ANALYSE – Trump et le nouveau grand jeu pétrolier : l’Amérique frappe, le monde s’adapte

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Illustration géopolitique représentant une pompe à pétrole au coucher du soleil, symbolisant le nouveau Grand Jeu énergétique mondial lancé par Donald Trump. L’image évoque la guerre économique entre Washington, Moscou, Pékin et New Delhi sur fond de cartes et de flux pétroliers internationaux.
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Olivier d’Auzon

C’est un geste de rupture, presque une déclaration de guerre économique. Pour la première fois depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a imposé des sanctions bloquantes contre les deux géants russes du pétrole, Rosneft et Lukoil, qui assurent à eux seuls plus de la moitié de la production de brut du pays. En frappant au cœur du moteur énergétique de Moscou, Washington relance le « Grand Jeu » des puissances — celui qui oppose, depuis plus d’un siècle, les empires continentaux aux thalassocraties.

L’objectif officiel : assécher les revenus pétroliers qui alimentent la machine de guerre russe. Le résultat réel : un séisme dans la géopolitique mondiale de l’énergie, de Houston à Delhi, de Tokyo à Bruxelles.

Le pari risqué d’une Amérique redevenue punitive

En 2024, la Russie a produit quelque 516 millions de tonnes de pétrole, dont 184 millions par Rosneft et 76,5 millions par Lukoil. Ces deux entreprises ont versé à l’État plus de 8 000 milliards de roubles, soit près de 10 % des recettes budgétaires fédérales. En gelant les avoirs et les transactions de leurs 34 filiales, Washington frappe directement le budget russe — mais aussi, indirectement, le marché mondial.

Surtout, Trump a réactivé les sanctions secondaires, menaçant de pénaliser les banques chinoises et indiennes qui continueraient à financer les achats de brut russe. En théorie, cela pourrait étouffer les exportations russes vers ses deux principaux clients : la Chine (2 millions de barils par jour) et l’Inde (1,6 million), soit plus de 70 % des ventes maritimes de Moscou.

Mais dans la pratique, ce scénario est illusoire. Les marchés pétroliers sont comme l’eau : ils contournent toujours les obstacles.

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La Chine hésite, l’Inde manœuvre

Un rapport de Reuters a cru pouvoir annoncer que les compagnies d’État chinoises – PetroChina, Sinopec, CNOOC – suspendaient leurs achats de pétrole russe. Fausse alerte, sans doute. Pékin ne sacrifie jamais son levier stratégique sur l’autel de la conformité juridique. En septembre, la Chine avait déjà importé 74 millions de tonnes de brut russe, pour une valeur de 37,5 milliards de dollars, en dépit de précédentes vagues de sanctions.

L’Inde, plus vulnérable aux menaces américaines, adopte une posture de prudence. Ses raffineries publiques réexaminent leurs contrats. Mais même si New Delhi réduit temporairement ses volumes de 20 à 30 %, le brut russe ne disparaîtra pas : il transitera simplement par des intermédiaires du Golfe, de la Malaisie ou de la Turquie, ajoutant quelques dollars de marge aux courtiers — et quelques pertes à Moscou.

En clair, ce n’est pas un coup de grâce, mais un renchérissement des coûts : la Russie perdra sans doute 5 à 8 % de ses revenus pétroliers en 2026, non par manque de débouchés, mais à cause de rabais imposés et de frais de logistique accrus.

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Un choc de souveraineté énergétique

Ce que Trump cherche, ce n’est pas seulement à asphyxier la Russie. C’est à forcer Pékin et Delhi à choisir leur camp : celui du dollar ou celui de l’autonomie.

Ce choix, jusqu’ici, ces capitales avaient réussi à l’esquiver. Mais la stratégie américaine place désormais la Chine et l’Inde face à un dilemme historique. Continuer à commercer avec Moscou, c’est risquer l’exclusion du système financier occidental. Se plier à Washington, c’est admettre une dépendance que leurs ambitions géopolitiques refusent.

Le nouveau « Grand Jeu » n’est donc plus celui des territoires, mais celui des circuits financiers et énergétiques. La bataille se joue moins sur les champs de bataille que dans les bureaux de trading de Singapour ou de Dubaï.

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Et l’Europe dans tout cela ? Le maillon vulnérable

L’Europe, une fois de plus, risque de payer les frais d’une stratégie qui n’est pas la sienne. En prétendant isoler la Russie, Washington rebat les cartes du commerce mondial de l’énergie — et accroît la dépendance énergétique de l’Union vis-à-vis des États-Unis et du Moyen-Orient.

Le Vieux Continent, déjà éprouvé par les coupures de gaz russes depuis 2022, devra absorber une nouvelle flambée des prix, notamment sur le diesel et le kérosène. Les industries allemandes et italiennes, grandes consommatrices d’énergie, verront leurs coûts grimper. Et la France, malgré son mix nucléaire, ne sera pas épargnée : ses raffineries achètent encore du brut d’origine russe via des circuits détournés.

Politiquement, ces sanctions accentuent le sentiment d’une Europe alignée, non souveraine, prisonnière de la stratégie américaine. Elles creusent aussi le fossé avec le Sud global, qui voit dans le Vieux Continent non plus un partenaire, mais un intermédiaire docile de Washington.

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Vers un monde sans centre ?

En redessinant unilatéralement les règles du commerce pétrolier, Donald Trump accélère peut-être ce qu’il redoute le plus : la naissance d’un monde sans centre, où ni Washington ni Bruxelles ne dictent plus les flux.

Dans ce système multipolaire, les États-Unis imposent encore les sanctions, mais d’autres en fixent les limites.

Et la Russie, paradoxalement, sort renforcée de ce désordre qu’elle a su exploiter : moins riche, mais plus résiliente.

L’Europe, elle, doit choisir entre deux illusions : croire qu’elle contrôle encore le jeu, ou accepter qu’elle ne soit plus qu’un plateau parmi d’autres.

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