TRIBUNE – Les « ambassadeurs indignitaires » de Nicolas Sarkozy 

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Sur fond du Quai d’Orsay et du drapeau tricolore, un portrait de Nicolas Sarkozy illustre la chute symbolique de l’ancien président, entre pouvoir, diplomatie et justice française.
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques

« J’ai compris qu’il ne suffisait pas de dénoncer l’injustice, il fallait donner sa vie pour la combattre » (Albert Camus, Les Justes). Que n’a-t-on entendu le mot injustice au cours des dernières semaines dans la bouche d’un ex-Président de la République, un certain Nicolas Sarkozy depuis qu’il a appris qu’il devrait passer par la case prison de la Santé à compter du 21 octobre 2025 ! L’homme a le verbe haut, la mémoire courte et la rancœur tenace vis-à-vis de ceux qu’il qualifie dédaigneusement de « petits pois », à savoir les juges français. 

Depuis la date du verdict (25 septembre 2025), l’homme ne décolère pas. Ce n’est pas lui qu’on humilie, mais la France. Il n’a pas peur d’aller en prison. Il se battra pour laver son honneur perdu et faire reconnaitre son statut d’innocent et, par voie de conséquence, de victime expiatoire d’une folle machine judiciaire. Dans cette entreprise médiatique de grande envergure, un constat s’impose. La Sarkozie, au grand complet, vole au secours du grand Nicolas, le nouveau capitaine Dreyfus. Ni plus, ni moins. Un autre constat s’impose. Cette même cohorte hétéroclite était sourde, aux abonnés absents lorsque le petit Nicolas réservait un traitement dégradant et inhumains à ceux que certains, qui ne manquent pas de sens de l’humour au sein de la Maison des bords de Seine, qualifient « d’ambassadeurs indignitaires ». 

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La Sarkozie vole au secours du grand Nicolas, le nouveau capitaine Dreyfus 

Depuis que les magistrats ont décidé que Nicolas Sarkozy serait soumis au régime de l’exécution provisoire de sa peine en dépit de l’appel interjeté contre cette décision (cinq ans d’emprisonnement)[1], nous devons subir, à jet continu, les cris d’orfraie des vierges effarouchées du clan des sarkoziens.

Tout y passe : crime de lèse-majesté[2] ; dénonciation du gouvernement des juges (« despotisme judiciaire ») ; de l’acharnement sur un innocent dont le dossier de l’accusation est faible pour ne pas dire existant (trois sur quatre chefs d’inculpation ont été écartés, seul celui flou d’association de malfaiteurs ayant été retenu) ; de la violation indiscutable des droits élémentaires de la défense (présomption d’innocence) ; annonce de la saisine de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) afin qu’elle condamne l’État français pour manquement à ses obligations … Le ton  monte d’un cran à la veille de son embastillement à la prison de la Santé (il y emporte « Le Comte de Monte Cristo » ![3]) : tribune collective dans le Figaro du 20 octobre 2025 pour souligner l’amour que le délinquant en col blanc porte à la France ; organisation par sa famille d’une manifestation de soutien à l’innocent, pour qui les magistrats se sont placés sur le plan du tordu et non du seul droit positif, devant son domicile du XVIe arrondissement réunissant amis et anciens collaborateurs[4] ; réception de Nicolas Sarkozy par Emmanuel Macron qui se situe uniquement sur un « planhumain » avec l’un de ses prédécesseurs ; annonce que le Garde des Sceaux, Gérald Darmanin rendra visite au premier Président de la Cinquième République ayant l’immense privilège de passer par la case prison pour des prétendues malveillances financières[5] ; confiance renouvelée du monde des affaires[6] ; conseils pratiques prodigués par ses anciens soutiens ayant passé quelques mois dans les geôles de l’Hexagone pour lui faciliter sa vie de reclus (nous pensons immédiatement à l’honnête homme qu’est Patrick Balkany) …

