CHRONIQUE – Décrets Trump contre le wokisme : portée et suites possibles

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Donald Trump
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Philippe Pulice

Donald Trump confirme sa détermination à aller vite ! Le 22 janvier, j’écrivais une chronique sur les deux premiers décrets qu’il avait signés contre le wokisme dans la foulée de son investiture. Je ne doutais pas que d’autres allaient suivre, mais pas aussi rapidement. Le 27 janvier puis le 5 février, deux nouveaux décrets sont venus s’ajouter aux premiers. Un enchaînement fulgurant qui ne laisse aucun doute sur la volonté de Donald Trump d’en découdre avec une idéologie qu’il considère comme une menace pour les États-Unis et, plus largement, pour l’ensemble des sociétés occidentales.

Avec Trump, on est bien loin des 72 genres…

Le premier décret s’attaque frontalement à l’idéologie du genre en définissant administrativement le genre comme exclusivement basé sur le sexe biologique. Pour Donald Trump, il n’existe que deux genres : féminin et masculin. Une approche qui contraste violemment avec ceux qui, d’un sérieux affiché quasi scientifique, en dénombrent jusqu’à 72, tout en précisant qu’il ne s’agit là que d’un aperçu. Invoquant la sécurité des femmes, ce décret impose désormais que les espaces qui leur sont réservés – WC, vestiaires, douches, mais aussi prisons – soient strictement accessibles aux seules femmes biologiques.

Dans la même logique de rupture, le second décret vise à démanteler les politiques DEI (Diversité, Équité et Inclusion), en réhabilitant la méritocratie face à la discrimination positive. Donald Trump entend remettre au premier plan des critères tels que l’effort personnel, la compétence, l’expérience et le talent, bien éloignés de ceux privilégiés par la discrimination positive : la race, le genre, le milieu social d’origine, le lieu d’habitation, voire l’orientation sexuelle.

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C’est la fin du recrutement des personnes transgenres dans l’armée…

Le 27 janvier, un troisième décret a donc été signé. Celui-ci remet sévèrement en cause la présence des personnes transgenres dans l’armée. Il stipule que la dysphorie de genre est désormais considérée comme incompatible avec le service militaire, interdisant ainsi l’enrôlement de nouvelles recrues transgenres et ouvrant la voie à une possible éviction des soldats transgenres déjà en poste. L’administration Trump justifie cette décision par la nécessité de préserver la cohésion et l’efficacité opérationnelle des forces armées. Ce décret va à contre-courant de la position adoptée par l’OMS, qui a retiré la dysphorie de genre de la liste des maladies mentales en 2019. Cette dernière est définie comme une détresse psychologique causée par le décalage entre l’identité de genre ressentie et le sexe biologique d’une personne.

Les compétitions sportives féminines sont dorénavant réservées aux femmes biologiques…

Enfin, le 5 février, un quatrième décret interdit la participation des femmes transgenres aux compétitions sportives féminines. Une décision qui met un terme à une controverse grandissante ces dernières années, notamment avec des athlètes transgenres battant des records féminins, soulevant des accusations d’iniquité. Trump justifie cette mesure par la nécessité de préserver l’équité sportive et d’empêcher que des avantages biologiques liés au sexe masculin ne faussent les compétitions féminines.

Progressistes et conservateurs s’accordent sur un point : ces décrets sonnent comme une déclaration de guerre au wokisme. Mais au-delà du symbole et de la provocation, quelle est leur portée réelle ? Et surtout, quelles sont les suites potentielles ?  

Ces décrets ont un effet immédiat sur toutes les institutions relevant de l’État fédéral : départements ministériels, agences comme le FBI, la CIA, la NASA, tribunaux fédéraux et Armée. En tout, près de 2,3 millions de fonctionnaires sont directement concernés, avec une masse salariale annuelle estimée à 213 milliards de dollars.

