards modernes” — une élite politico-militaire qui joue un rôle central dans la stratégie de Poutine et ses ambitions mondiales. Le livre explore les enjeux liés à ce réseau d’influence, les motivations de cette oligarchie et les impacts de cette structure sur la Russie et le monde.
Cet entretien exclusif pour Le Diplomate vise à explorer leur analyse des rouages du pouvoir russe et des implications géopolitiques de ce système.
Propos recueillis par Mathilde Georges
Le Diplomate:Dans Poutine, Lord of War, pourquoi ce sous-titre “Le retour des boyards” de l’époque tsariste. Est-ce à cause de l’entourage actuel de Vladimir Poutine ? Pouvez-vous nous expliquer ce concept et ce qui vous a amené à établir ce lien historique avec le pouvoir contemporain en Russie ?
Les Boyards aristocratie du combat et suppôts du pouvoir tsariste ont été « éliminés » du temps d’Ivan le Terrible. Disparus, l’esprit du combat mais aussi du service est resté. Vladimir Poutine dans sa stratégie d’économie des moyens mais aussi pour disposer d’un outil militarisé discret et efficace au nom de l’empreinte minimum et du déni plausible, a dès 2012 favorisé et encouragé la montée en puissance de sociétés militaires privées. Certaines financées par des gouverneurs locaux, d’autres par l’État lui-même et par les services de renseignement. Ainsi, la structure Wagner nait en 2013 avec pour parrain le FSB, le GRU et l’armée. Wagner est immédiatement utilisé dans la prise de contrôle du Donbass et de la Crimée en 2014. Puis ce sont les combats en Syrie dès 2015 et la prise de Palmyre. La révolte de Prigojine en 2023 à l’instar de celle des Boyards marquera la fin de Wagner mais évidemment pas du concept puisque Moscou favorise le développement de structures privées comme Redout, Convoy, MORAN, RSB, etc.. pour des actions périphériques particulièrement en Afrique. Ces structures peuvent agir mais coordonnées par Africa Corp émanation du GRU.
Vous décrivez Vladimir Poutine comme un “Lord of War”. Quels sont, selon vous, les éléments de son parcours et de sa vision politique qui ont façonné cette posture selon vous militariste et stratégique face à l’Occident et à ses voisins ?
Poutine est le seul chef d’État qui a intégré la guerre comme une option. En cela il est un seigneur de guerre. Son histoire comme réellement en 1989 quand dans le fracas de la fin de l’URSS, Poutine calme une foule vociférante devant l’immeuble du KGB à Dresde. A l’époque il s’appelle PLATOV (c’est son nom de guerre). En rentrant à Saint Pétersbourg en 1990, il redevient Vladimir Poutine. Il a 37 ans. Il mettra 10 ans pour prendre le pouvoir à Moscou. En 2007, il réalise l’ambition américaine de faire entrer l’Ukraine et la Géorgie au sein de l’OTAN. Poutine ne cessera plus de résister à cette stratégie de Washington. Pour ce faire, il va reconstruire son armée, développer son système nucléaire, et favoriser la montée en puissance de ses sociétés militaires privées.
La Russie, sous Poutine, semble opérer dans un système de pouvoir très centralisé, mais avec une élite influente autour de lui. Comment décririez-vous les rapports de force entre Poutine et son entourage proche ? Peut-on dire que les membres de cette garde rapprochée détiennent un pouvoir réel, ou sont-ils simplement exécutants de la volonté présidentielle ?
Poutine est un nouveau Tsar. Il a 72 ans et son pouvoir est sans partage. Autour de lui, il a aggloméré des compétences et surtout des affidés comme Medvedev ou d’autres. Enfin, Poutine a une stratégie, une logique qui l’a amené progressivement à dynamiser (avec l’appui de la Chine) un « sud global » réfractaire à l’Occident collectif (terme poutinien). Vladimir Poutine règne et cette verticalité donne une grande cohérence à sa politique.
Vous abordez dans votre ouvrage les ambitions internationales de la Russie et ses répercussions, notamment en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. Quelle est, selon vous, la stratégie géopolitique sous-jacente de Poutine ?
Poutine a 3 angles de vues géopolitiques. Le 1er concerne l’Ukraine et la Géorgie considérés comme appartenant au « monde russe ». Poutine intègre évidemment dans cette perception, le monde russophone tant en Moldavie que dans les pays Baltes. C’est une menace. La Mer noire dont Moscou ne contrôle pas les accès est dans cet espace de préoccupation. La Méditerranée et donc l’Afrique sont intégrées à cet espace d’influence direct.
Le 2ème angle est proprement euroasiatique. C’est Alexandre Douguine le concepteur de cette idée. Vladimir Poutine a ainsi développé une relation particulièrement productive et protectrice avec la Chine devenu un partenaire majeur des Russes. L’OCS (Organisation de Coopération de Shanghai) créée en 2001 et structuré autour de Moscou et de Pékin, pourrait ainsi devenir le futur « pacte Varsovie ». La relation Pékin-Moscou est l’événement géopolitique majeur de ces dernières années.
