Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, ancien diplomate, Docteur en sciences politiques
« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Manifestement, les femmes diplomates militantes de la « diplomatie féministe » ignorent tant l’existence de cet adage que sa signification. Pire encore, elles ignorent la diversité du monde et l’essence de la diplomatie. Le monde n’est pas à l’image de l’Occident et de ses marottes sociétales.
La diplomatie consiste avant toute à comprendre l’autre et à ne pas lui imposer mordicus ses dadas prétendument universels. Pour ne l’avoir pas compris, la cheffe de la diplomatie allemande, Annalena Baerbock vient d’essuyer un superbe camouflet à Damas, camouflet qui était largement prévisible. Revenons d’abord sur la visite à Canossa du duo franco-allemand pour mieux appréhender le revers infligé aux diplomates féministes et à leur « diplomatie féministe »[1] lors de l’entretien avec le nouveau maître syrien ! Telle est la triste réalité dans ce qu’elle a de plus triviale.
LA VISITE À CANOSSA DU DUO FRANCO-ALLEMAND
Treize ans après la rupture des relations diplomatiques avec le régime de Bachar Al-Assad, trois semaines après la chute du dictateur suivie de l’arrivée au pouvoir d’un coalition conduite par Ahmed Al-Charaa (7-8 décembre 2024) et deux semaines après les déplacements d’envoyés spéciaux des deux pays in situ (17 décembre 2024), les ministres allemand et français des Affaires étrangères effectuent une visite inattendue en Syrie (3 janvier 2025). Celle-ci, première occidentale à Damas, est curieusement présentée comme se situant dans le cadre d’une mission sous mandat de l’Union européenne. L’on peine à comprendre l’urgence d’un tel déplacement au niveau ministériel pour rencontrer une équipe composée d’éléments classés comme « terroristes » par Bruxelles et Washington. Pour la justifier, chacun des deux ministres développe ses propres éléments de langage. Jean-Noël Barrot espère une « Syrie souveraine, stable et apaisée ». Il appelle une solution politique du problème kurde. Annalena Baerbock souhaite que la Syrie soit un État fonctionnel avec un contrôle sur l’ensemble du territoire. Elle souligne que l’Europe ne financera pas des structures islamistes. Les deux chefs de la diplomatie se retrouvent, pour affirmer haut et fort, que Berlin et Paris jugeront Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) « sur ses actes ». Pour ce qui le concerne, le nouveau dirigeant syrien aurait promis de respecter les droits et libertés des minorités, de convoquer un dialogue national et d’adopter une nouvelle Constitution d’ici trois ans. Tout le monde sait, y compris chez les diplomates, que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Mais, un incident diplomatique a largement éclipsé le reste de cette étrange visite[2].
LE CAMOUFLET INFLIGÉ AUX FÉMINISTES À DAMAS
L’image a fait le tour des réseaux sociaux. Alors que Jean-Noël Barrot, chef de la diplomatie hexagonale, est gratifié d’une poignée de main, son homologue germanique, Annalena Baerbock, voit son geste ignoré, le dirigeant syrien se contentant de mettre sa main sur le cœur[3]. Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui s’indignent de ce comportement sexiste de la part d’un « islamiste modéré », allant même jusqu’à évoquer la « soumission » de deux ministres. En Syrie, il y a peu encore, les plus fervents des croyants serraient les mains des femmes[4]. L’aspect le plus choquant de cette affaire reste sans doute l’écart abyssal entre la « diplomatie féministe » revendiquée par nos élites européennes et la dure réalité des relations diplomatiques internationales. Sur son site officiel, le ministère fédéral des Affaires étrangères allemand se vante de mener une ambitieuse « diplomatie féministe ». « Adopter une approche intégrée de la diplomatie féministe, c’est cultiver un “réflexe féministe” dans tous les champs d’intervention diplomatiques, est-il bravement affiché. Nous nous engageons dans le monde entier pour mettre fin aux discriminations. » Cette nouvelle forme de la diplomatie pour l’égalité de « toutes et tous » a manifestement été mise entre parenthèses, l’espace de la visite de la ministre issue du Parti des Verts en Syrie…[5] De deux choses l’une, soit la « diplomatie féministe » relève de l’effet d’annonce et les Européens devraient moins l’afficher comme une de leurs priorités pour éviter le ridicule, soit elle constitue un principe cardinal de la diplomatie bruxelloise et les deux ministres auraient dû aussitôt tourner les talons après le camouflet damascène. Mais, nous n’en sommes pas encore là tant les Européens sont capons face à l’adversité.
L’INVRAISEMBLABLE VÉRITÉ
« Errare humanum est, perseverare diabolicum ». Nous n’apprenons rien de nos erreurs, y compris les plus grossières. Une fois encore, la fameuse « diplomatie féministe », dont on nous rebat les oreilles à longueur de temps, apparaît pour ce qu’elle est réellement : une diplomatie de l’affichage et du gadget. Elle n’impressionne guère nos partenaires au-delà du périmètre occidental, européen compris. Elle les amuse. Ils saisissent toutes les occasions les plus médiatiques pour nous renvoyer à nos errements, en particulier notre diplomatie des (fausses) valeurs. Surtout, lorsque nous ne réagissons guère à leurs « provocations » que ce soit en Iran[6], en Afghanistan et, désormais, dans la Syrie libérée du tyran Al-Assad. La visite à Damas du duo de choc franco-allemand aura eu l’immense mérite d’ajouter un nouveau et brillant « succès » au palmarès de la « diplomatie féministe ».
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
[1] Jean Daspry, De quelques errements de la diplomatie féministe, https://lediplomate.media/2024/11/errements-diplomatie-feministe/jean-daspry/france/ , 26 novembre 2024.
[2] Hélène Sallon, Syrie : Paris et Berlin jugeront HTC « sur ses actes », Le Monde, 5-6 janvier 2025, p. 3.
[3] Pascale Hughes, La poignée de main qui provoque un tollé en Allemagne, www.lepoint.fr , 6 janvier 2025.
[4] Kamel Daoud, « Un petit geste pour Al-Joulani, un grand pas en arrière pour la Syrie, www.lepoint.fr , 6 janvier 2025.
[5] Jean Kast, Syrie : un djihadiste refuse de serrer la main d’une femme … quelle surprise !, www.bvoltaire.fr , 5 janvier 2025.
[6] Jean Daspry, Téhéran-Paris : Femmes héroïques versus Féministes stoïques, https://lediplomate.media/2025/01/tribune-teheran-paris-femmes-heroiques-versus-feministes-stoiques/jean-daspry/monde/mena/moyen-orient/terrorisme-moyen-orient/ , , 1er janvier 2025.
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