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Mais, et c’est essentiel, ces décrets ne s’imposent ni aux 50 États, ni aux entreprises privées. Chaque État, avec sa propre constitution, reste libre de sa politique, notamment en matière d’éducation et de droit du travail. Les démocrates poursuivront leurs mesures progressistes, tandis que les républicains renforceront leurs politiques conservatrices. Actuellement, on compte 22 États démocrates et 28 États républicains. Mais parmi les 22 États démocrates, 7 ne disposent pas du contrôle total du pouvoir : soit leur gouverneur n’est pas démocrate, soit leur législature (Chambre des représentants locale et Sénat local) n’a pas de majorité démocrate. De même, parmi les 28 États républicains, 5 ne disposent pas non plus du contrôle total du pouvoir. Cette situation s’explique par le décalage entre les différentes échéances électorales.

Face au wokisme, beaucoup d’entreprises retournent leur veste…

Quant aux entreprises, elles conservent leur liberté d’action, mais leur positionnement est bien souvent opportuniste. Ford, Meta, Disney, McDonald’s ou Alphabet (Google), hier encore fers de lance des politiques DEI, ont opéré un virage spectaculaire. Après avoir affiché un volontarisme sans faille, elles réajustent désormais leur discours, abandonnant sans scrupule leurs engagements passés dès lors que la pression politique, économique et sociétale l’exige.

Face à l’autonomie des États et des acteurs du privé, ces décrets ont, somme toute, une portée relativement limitée, car ils ne s’appliquent qu’aux institutions fédérales directement sous l’autorité de Washington. La bataille idéologique, elle, se jouera bien au-delà : dans chaque État, chaque entreprise et chaque sphère d’influence.

Maintenant, à quoi faut-il s’attendre ?

Ces décrets devront d’abord franchir l’étape de la conformité à la Constitution…

Ce qui est certain, c’est que ces décrets vont donner lieu à une bataille juridique, et il y a fort à parier qu’un juge fédéral réussisse à les bloquer en contestant leur conformité à la Constitution, qui protège fortement la liberté d’expression et les droits civiques. C’est exactement ce qui s’est passé en 2020 lorsque Trump avait signé un décret visant déjà les politiques DEI.

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À l’époque, le décret 13950, signé le 22 septembre 2020, interdisait aux agences fédérales, aux sous-traitants du gouvernement et aux bénéficiaires de subventions fédérales de financer ou d’organiser des formations reposant sur certains principes issus de la théorie critique de la race et du féminisme intersectionnel. Il interdisait notamment l’affirmation que les États-Unis sont intrinsèquement racistes ou sexistes, l’idée selon laquelle des individus portent une responsabilité collective pour les actes de leurs ancêtres en raison de leur race ou de leur sexe, ainsi que l’enseignement du « privilège blanc » comme un fait structurel. Dans les semaines qui ont suivi, son application a été immédiate : plusieurs administrations ont annulé des formations sur la diversité, des universités ont suspendu des séminaires par crainte de perdre leurs financements, et le Département du Travail a mis en place une hotline pour dénoncer les programmes non conformes.

Très vite, ce décret a été contesté en justice. Dès décembre 2020, un juge fédéral californien a bloqué son application partielle, estimant qu’il portait atteinte à la liberté d’expression et imposait une vision idéologique sous prétexte de lutter contre les divisions sociales. Son existence a été de courte durée, puisque dès son investiture, Joe Biden a annulé cette directive par un décret rétablissant et renforçant les formations DEI dans les institutions fédérales.

Une Cour suprême favorable aux républicains sur le papier…

Alors, il y aura forcément des appels, et les décisions pourraient même remonter jusqu’à la Cour suprême, qui fera office d’arbitre, à condition cependant que la légalité de ces décrets prête véritablement à débat. Tout l’enjeu sera de déterminer si ces textes sont jugés conformes à la Constitution ou s’ils violent certaines protections fondamentales, notamment le Premier Amendement. Une chose est certaine : le processus judiciaire sera long et incertain.

