
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie)
Dans l’indifférence quasi générale de la communauté internationale, Guayaquil, principal port et poumon économique de l’Équateur, est devenue le théâtre d’une guerre urbaine à ciel ouvert. Meurtres en série, enlèvements, extorsions de masse, exécutions collectives : une spirale de violence sans précédent qui a poussé le président Daniel Noboa à prendre une décision radicale. Par décret exécutif, il a ordonné le transfert du Commandement général de la police nationale et du Commandement conjoint des forces armées vers la ville, afin d’y concentrer l’état-major de la sécurité nationale. Une mesure exceptionnelle qui en dit long sur l’effondrement de l’ordre public dans ce qui fut autrefois un symbole de prospérité.
Guayaquil, épicentre du chaos : Quand l’État recule, le crime s’impose
Les autorités l’ont confirmé : la semaine écoulée a été la plus sanglante de l’année 2025. Dans le district de Pascuales, les homicides s’accumulent : un vendeur ambulant abattu après avoir refusé de payer une « taxe », un conducteur de tuk-tuk exécuté en pleine rue, une fusillade commise par six tueurs à moto ayant tiré 59 balles sur une station de bus — bilan : cinq morts. Autre épisode : un couple abattu devant une école, soupçonné d’être impliqué dans un réseau d’extorsion. Guayaquil est devenue une zone de non-droit, où la vie humaine n’a plus de valeur.
Derrière cette vague de terreur se cache une guerre sans merci entre factions criminelles — Los Tiguerones, les Fénix, les Igualitos — qui se disputent le contrôle du racket dans la zone nord de la ville. Le paysage criminel est désormais fragmenté, éclaté, atomisé. Les structures traditionnelles ont laissé place à une multitude de groupes armés autonomes, rendus plus dangereux encore par leur imprévisibilité.
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Le décret de Noboa : Militarisation d’urgence sous couvert de réorganisation
Le décret présidentiel prévoit le redéploiement du commandement opérationnel des forces de sécurité directement sur le champ de bataille urbain. Officiellement temporaire, la mesure ne fixe aucune date de fin. Elle implique la mobilisation conjointe des ministères de l’Intérieur, de la Défense, de l’Économie, du Travail et de la Planification nationale pour assurer le soutien logistique et opérationnel. Mais au-delà des aspects techniques, c’est bien d’un changement de paradigme qu’il s’agit : reprendre la ville, rue par rue, en installant les centres de décision au cœur du chaos.
Cette stratégie révèle une volonté présidentielle d’affronter la menace de front. Pourtant, elle demeure ambivalente. Sans réforme judiciaire d’ampleur, sans politiques sociales de prévention et sans stratégie d’intelligence criminelle à long terme, les opérations militaires risquent de n’apporter que des victoires symboliques et temporaires.
Une justice sous pression : Les juges accusés de saboter la lutte contre le crime
À Pascuales, 189 homicides ont été enregistrés entre janvier et début juin — soit presque le double par rapport à la même période en 2024. Au niveau national, 960 personnes ont été arrêtées pour extorsion ou enlèvement. Pourtant, un nombre significatif d’entre elles sont déjà libres. En cause : des décisions judiciaires controversées. Dans au moins 20 cas, les suspects — parfois arrêtés plus de 10 fois pour des crimes graves — ont bénéficié de mesures alternatives à la détention, telles que le placement sous surveillance ou les assignations à résidence.
Face à cette dérive, certains magistrats commencent à sonner l’alarme. Le juge John Reimberg, lors d’une opération de police menée le 7 juin, a exhorté ses collègues à « être du bon côté de l’histoire », dénonçant implicitement les dysfonctionnements internes qui permettent aux réseaux criminels de prospérer. Un appel solennel qui a ravivé la tension entre le pouvoir exécutif et le système judiciaire, désormais sommés de coordonner leurs actions dans le cadre d’une « table ronde » institutionnelle.
Vers une nouvelle forme de criminalité urbaine : Liquide, décentralisée, militarisée
Le cas de Guayaquil n’est plus une simple crise sécuritaire. Il incarne une mutation profonde de la criminalité organisée : une hybridation entre gangs armés et structures paramilitaires, capables de rivaliser avec les institutions publiques. Ces groupes n’opèrent plus dans l’ombre, ils occupent l’espace public, dictent leurs lois, taxent les commerçants, contrôlent les quartiers. Le tout avec des armes de guerre, une logistique professionnelle, et une impunité croissante.
Ce phénomène n’est pas propre à l’Équateur. Il pourrait préfigurer un basculement plus large en Amérique latine, où des villes entières glissent peu à peu vers un ordre mafieux de facto. Le risque n’est plus celui d’un effondrement ponctuel, mais celui d’une lente dissolution de l’État.
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L’Équateur face à un point de non-retour
La décision du président Noboa de déplacer le commandement sécuritaire à Guayaquil est un signal fort. Mais elle ne suffira pas à elle seule à inverser la tendance. Sans réforme en profondeur de la justice, sans coordination interinstitutionnelle réelle, et sans stratégie nationale de reconquête territoriale, l’État équatorien restera en position défensive.
Ce qui se joue à Guayaquil dépasse les frontières de l’Équateur. C’est une alerte pour toute l’Amérique latine, voire au-delà : la violence criminelle n’est plus seulement un problème de sécurité, mais une menace existentielle pour l’État de droit. Et tant que les gouvernements n’affronteront pas frontalement la réalité — celle d’un pouvoir parallèle structuré, militarisé et enraciné — même les constitutions les plus vertueuses resteront lettre morte dans les périphéries où le pouvoir se mesure en balles et en silence.
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