Le 3ème angle concerne les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud) qui intègre à présent une grande partie des États du Sud global. C’est le grand clivage Occident contre les pays du Sud. C’est une structuration voulue par les Russes et les Chinois qui conforte la stratégie d’expansion russe particulièrement en Afrique.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie fait face à de lourdes sanctions économiques. Il semblerait sans effets jusqu’ici, bien au contraire. Pensez-vous que ce contexte pourrait toutefois affaiblir à long terme le pouvoir de Poutine ou entraîner des tensions au sein de son entourage ?
Nous en sommes au 15ème train de sanctions contre la Russie. L’effet est faible pour plusieurs raisons. La Russie a transformé son économie en économie de guerre. Vente à bas coûts et exportation massive de matières premières (énergie principalement) via ses pipe-lines et autres gazoducs et via sa flotte dite « fantômes » (on parle de plus de 600 bateaux). Le 2ème point fort de l’économie russe est dans sa capacité à produire et à exporter des armes (une arme sur 2 en Afrique est d’origine russe. Les revenus sont énormes d’autant que les besoins de la guerre en Ukraine favorisent la production. Ça c’est pour le court terme. La Russie est gagnante. Sa croissance serait de 3,4% pour l’année 2025. C’est très important.
Par contre la question est liée au moyen terme. En effet, le ralentissement attendu des combats, voir le cesses le feu promis par Donald Trump, vont forcer les Russes à réadapter leur économie et à soutenir le Rouble, leur monnaie, bien mal en point.
Dans votre livre, vous mettez en lumière le rôle de la propagande et du contrôle de l’information dans le maintien du pouvoir en Russie. Quels sont les moyens spécifiques utilisés par le régime pour asseoir son influence à l’intérieur du pays et à l’international ?
La Russie est une enfant de l’URSS dont les mécanismes étaient fondés sur le contrôle des opinions et la pression exercée sur les populations. Les services de renseignement (KGB, GRU en tête) dont est issu Poutine sont tout puissant dans le pays. Progojine, le chef de Wagner en son temps, avait développé l’outil avec la création de l’IRA (Internet Research Agency) et RIA FAN. Entre attaques Cyber et guerre numérique, la Russie a perfectionné l’outil. La fin de Prigojine en août 2023, n’a rien modifié. Aujourd’hui la structure Africa Initiative est en charge des questions d’influence en Afrique. Le positionnement européen et français en appui des Ukrainiens va structurellement nous amener en 1ère ligne. Les attaques cyber et numériques vont évidemment se développer.
Pour finir, que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de Poutine, Lord of War ? Si notre position vis-à-vis de l’Ukraine a fait de la Russie un nouvel adversaire qui s’attaque à nos intérêts partout à présent, pensez-vous raisonnablement que l’Europe et l’Occident soient véritablement des cibles de Poutine et si oui, sommes-nous suffisamment préparés pour faire face à ces potentielles ambitions russes ?
Nous sommes dans une période charnière marquée par les déclarations de Donald Trump qui devrait annoncer une modification sensible du positionnement américain en Ukraine. L’effet d’un ralentissement du conflit va structurellement nous obliger nous, Européens à assurer le service après-vente du conflit. L’Ukraine va perdre le Donbass et la Crimée mais l’Europe va compenser en apportant toutes les garanties de sécurité à Kiev. Parallèlement, Trump conditionne son maintien dans l’OTAN à une augmentation substantielle des budgets de la défense des Européens qui devront atteindre 4 ou 5 % de leur PIB. Pour la France, cela ferait une augmentation de 80 à 10 milliards par an. Le pouvons-nous ?
On est là dans un jeu à somme nulle puisque la Russie gagnera militairement mais perdra économiquement et politiquement, tandis que l’Ukraine perdra militairement mais gagnera politiquement et financièrement grâce à l’Europe sommée de financer la reconstruction et la place des Etats-Unis dans l’OTAN. Tensions dans les chancelleries… Les Européens risquent d’être les dindons de la farce pour le grand bénéfice de la Chine et des Etats-Unis qui de toutes les façons nous vendront des armes.
Réalisation Le Lab Le DiploDe quelques errements de la diplomatie féministe !
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Mathilde Georges est étudiante en 3 ème année à l’Ecole de Journalisme de Cannes, reconnue par la Commission nationale de l’emploi des journalistes. Passionnée par la géopolitique de l’Afrique du Sud et du Moyen-Orient, elle souhaite se spécialiser sur une région : la Tunisie. Polyvalente et ambitieuse, cette marseillaise a rejoint l’équipe du Diplomate en juillet 2024, en tant que journaliste web. Elle est chargée des publications sur les réseaux sociaux, et de réaliser des interviews.