
Par Alexandre Aoun
Alors que les affrontements ont fait rage entre la communauté druze de Soueïda et les forces gouvernementales de Damas, l’Etat hébreu s’est immiscé dans les affaires syriennes pour se porter garant de la sécurité de cette minorité religieuse. Cette intervention militaire n’est pas dénuée d’intérêts stratégiques. Ces heurts sectaires révèlent également l’incapacité d’Ahmed al-Chareh à sanctuariser son pouvoir.
Depuis la chute de Bachar el-Assad en décembre 2024, la province de Soueïda, bastion druze du sud de la Syrie, est le théâtre de violences communautaires. Les affrontements, déclenchés le 13 juillet 2025 par l’enlèvement d’un commerçant druze par des tribus bédouines sunnites, ont fait plus de 500 morts, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Les forces gouvernementales syriennes, sous le pouvoir d’Ahmed al-Chareh, leader de feu Hayat Tahrir al-Sham (HTS), sont intervenues pour rétablir l’ordre, mais ont été accusées d’exactions, notamment l’exécution sommaire de 27 civils druzes. L’humiliation de Druzes, comme le rasage forcé de leurs moustaches, symbole identitaire, a amplifié les griefs. Ces violences, marquées par la destruction de maisons, le massacre du personnel d’un hôpital et l’incendie de l’église grecque melkite Saint-Michel à Al-Soura Al-Kabira, ont de facto provoqué l’intervention d’Israël, qui a bombardé des positions syriennes à Soueïda et Damas les 15 et 16 juillet, forçant le retrait des troupes syriennes le 17 juillet. L’aviation israélienne a notamment ciblé le ministère de la Défense, situé au cœur de la capitale syrienne. Ces frappes, visant à protéger les Druzes, révèlent des motivations stratégiques israéliennes dépassant de loin l’aspect purement humanitaire.
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Une minorité quasi-autonome
Les Druzes, minorité ethnoreligieuse issue de l’ismaélisme chiite, représentent environ 3 % de la population syrienne (700 000 personnes avant la guerre civile), concentrés à Soueïda, Qouneitra et dans la banlieue de Damas (Jaramana, Sahnaya). Leur foi ésotérique, fermée aux conversions, intègre des éléments de mysticisme et de réincarnation, renforçant une identité communautaire forte. Pendant la guerre civile (2011-2024), les Druzes, sous Assad, ont bénéficié d’une relative autonomie, formant des milices comme Rijal al-Karameh (Hommes de la Dignité) et Liwa al-Jabal (Brigade de la Montagne) pour protéger leur région des combats et des groupes jihadistes comme l’État islamique. Assad, bien que répressif envers d’autres minorités, a toléré cette autonomie pour éviter un front supplémentaire, mais les Druzes ont souvent été marginalisés économiquement.
Sous le régime d’al-Chareh, les Druzes sont divisés. Sheikh Hikmat al-Hijri, leader spirituel influent, a dénoncé une « campagne génocidaire » et réclamé une protection internationale, acceptant à contrecœur un cessez-le-feu sous pression. À l’opposé, Laith al-Balous, chef de Rijal al-Karameh, cherche à collaborer avec Damas pour maintenir la sécurité locale, reflétant un pragmatisme face au pouvoir islamiste. En février 2025, le Conseil militaire de Soueïda, dirigé par Tareq al-Shoufi, a émergé pour fédérer les milices druzes, plaidant pour une Syrie décentralisée, une position en tension avec les ambitions centralisatrices d’al-Chareh.
En mai 2025, des heurts à Soueïda et dans la banlieue de Damas, faisant plus de 100 morts, avaient déjà opposé les Druzes à des groupes sunnites pro-gouvernementaux. Ces violences, suivies de frappes israéliennes près du palais présidentiel à Damas, avaient révélé la méfiance des Druzes envers le régime d’al-Chareh, accusé de favoriser les milices sunnites. Les accords de mai, confiant la sécurité aux Druzes, ont été rompus en juillet lorsque les forces syriennes, alliées aux Bédouins, sont entrées à Soueïda, exacerbant les tensions historiques entre ces communautés.
La communauté druze : Un prétexte d’ingérence pour Israël en Syrie
La politique israélienne envers les Druzes syriens s’inscrit dans une dynamique complexe mêlant solidarité communautaire, intérêts stratégiques et considérations géopolitiques. Depuis la création de l’État d’Israël en 1948, cette politique a évolué en fonction des relations avec la Syrie, des tensions régionales et des liens avec la communauté druze israélienne, forte de 153 000 membres en 2025.
Lors de la guerre israélo-arabe de 1948, les Druzes syriens, alors sous le contrôle de Damas, restent en marge des conflits, leur communauté étant historiquement non alignée avec le nationalisme arabe. Après la guerre des Six Jours en 1967, Israël occupe le plateau du Golan, où vivent environ 24 000 Druzes syriens. Contrairement aux Druzes israéliens, intégrés via la conscription obligatoire dans Tsahal depuis 1957, les Druzes du Golan refusent majoritairement la citoyenneté israélienne, se revendiquant syriens. Israël adopte une approche pragmatique : il tolère leur particularisme tout en imposant une administration militaire, cherchant à éviter des soulèvements tout en sécurisant cette zone stratégique. Sous Hafez el-Assad (1971-2000), le régime syrien renforce son contrôle sur les Druzes de Soueïda, tout en les marginalisant économiquement. Israël, en pleine guerre froide régionale, perçoit les Druzes syriens comme un levier potentiel pour déstabiliser Damas. Des contacts discrets sont établis avec des leaders druzes, notamment via des réseaux dans le Golan, pour contrer l’influence syrienne. Cependant, les Druzes syriens, méfiants envers toute ingérence, restent loyaux à Damas, limitant l’efficacité de cette stratégie.
La guerre civile syrienne marque un tournant. Les Druzes de Soueïda, sous Bachar el-Assad, bénéficient d’une autonomie relative. Israël, préoccupé par l’instabilité près de sa frontière, intensifie son soutien aux Druzes syriens. À partir de 2015, des rapports font état d’aide médicale et logistique fournie par Tsahal à des milices druzes et même djihadistes, notamment via l’opération « Bon Voisinage », qui soigne des blessés syriens dans des hôpitaux israéliens. Ces actions, motivées par la pression des Druzes israéliens, intégrés à l’armée et fidèles à l’État, servent aussi à contrer l’influence de l’Iran et du Hezbollah, alliés d’Assad, près du Golan. Après l’annexion formelle du Golan par Israël en 1981, reconnue par les États-Unis en 2019 sous Trump, la politique israélienne envers les Druzes syriens devient plus assertive. Ces dernières années, la région du Golan a été colonisée et militarisée davantage pour imposer un nouveau paradigme avec Damas et rendre la rétrocession de ce territoire de facto impossible.
Malgré des pourparlers indirects à Bakou et Abou Dhabi visant une normalisation entre Israël et la Syrie, le gouvernement de Benjamin Netanyahu a averti qu’il pourrait intervenir militairement dans le sud syrien si les violences persistaient. Les ministres Amichai Chikli et Itamar Ben-Gvir ont même appelé à l’élimination d’Ahmed al-Chareh. L’Etat hébreu entend donc imposer une démilitarisation dans le sud syrien et ne compte pas lésiner sur les moyens pour y parvenir. La possible rencontre entre Netanyahu et al-Chareh à l’ONU en septembre s’annonce particulièrement tendue.
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