À chaque jour suffit sa peine ! Pour sa part, les confidences de Nicolas Sarkozy fleurissent à intervalles réguliers dans les bonnes gazettes. Il y proclame urbi et orbi son innocence, sa détermination à se battre jusqu’au bout, son abnégation face à l’emprisonnement … L’ancien maire de Neuilly n’entend pas se laisser abattre par les coups du sort qui le frappent ainsi que ses proches. Symbole même de la justice, Nicolas Sarkozy tient à cœur de lutter de toutes ses forces contre l’injustice criante et insupportable qui le frappe comme elle avait frappé en son temps le capitaine Dreyfus en le reléguant à Cayenne et le traitant sans le moindre égard. 

Si tout cri d’innocence doit légitimement être entendu, y compris et surtout lorsqu’il vient de la bouche d’un ancien Président de la République, il est aussi opportun de s’interroger sur le point de savoir comment l’intéressé a traité, lorsqu’il était en fonction, certains hauts fonctionnaires en particulier certains ambassadeurs.

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La Sarkozie sourde au sort réservé aux « ambassadeurs indignitaires » par le petit Nicolas 

Le moins que l’on soit autorisé à dire est que le Président de la République n’a jamais porté dans son cœur les hauts fonctionnaires français qu’ils jugent timorés, opportunistes, sans colonne vertébrale avec une mention spéciale pour les diplomates Ferrero Rocher, vulgaires bons à rien. Pire encore, ils ne comprendraient rien au monde actuel alors que lui en saisit tous les arcanes (Cf. les brillants résultats de sa guerre en Libye).

Le seul qui trouve grâce à ses yeux est un certain Boris Boillon (« son petit arabe »). C’est pourquoi, il le gratifie en un tournemain de deux ambassades (Irak, Tunisie) à la tête desquelles il ne fera pas d’étincelles. Un brin narcissique comme son maître, ce diplomuche, bas de gamme et de plafond, expose son torse nu dans une revue people[7]. Condamné pénalement pour ses diverses frasques, au premier rang desquelles quelques malversations financières (le transport en Belgique de sacs de billets de banque dont il ne parvient pas à justifier la provenance problématique), l’ambassadeur Boillon se voit déchoir de la Légion d’honneur[8]. Un bel exemple de probité et de compétence ! On peut dire que Nicolas Sarkozy possède un réel don de clairvoyance en matière de ressources humaines.

Pour les autres ambassadeurs, la valetaille, Nicolas Sarkozy peut avoir la main lourde, le plus souvent pour des prétextes fallacieux qui relèvent plus de l’injustice que de l’exemplarité : pseudo harcèlement moral, voire sexuel, trafic de visas, absence pour l’accueillir à l’aéroport, incompétence d’experts du monde arabe … Et, le Président de la République ne se prive pas d’exercer son pouvoir de sanction sans se soucier de la véracité des faits rapportés, de l’injustice éventuelle faite à des ambassadeurs qui nourrissent aujourd’hui la liste des « ambassadeurs indignitaires ». Il est vrai que, parfois, on accuse un diplomate pour pouvoir recaser un copain. Nicolas Sarkozy ne demande pas à écouter les accusés et à les faire bénéficier de la présomption d’innocence qu’il réclame pour lui. Le deux poids, deux mesures ? Sans trop s’avancer, l’on pourrait soutenir que parmi les ambassadeurs et ambassadrices dignitaires de France – une dignité équivalente au maréchalat dans l’armée – sont manifestement indignes de l’honneur que leur a conféré le Président de la République. Mais, cela, c’est une autre affaire …

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Nicolas Sarkozy n’a que faire des journalistes (un indépendant[9] et un rattaché à l’Obs[10] pour ne s’en tenir qu’à ces deux folliculaires) peu scrupuleux qui traînent dans la boue les victimes de son ire, démolissant leur vie personnelle après avoir détruit leur vie professionnelle. Peut lui chaut ces injustices criantes. Son surnom de Saint-Just lui va comme un gant au temps de sa splendeur perdue. Rien ne trouble le défenseur des droits fondamentaux qu’il est ou se présente comme tel. La délation – sorte de tribunal médiatique – érigée en règle morale ne le trouble point. Curieux ?

