ANALYSE – Désinformation et guerre invisible contre l’Arménie

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Deux écrans affichant une carte numérique de l’Arménie en rouge et des réseaux de connexions, symbolisant une cyberattaque et la guerre de l’information. Sur le bureau, un badge presse, une loupe et un drapeau arménien évoquent l’investigation journalistique et la désinformation géopolitique.
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie) 

À l’été 2025, l’Arménie est devenue la cible d’une des campagnes de désinformation les plus sophistiquées de ces dernières années. Un faux site, baptisé “Courriere France 24”, a simulé être un canal légitime de la chaîne française et a publié de faux articles signés du nom de journalistes réels. Une manœuvre qui dépasse le cadre des simples fausses nouvelles : nous sommes face à l’usurpation d’identité de professionnels de l’information, à la manipulation d’images et de textes générés par intelligence artificielle, et à un plan de propagande visant à déstabiliser la présidence arménienne de Nikol Pashinyan.

La machine du mensonge

Le mécanisme était aussi simple qu’efficace. Enregistré au Pérou à la mi-juin, le site a diffusé la nouvelle selon laquelle la France aurait exporté des déchets nucléaires en Arménie, avec la complicité du gouvernement d’Erevan. Pour donner de la crédibilité, les signatures de six journalistes de France 24 et d’autres rédactions ont été falsifiées. Certains, comme Romain Fiaschetti, ont même dû démentir publiquement le vol de leur identité. L’histoire a circulé rapidement sur le web : des millions de vues, des reprises sur les réseaux sociaux et même, un temps, par des médias respectés. L’effet recherché était clair : affaiblir Pashinyan, l’accuser de corruption et jeter le doute sur les relations entre la France et l’Arménie.

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Russie et Azerbaïdjan, des intérêts convergents

Derrière l’opération, deux scénarios apparaissent. D’un côté, Moscou. Le groupe Storm-1516, lié au renseignement russe, est connu pour orchestrer des campagnes similaires en Europe. Sa mission : miner la crédibilité des gouvernements pro-occidentaux, semer la méfiance et diffuser le chaos informationnel. De l’autre, l’Azerbaïdjan, irrité depuis longtemps par les positions critiques de la France et par le soutien de Paris à Erevan. Les comptes et médias azerbaïdjanais ont amplifié la fausse information sur les déchets nucléaires, l’utilisant pour éroder l’image de la direction arménienne. Ici, l’enjeu n’est pas seulement la rivalité sur le Haut-Karabakh mais aussi la volonté de frapper la France elle-même, devenue ces dernières années l’avocat de la cause arménienne sur la scène internationale.

Géopolitique de la désinformation

L’opération doit être replacée dans un contexte plus large. L’Arménie, traditionnellement liée à Moscou, s’est, ces dernières années tournée, vers l’Occident, renforçant ses relations avec Paris et Bruxelles. Un choix qui irrite le Kremlin, convaincu que la petite république du Caucase échappe à son orbite. Pour l’Azerbaïdjan, la désinformation est un outil pour compléter sur le plan politique ce qui a déjà été obtenu sur le terrain militaire : la supériorité après la guerre de 2020 et la reconquête du Karabakh. Désinformer signifie modeler l’opinion publique, affaiblir la légitimité d’un dirigeant, préparer le terrain à de nouveaux équilibres régionaux.

Les conséquences

L’impact de la campagne ne doit pas être sous-estimé. L’histoire des déchets nucléaires a été vue plus de deux millions de fois sur X. L’Arménie, déjà fragilisée par l’instabilité politique et économique, doit faire face non seulement aux pressions militaires de l’Azerbaïdjan mais aussi à une attaque informationnelle qui mine la confiance intérieure et les relations avec ses partenaires. La France, de son côté, se retrouve entraînée dans une guerre numérique visant à discréditer son rôle international, au moment même où elle tente de renforcer son influence dans le Caucase.

Défendre la vérité comme instrument stratégique

L’épisode démontre que la désinformation n’est pas une gêne marginale mais une arme géopolitique à part entière. Il ne s’agit pas seulement de “fake news” : c’est un champ de bataille où les États testent de nouvelles techniques d’influence, combinant propagande traditionnelle et intelligence artificielle. France 24 a réagi en démasquant le site et les journalistes concernés ont lancé des actions judiciaires. Mais le défi reste ouvert : pour l’Arménie comme pour la France, la défense de la vérité est désormais devenue partie intégrante de la sécurité nationale.

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