
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie).
Les élections allemandes de 2025 ont rendu un verdict clair : le pays se trouve face à une redéfinition profonde de son paysage politique. D’un côté, Alternative für Deutschland (AfD) a enregistré un succès historique, consolidant son rôle de principale force d’opposition. De l’autre, la Linke a retrouvé un élan grâce à un recentrage sur les droits sociaux, tandis que le nouveau gouvernement s’oriente vers une Große Koalition entre la CDU et le SPD. Dans ce contexte, deux figures politiques aux antipodes émergent comme les véritables protagonistes de la lutte pour le leadership de l’opposition : Alice Weidel et Heidi Reichinnek.
L’AfD et le vote de l’Allemagne de l’Est
Alice Weidel, à la tête de l’AfD, a conduit son parti à un résultat historique, dépassant les 20 % à l’échelle nationale et franchissant le seuil des 35 % dans certaines régions de l’ancienne RDA. Le succès de l’AfD puise ses racines dans le mécontentement social, notamment parmi les classes ouvrières et dans les territoires de l’Allemagne de l’Est, où les politiques migratoires et l’érosion du pouvoir d’achat ont alimenté un fort sentiment de protestation contre le système. La stratégie de Weidel, qui a combiné une rhétorique nationaliste avec une approche libérale en économie, a permis de rassembler un électorat qui, par le passé, se dispersait entre l’abstention et le vote conservateur traditionnel.
Cependant, l’AfD reste un parti clivant. S’il gagne des voix parmi les déçus de la CDU et du SPD, il effraie en revanche une partie importante de l’opinion publique. Le parti est partagé entre une direction qui cherche à maintenir un profil plus institutionnel et ses franges plus radicales, comme le groupe “Der Flügel” dirigé par Björn Höcke, qui pousse pour des positions plus extrêmes. Jusqu’à présent, Weidel a réussi à garder le contrôle, mais l’avenir de l’AfD dépendra de sa capacité à équilibrer les différentes âmes du parti sans perdre son attrait auprès de l’électorat modéré.
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La gauche reparle de social
De l’autre côté du spectre politique, la gauche a retrouvé une figure de proue en la personne de Heidi Reichinnek, leader de la Linke au Bundestag depuis 2024. Sa campagne s’est appuyée sur une redécouverte des thèmes sociaux, abandonnant l’approche purement progressiste urbaine qui avait caractérisé le parti ces dernières années. Avec un message clair sur le travail, les droits sociaux et le développement économique, Reichinnek a ramené le parti à une position centrale parmi les classes populaires.
Son discours au Parlement contre la proposition CDU-AfD sur l’immigration, qualifiée de “porte ouverte à la renaissance du fascisme”, a été déterminant. La vidéo de son intervention a cumulé plus de trente millions de vues sur les réseaux sociaux, faisant d’elle l’une des figures les plus reconnaissables de la gauche allemande. Résultat : une hausse soudaine dans les sondages et un dépassement de la BSW de Sahra Wagenknecht, qui a frôlé les 5 % sans parvenir à entrer au Parlement.
La stratégie de la Linke s’est révélée payante : plus de 300 000 personnes contactées en porte-à-porte, un dialogue renoué avec les territoires et une rhétorique plus concrète et moins idéologique. Avec un solide 9 % aux urnes, Reichinnek se positionne comme la voix principale de la gauche d’opposition, disputant l’espace aux Verts et aux sociaux-démocrates eux-mêmes.
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La CDU au gouvernement avec le SPD : Pragmatisme ou dernier recours ?
Alors que Weidel et Reichinnek se préparent à la bataille de l’opposition, l’avenir de l’Allemagne reposera entre les mains de la Große Koalition entre la CDU et le SPD. Friedrich Merz, leader de la CDU et probable futur chancelier, a souligné l’urgence de former un gouvernement stable d’ici Pâques. “L’Allemagne a besoin d’un gouvernement capable d’agir”, a-t-il déclaré, appelant les centristes à se rassembler pour contrer la montée de l’AfD.
La nouvelle coalition devra gérer des dossiers complexes : de la sécurité aux frontières, avec un électorat de plus en plus sensible à la question migratoire, aux relations avec les États-Unis, dans un contexte international où l’Europe risque d’être marginalisée par les choix stratégiques de Washington et de Moscou. Merz a ouvertement critiqué les négociations entamées par Donald Trump avec Vladimir Poutine sans impliquer l’Europe, réaffirmant la nécessité d’une Union européenne plus autonome dans ses choix de politique étrangère.
De son côté, le SPD a accepté de participer à la coalition avec une certaine réticence, conscient du risque de perdre encore plus de terrain au profit d’une gauche plus radicale. Le défi pour Olaf Scholz et les siens sera de prouver que la Große Koalition n’est pas seulement une opération de nécessité, mais un projet capable de répondre aux problèmes concrets du pays.
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Un avenir incertain pour l’Allemagne politique
Les élections de 2025 ont dessiné une Allemagne divisée, avec un électorat qui a récompensé les forces d’opposition les plus tranchées et sanctionné les partis traditionnels. D’un côté, l’AfD poursuit son ascension, poussant le débat politique toujours plus à droite. De l’autre, la Linke a retrouvé une nouvelle vitalité, prouvant qu’il existe encore un espace pour une gauche populaire et ancrée dans les territoires. Au centre, la CDU et le SPD tentent de gouverner un pays où le consensus devient de plus en plus fragmenté.
L’avenir de l’Allemagne dépendra de la capacité de la nouvelle coalition à répondre aux défis internes et externes. Mais, en attendant, l’opposition se prépare : d’un côté, Weidel et l’AfD trépignent pour récolter les fruits de l’insatisfaction populaire ; de l’autre, Reichinnek et la nouvelle Linke veulent construire une alternative sociale et progressiste. La partie ne fait que commencer.
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Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/
avec l’Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l’Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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