
Par Sylvain Ferreira
Alors que les combats se poursuivent partout sur la ligne de front, les négociations entre la Russie et les États-Unis ont démarré la semaine dernière à Riyad pour trouver une issue durable à ce conflit provoqué par les néo-conservateurs américains depuis le coup d’Etat du Maïdan en 2014. Quel bilan peut-on tirer aujourd’hui de ces trois années de combats acharnés ?
2022 : Un succès inachevé
Tout d’abord, il faut rappeler que l’opération militaire spéciale a atteint très rapidement ses objectifs politiques, à savoir contraindre l’Ukraine à négocier aux conditions de la Russie. Début mars 2022, un accord était trouvé comme l’a attesté, entre autres, l’ancien Premier Ministre israélien Naftali Bennett[1]. Mais pour Londres, Paris et Berlin, cet accord ne doit pas être signé et la guerre doit se poursuivre. Boris Johnson met tout en œuvre pour convaincre Zelensky de poursuivre la guerre à tout prix. Malgré le repli des forces russes autour de Kiev à la fin du mois de mars 2022, rien n’y fait. Londres veut que la guerre dure. A partir d’avril, l’armée russe porte son axe d’effort principal dans le Donbass et s’empare de Sievierodonetsk et Lyssytchansk avant la fin du printemps. Jusqu’en septembre, elle va se réorganiser en abandonnant toute opération offensive majeure tandis que sur le plan diplomatique, Moscou tente une nouvelle approche pour trouver une issue au conflit, en vain. La fin de l’été sera marquée par la contre-offensive ukrainienne sur deux axes : Kherson et Kharkov. Si les progrès ukrainiens sont spectaculaires et notoires sur ce dernier, au sud, la progression ukrainienne est lente et difficile mais elle aboutira en novembre 2022 au repli russe sur la rive sud. Repli de plus de 20 000 h avec leur matériel lourd opéré de main de maître par l’armée russe qui restera probablement comme un modèle du genre.
A partir de cette date, l’armée russe va progressivement se restructurer, de se renforcer via l’appel aux réservistes et se réorganiser pour faire face à une guerre longue. Sous la houlette du général Sourovikine, la Russie va commencer par frapper les infrastructures énergétiques, industrielles et militaires de l’Ukraine pour affaiblir son potentiel dans une campagne de longue haleine. Sur le front, Moscou adopte une stratégie d’attrition de l’armée ukrainienne pour ne pas exposer ses hommes à des pertes élevées en raison de la prolifération des drones suicides au-dessus du champ de bataille qui rendent quasiment impossible toute opération offensive d’envergure. Sur le plan tactique, l’armée russe fait preuve d’adaptation et modifie la structure de ses unités de combat pour répondre là encore à l’omniprésence des drones[2]. Simultanément, l’industrie d’armement russe se met peu à peu au service des nouveaux besoins des forces armées pour lancer la production de nouveaux matériels ou remettre en état une partie des immenses stocks hérités de la période soviétique.
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2023 : le choix de l’attrition
Tout au long de l’année 2023, à l’exception de la bataille titanesque de Bachmout, l’armée russe reste en posture défensive à l’abri de la ligne de fortifications érigée au cours de l’hiver et baptisée « ligne Sourovikine ». La contre-offensive ukrainienne de l’été viendra se briser sur ces défenses en profondeur organisées sur le modèle employée par l’Armée rouge en 1943 dans le saillant de Koursk. La bataille de Bachmout est l’occasion pour l’armée russe et la SMP Wagner de mettre en œuvre leur savoir-faire en matière de combat urbain et de développer de nouvelles tactiques spécifiques. Cette deuxième année de guerre marque donc une période de transition tant sur le plan des tactiques de combat que du développement de l’industrie d’armement afin de soutenir sa stratégie d’attrition de l’armée ukrainienne. Toutes ces améliorations quantitatives et qualitatives sont à l’œuvre à partit d’octobre 2023 et le déclenchement de l’offensive contre le formidable bastion défensif que constitue Avdiivka. A la fin de cette deuxième année de guerre, le contingent russe engagé en Ukraine est évalué à 600 000 hommes, ce qui lui offre un rapport de force de 1.4 :1 face à l’armée ukrainienne.
