
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie)
Dans le silence feutré des salles de conférence d’Abu Dhabi, loin des projecteurs médiatiques, une rencontre s’est tenue le 11 juin 2025 qui pourrait avoir des répercussions bien au-delà des frontières des Émirats Arabes Unis et de la France.
Mohammad Bin Mubarak Fadhel Al-Mazrouei, ministre émirien des Affaires de la Défense, et Eric Trappier, charismatique PDG de Dassault Aviation, ont discuté de l’avenir d’un partenariat qui dépasse largement le cadre d’une simple fourniture d’avions de combat. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement l’avenir de la flotte aérienne émirienne, mais une redéfinition des équilibres géopolitiques, industriels et technologiques entre l’Europe et le Moyen-Orient.
Depuis plusieurs années, les Émirats, engagés dans une ambitieuse politique d’émancipation vis-à-vis de leurs fournisseurs occidentaux traditionnels, transforment le contrat d’acquisition de 80 Rafale F4 en un tremplin vers une participation directe au développement du Rafale F5, le futur “super-chasseur” français qui promet de repousser les limites technologiques de l’aviation de combat européenne.
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De la confiance forgée avec les Mirage au défi des Rafale
La relation entre Abu Dhabi et Dassault Aviation ne date pas d’hier. Ses racines plongent dans les années 1980, lorsque l’acquisition des Mirage 2000 avait jeté les bases d’une coopération stratégique entre Paris et les Émirats. À l’époque, ce petit État du Golfe avait déjà compris que la supériorité technologique dans les airs serait une clé essentielle pour s’imposer comme puissance régionale. Cette intuition s’est concrétisée avec la flotte de Mirage 2000-9, qui a constitué l’épine dorsale de l’aviation émirienne pendant plus de deux décennies.
Mais c’est en décembre 2021 que cette histoire a connu un tournant décisif. Avec un contrat de 16 milliards d’euros, les Émirats ont commandé 80 Rafale F4, devenant ainsi le principal client international du chasseur multirôle français. Une commande que Paris n’a pas hésité à qualifier d’“historique”, non seulement en raison de sa valeur économique, mais aussi parce qu’elle marque un changement de paradigme : l’Émirat ne veut plus être un simple acheteur. Il veut être partenaire, coproducteur, acteur de sa propre puissance aérienne.
Le premier Rafale F4 destiné aux Émirats, une version biplace identifiée par le numéro 1101, a été présenté en France le 29 janvier 2025. Les livraisons commenceront d’ici la fin de l’année ou au début de 2026, selon un calendrier qui permettra à Abu Dhabi de compléter sa flotte d’ici 2030. Avec ces appareils, les Émirats ne se contenteront pas de moderniser leur force aérienne : ils entreront dans une nouvelle ère technologique, dotée de radars AESA de dernière génération, de missiles air-air MICA NG et d’armes air-sol de précision comme l’AASM.
L’étape suivante : Le Rafale F5
Mais la véritable partie, celle qui pourrait consacrer les Émirats comme coarchitectes de l’avenir de l’aviation militaire française, se joue autour du Rafale F5. Plus qu’une simple évolution, le F5 représente un saut générationnel. Conçu comme un “super Rafale”, il intégrera des systèmes d’armes hypersoniques, le radar RBE2 XG et le Loyal Wingman, un drone de combat lourd capable d’opérer en étroite synergie avec l’appareil piloté.
L’ambition émirienne ne se limite pas à posséder ces chasseurs ; elle vise à participer activement à leur développement. Il est question de cofinancer le programme, de localiser la production de composants clés et même d’intégrer des armements nationaux tels que l’Al Tariq sur le Rafale, dans une optique d’autonomie stratégique qui reflète la vision du président Mohammed bin Zayed Al Nahyan.
Autonomie stratégique et bouleversement des équilibres globaux
Derrière cette démarche se cache une stratégie mûrement réfléchie. Les Émirats, qui pendant des années ont bâti leur arsenal militaire en s’appuyant sur les États-Unis, ont vu leurs relations avec Washington se refroidir, notamment après la suspension de la vente des F-35. Les inquiétudes américaines concernant les relations d’Abu Dhabi avec Pékin, en particulier l’utilisation de la technologie Huawei 5G, ont rendu incertaine la fourniture d’appareils de cinquième génération. Paris a su combler ce vide, offrant non seulement un produit d’excellence, mais aussi un package de coopération industrielle et technologique que Washington n’était pas prêt à garantir.
L’implication d’entreprises comme AMMROC (Advanced Military Maintenance, Repair and Overhaul Center) et du géant français Safran pour l’entretien et la possible production de composants du Rafale ouvre de nouvelles perspectives : Abu Dhabi pourrait se transformer en un hub aérospatial pour l’ensemble de la région, consolidant ainsi son influence vis-à-vis de ses voisins saoudiens, eux aussi intéressés par le Rafale.
Les incertitudes d’une alliance ambitieuse
Le chemin n’est toutefois pas exempt d’obstacles. La France devra doser soigneusement le partage de technologies sensibles afin d’éviter qu’un jour ces dernières n’alimentent une concurrence inattendue. De leur côté, les Émirats devront gérer les tensions géopolitiques induites par un rôle croissant qui pourrait inquiéter Washington et d’autres acteurs régionaux.
S’ajoutent à cela des défis techniques et économiques : intégrer des drones de combat lourds et des armes hypersoniques comporte des risques de retards et de surcoûts susceptibles de mettre à l’épreuve la solidité du partenariat.
Au-delà du Rafale : Une convergence stratégique
Pourtant, l’alliance franco-émirienne semble destinée à s’étendre au-delà de l’aviation. Des collaborations dans le secteur spatial, des coentreprises dans les satellites et le développement de systèmes de défense avancés font partie d’une stratégie plus large, où les Émirats voient en la France un partenaire alternatif aux États-Unis, capable d’accompagner leur course vers l’autonomie technologique et industrielle.
Dans ce dessein, le groupe émirien EDGE Defence, déjà impliqué dans la maintenance des Mirage et des Rafale, pourrait se transformer en une véritable plateforme industrielle pour tout le Moyen-Orient, en répliquant des modèles de collaboration similaires à celui que Dassault a mis en place en Inde pour la production des fuselages du Rafale.
Une partie à plusieurs niveaux
Ce qui ressort du dialogue entre Al-Mazrouei et Trappier, c’est un tableau complexe où se mêlent intérêts économiques, considérations stratégiques et dynamiques géopolitiques. D’un côté, la France consolide sa position de leader européen dans le secteur aérospatial ; de l’autre, les Émirats renforcent leur rôle d’acteur indépendant dans un Moyen-Orient toujours plus fragmenté et compétitif.
Le défi, pour les deux partenaires, sera de transformer ce partenariat en une alliance capable de résister aux turbulences politiques, aux risques technologiques et aux ambitions concurrentes. S’ils y parviennent, Abu Dhabi et Paris pourraient réécrire les règles du jeu, faisant du Rafale F5 non seulement une évolution technique, mais le symbole d’une nouvelle ère pour la défense mondiale.
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Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/
avec l’Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l’Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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