Sur le papier, la Cour suprême semble favorable à Trump, puisqu’elle est composée de neuf juges, dont six sont considérés comme conservateurs. Mais cela ne constitue pas une garantie absolue, car ces magistrats restent indépendants. À titre d’exemple, en 2020, la Cour a rejeté plusieurs recours de Trump contestant les résultats de l’élection présidentielle, malgré la présence de juges qu’il avait lui-même nommés. Plus tôt, en 2018, alors qu’elle avait déjà une majorité conservatrice (5 contre 4), elle avait également invalidé certaines restrictions imposées par son administration en matière d’immigration, notamment en bloquant l’annulation du programme DACA, qui protégeait les jeunes migrants arrivés illégalement aux États-Unis lorsqu’ils étaient enfants.

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En attendant, tout cela risque de prendre du temps : un an, un an et demi, voire plus, avant qu’un verdict définitif ne soit rendu. Pendant ce temps, ces décrets resteront dans une zone d’incertitude, entre application partielle, blocages judiciaires et bataille politique.

Des décrets qui pourraient s’imposer à la nation toute entière…

Si ces décrets sont jugés non conformes à la Constitution, ce sera un coup d’épée dans l’eau. En revanche, s’ils sont validés, on peut s’attendre à des initiatives visant à les étendre à l’ensemble du pays : les 50 États, les entreprises et les individus. Pour que ces décrets s’imposent à la nation tout entière, il faudra alors qu’ils deviennent des lois fédérales. Mais attention, le chemin est long et semé d’embûches.

Tout d’abord, un membre du Congrès devra transformer ces décrets en propositions de loi, ce qui, en soi, ne pose pas de difficulté majeure. Mais ensuite, ces propositions devront être adoptées par les deux chambres du Congrès : la Chambre des représentants et le Sénat. Et c’est là que les choses se compliquent, car le rapport de force entre républicains et démocrates est loin d’être écrasant.

Actuellement, la Chambre des représentants compte 435 sièges, dont 218 pour les républicains, 215 pour les démocrates et 2 sièges restés vacants. Ces deux sièges seront quoi qu’il en soit pourvus, mais l’issue reste incertaine : ils pourraient revenir à l’un ou l’autre camp, modifiant légèrement l’équilibre des forces. Au Sénat, sur 100 sièges, 53 sont détenus par les républicains contre 47 par les démocrates. Dans les deux cas, les républicains disposent d’une courte avance, mais celle-ci reste fragile et ne garantit en rien l’adoption de lois aussi controversées.

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L’adoption d’une loi par le Sénat relève parfois d’un véritable parcours du combattant…

Pour qu’une loi ordinaire soit adoptée par la Chambre des représentants ou par le Sénat, il faut qu’elle obtienne une majorité relative simple, c’est-à-dire plus de la moitié des votes exprimés par les élus présents. Des absents ou des abstentions peuvent donc créer des surprises. Mais au Sénat, un obstacle supplémentaire existe : la règle du filibuster. En effet, pour faire adopter une loi sensible, une majorité relative simple ne suffit pas. Si un ou plusieurs sénateurs décident de bloquer le vote en invoquant cette règle, il faudra alors réunir 60 votes effectifs pour surmonter l’obstruction parlementaire. Un seuil élevé qui rend l’adoption de la loi nettement plus difficile.

L’application de ces décrets est loin d’être acquise, même au niveau fédéral, puisqu’ils devront d’abord franchir l’épreuve de leur conformité à la Constitution. Et même s’ils passent cet obstacle, leur généralisation à l’ensemble du pays nécessitera bien plus qu’un simple alignement des républicains. Il leur faudra non seulement faire bloc en interne – ce qui est loin d’être garanti –, mais aussi rallier une partie des démocrates, condition indispensable pour contourner les verrous institutionnels.

À cela s’ajoutent les contestations, dont la forme et l’intensité demeurent imprévisibles. Juridique, politique, sociale, médiatique : la bataille se jouera sur tous les fronts. Une chose est sûre, la confrontation ne se limitera pas aux États-Unis. Le choc idéologique s’étendra bien au-delà, avec des répercussions sur l’ensemble du monde occidental.


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