ANALYSE – Iran, Chine, Russie : Le coup d’épée dans l’eau de la diplomatie européenne

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Drapeaux de l’Iran, de la Chine et de la Russie flottant devant le siège de la Commission européenne à Bruxelles, symbolisant les tensions géopolitiques actuelles entre ces puissances et l’Union européenne.
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Alexandre Aoun

La diplomatie européenne se retrouve à un carrefour critique, confrontée à des défis géopolitiques majeurs avec l’Iran, la Chine et la Russie. Le sommet UE-Chine du 24 juillet à Pékin, la reprise des négociations nucléaires avec l’Iran le 25 juillet à Istanbul, et les efforts pour obtenir un cessez-le-feu en Ukraine révèlent une UE dépassée, engluée dans ses contradictions économiques, son alignement partiel à Washington et ses divisions internes. 

Loin d’être un acteur autonome, l’UE cherche à équilibrer ses ambitions de souveraineté stratégique avec une approche diplomatique axée sur le dialogue et la coopération multilatérale, tout en s’efforçant de surmonter ses contraintes pour jouer un rôle plus affirmé sur la scène mondiale.

Le sommet UE-Chine du 24 juillet, censé célébrer 50 ans de relations diplomatiques, a accouché d’une souris. Réduit à une seule journée en raison de désaccords profonds, il a mis en lumière l’incapacité de l’UE à imposer ses priorités face à une Chine confiante, portée par un Xi Jinping maître du jeu. L’UE, représentée par Ursula von der Leyen et António Costa, a tenté de dénoncer le déficit commercial abyssal de 357 milliards de dollars en 2024, alimenté par les surcapacités chinoises dans les véhicules électriques, les éoliennes et les panneaux solaires. 

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Une Europe divisée

Von der Leyen, dans un discours au Parlement européen le 8 juillet, a accusé Pékin d’« inonder » les marchés mondiaux, menaçant des industries européennes clés. Pourtant, la Chine, forte d’un récent accord commercial avec les États-Unis, a balayé ces critiques, menaçant des représailles sur le porc et le cognac européens en réponse aux sanctions contre ses banques pour leur soutien à la Russie en Ukraine. Les divisions internes de l’UE, la Hongrie pro-chinoise et les pays baltes hostiles, ont affaibli sa position, tandis que le format réduit du sommet, sans dîner d’État ni déclaration conjointe, a symbolisé l’impuissance européenne. Comme l’a noté un diplomate, « l’UE arrive à Pékin avec des leçons de morale, mais sans levier réel ».

Sur le dossier iranien, la Troïka européenne, réunie à Istanbul le 25 juillet, tente de relancer le JCPOA après la guerre israélo-iranienne de 12 jours et les frappes américaines sur les installations nucléaires de Fordo, Natanz et Ispahan. Ces négociations, menées par Jean-Noël Barrot, Johann Wadephul et David Lammy, visent à ramener l’Iran à un enrichissement d’uranium limité à 3,67 %, contre les 274,8 kg à 60 % actuels, selon l’AIEA. Cependant, l’Iran, par la voix d’Abbas Araghchi, accuse les Européens de ne pas avoir respecté leurs engagements de 2015 et d’avoir été soumis aux directives de Washington de peur de subir l’extraterritorialité du droit américain. 

L’Europe, pour tenter de garder un lien commercial avec l’Iran, avait mis en place l’Instex. Le mécanisme INSTEX (Instrument in Support of Trade Exchanges) était une initiative européenne créée pour faciliter le commerce avec l’Iran, en contournant les sanctions américaines imposées après le retrait des États-Unis du Plan d’action global commun (JCPOA) en 2018. INSTEX a été lancé en janvier 2019 par l’E3 pour maintenir le commerce légitime avec l’Iran, principalement pour des biens humanitaires (médicaments, nourriture, matériel médical), conformément au JCPOA. L’objectif est de préserver les bénéfices économiques promis à l’Iran en échange de ses engagements nucléaires, tout en évitant les sanctions extraterritoriales américaines qui ciblent les transactions en dollars ou via le système SWIFT. L’Iran a créé une structure miroir, le STFI (Special Trade and Finance Instrument), pour coordonner les échanges. Or, en 2024 les échanges économiques via l’Instex ne dépassaient pas les … 10 millions d’euros. L’UE, tiraillée entre son atlantisme, alignement sur les États-Unis qui exigent un « zéro enrichissement », et son désir de médiation, apparaît comme un acteur secondaire. La diplomatie iranienne sait que la Troïka représente une sorte de messager de Washington, l’Europe n’agit pas sans l’aval de la Maison Blanche.

Vers un effacement de l’histoire ?

En Ukraine, les efforts européens pour obtenir un cessez-le-feu face à la Russie se heurtent à un mur. Le 18e paquet de sanctions de l’UE, adopté le 18 juillet 2025, vise à accroître le coût de l’agression russe, mais n’a pas freiné l’avancée de Moscou, qui contrôle 20 % du territoire ukrainien. Malgré le revirement de l’administration Trump sur son soutien militaire à l’Ukraine et son approche à l’égard de Vladimir Poutine, l’UE semble une fois de plus prise de court face à la volatilité des évènements. Le sommet de l’Otan de juin dernier a une fois de plus mis en exergue la passivité du bloc européen face aux attentes américaines. Bruxelles n’est plus dans les petits papiers pour le règlement du conflit, cela se joue entre Washington et Moscou directement avec des intermédiaires non européens comme la Turquie, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis.  

Ces trois dossiers illustrent les contradictions de l’UE. En Chine, elle prône un commerce équitable tout en dépendant des terres rares chinoises (98 % des importations européennes). En Iran, elle condamne l’enrichissement tout en échouant à offrir une alternative économique viable via INSTEX. En Ukraine, elle défend la souveraineté tout en se pliant à l’agenda américain, manquant de « hard power » pour peser seule. L’UE, prise en étau entre Washington et Pékin, risque de « s’effacer de l’histoire » faute de vision stratégique unifiée. Son atlantisme primaire, illustré par l’alignement sur les sanctions américaines contre la Russie et l’Iran, la réduit à un « vocodeur » de Washington, sans la capacité militaire ou économique pour rivaliser avec les grandes puissances. Les divisions internes, comme le veto hongrois sur les fonds pour l’Ukraine ou les réticences allemandes sur les sanctions chinoises, amplifient cette impuissance. L’UE, malgré ses ambitions de « souveraineté stratégique », reste engluée dans une posture moralisatrice, dénonçant sans agir, négociant sans imposer.Pékin, Moscou et Téhéran, chacun en fonction de son agenda politique respectif, ne prennent plus au sérieux la diplomatie européenne, engluée dans ses errements passés, son absence de vision sur le long terme et un suivisme non assumé avec Washington. Bruxelles apparaît de facto comme un acteur secondaire sans réelle boussole géopolitique.

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