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2024 : La destruction de l’armée ukrainienne
Tout au long de l’année 2024, l’armée est à l’offensive mais avec des objectifs limités et une approche toujours prudente pour limiter au maximum ses pertes. Dès la mi-février, Avdiivka tombe. L’apparition des bombes planantes de 3 tonnes (FAB – 3000) joue un rôle déterminant dans la destruction des points d’appui fortifiés ukrainiens et contraints les défenseurs à disperser leurs moyens pour ne pas être écrasés en une seule frappe. Les Russes remportent ainsi leur cinquième victoire majeure[3] de l’armée russe dans une agglomération d’importance en tout juste deux ans. Preuve du niveau d’adaptation des forces russes dans ce domaine clé de la guerre moderne. En plus des drones, la supériorité de l’artillerie russe permet d’écraser les Ukrainiens qui disposent de moins en moins de tubes et de munitions. Dans ce domaine, l’industrie russe produit environ 3 millions d’obus au cours de l’année auxquels s’ajoutent les livraisons croissantes d’obus nord-coréens depuis l’automne 2023.
La séquence offensive ouverte par la conquête d’Avdiivka ne connaît pas de véritable point de culmination car les forces russes font tourner les effectifs au sein de leurs unités de combat (brigades) au lieu d’une rotation classique des unités elles-mêmes, ce qui leur permet d’assurer un continuum dans les opérations offensives. Par ailleurs, en mai, au nord de Kharkov, les Russes lancent une opération limitée pour contraindre les Ukrainiens à déployer leurs réserves loin du Donbass, ce qui leur permet de poursuivre le grignotage des nombreuses agglomérations fortifiées à l’ouest d’Avdiivka. En août, malgré le succès initial de l’opération ukrainienne dans l’oblast de Koursk, l’armée russe fait face et s’adapte à nouveau à la situation pour poursuivre la destruction de l’armée ukrainienne. En fait, celle-ci s’accroche au saillant de Soudja en engageant ses meilleures unités qui se retrouvent depuis prises sous les feux combinés de l’artillerie et de l’aviation russe. A la fin de l’été, l’armée ukrainienne recule partout, y compris dans le saillant de Soudja. Les Russes finissent par s’emparer d’Ougledar, important verrou défensif ukrainien dans le sud de l’oblast de Donetsk. Les pertes cumulées de l’armée ukrainienne sont estimées entre 500 et 600 000 morts pour environ 400 à 500 000 blessés et 200 000 déserteurs[4], tandis que celles de l’armée russe, des anciennes républiques séparatistes et des SMP sont évaluées à 110 000 morts et 300 000 blessés[5]. Dans le même temps, l’armée ukrainienne, malgré les livraisons occidentales, voient son potentiel de DCA fortement diminué ce qui ne lui permet plus de défendre l’ensemble de son espace aérien de manière cohérente[6].
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2025 : Vers la paix ?
Le début de cette nouvelle année est marqué par le sixième succès d’importance de l’armée russe en zone urbaine avec la conquête de Toretsk après plusieurs mois de combats acharnés pour prendre la ville et sa zone industrielle et minière. Depuis 1945 et les victoires de l’Armée rouge, aucune armée au monde n’avait enregistré autant de succès dans un conflit de haute intensité sur une période comparable. Simultanément, les Russes ont poursuivi leur progression en direction de Pokrovsk – dernier bastion défensif majeur sur la route de Pavlograd – dont l’investissement est en cours. Ses succès conjugués à l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche ont débouché comme annoncé par la majorité des observateurs sérieux de ce conflit à l’ouverture des négociations entre la Russie et les Etats-Unis le 18 février dernier. L’absence de l’Ukraine et des Européens à la demande du Kremlin achève la démonstration selon laquelle l’Ukraine n’était qu’un proxy des intérêts des néo-conservateurs américains pour détruire l’économie européenne en la coupant de la Russie et de ses approvisionnements énergétiques vitaux.
[1] https://www.youtube.com/watch?v=qK9tLDeWBzs&t=10774s
[2] Watling, Jack & Reynolds Nick, Meatgrinder: Russian Tactics in the Second Year of Its Invasion of Ukraine, Special Report, 19 May 2023, RUSI, 2023
[3] Après Marioupol, Sievierodonetsk, Lyssytchansk et Bachmout
[4] https://militarywatchmagazine.com/article/ukrainian-army-desertion-surge-catastrophic-losses
[5] https://en.zona.media/article/2022/05/20/casualties_eng-trl
[6] https://militarywatchmagazine.com/article/russian-iskanderm-takes-out-ukraine-s300
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