Nicolas Sarkozy n’est guère troublé lorsque le sinistre Conseil d’État – plus haute juridiction administrative, juge et conseil de l’État à la fois, c’est peu dire qu’elle n’est ni indépendante ni impartiale – avalise dans la plus grande servilité ses décisions injustes et infâmantes. Sous son règne y servait en qualité de vice-président, le sieur Jean-Marc Sauvé, un chrétien à l’échine souple[11] et en qualité de président de la section du contentieux, le sieur Bernard Stirn, un autre courageux qui coule des jours heureux comme membre de l’Académie des sciences morales et politiques[12]. Il n’est jamais venu à l’idée de Nicolas Sarkozy de s’enquérir sur le point de savoir si cette juridiction couchée appliquait au pied de la lettre les principes sacrés du droit à un procès équitable aux fonctionnaires accusés de tout et n’importe quoi par lui-même. Pourquoi se plaint-il aujourd’hui des dérives de la justice qu’il ignorait superbement hier ? Peut-être parce qu’il trouvait avantage à ce que la Justice couvre certaines de ses actions injustes. La vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain, à l’évidence. Aurait-il la mémoire courte ? Aujourd’hui, les « ambassadeurs indignitaires » se font une joie de lui rafraichir sa mémoire apparemment défaillante. Et, ils ne boudent pas leur plaisir de savoir que tel est pris qui croyait prendre.

Nicolas Sarkozy n’est-il pas indirectement puni aujourd’hui pour toutes ses turpitudes passées ? Vaste programme qui pourrait l’inspirer dans ses prochaines journées et semaines à l’abri du buzz médiatique créé par son incarcération arbitraire et injuste.

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Du retour de bâton d’une justice immanente ? 

« Le plus grand des maux est de commettre l’injustice » (Platon, Georgias). Dans sa cellule de l’aile VIP de la Prison de la Santé, où il pourra se refaire une santé, Nicolas Sarkozy aura tout loisir de méditer cette maxime et, qui sait, se livrer à un salutaire exercice d’introspection sur son passé de Président de la République pour éclairer son présent de délinquant. Il y gagnerait en sagesse pour affronter avec sérénité les avatars de la dernière partie de sa vie d’homme. Finira-t-il par admettre qu’il ne l’a pas volé tant sa probité et son honnêteté sont passablement questionnées en particulier dans le volet libyen de ses problèmes avec la justice ? Il a eu la peau de Khadafi. Les magistrats ont eu sa peau. Un juste retour des choses, en somme. Par ailleurs, l’homme qui crie haut et fort à l’injustice ne s’est-il pas rendu coupable d’injustice envers des grands serviteurs de l’État dont l’honneur a été sali par l’arbitraire absolu de son bon vouloir de Monarque Républicain ? Dans un souci d’objectivité, la question ne mérite-t-elle pas d’être posée ? Nous le pensons. Telle pourrait être la morale de la fable intitulée « Les ambassadeurs indignitaires » de Nicolas Sarkozy !

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Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur


[1] Sarkozy en prison, Macron veut ouvrir un débat sur l’exécution provisoire, www.mediapart.fr , 21 octobre 2025.

[2] Fabrice Arfi, Sarkozy en prison, ce crime de lèse-majestéwww.mediapart.fr , 21 octobre 2025.

[3] Laurent Valdiguié, « Il va trouver le temps long, c’est sûr mais il pourra écrire » : Sarkozy à la prison de la Santé, une nouvelle vie qui commencewww.marianne.net , 21 octobre 2025.

[4] Grégoire Biseau, « Nicolas, on est avec toi » : un rassemblement dans le 16e à Paris, Le Monde, 22 octobre 2025, p. 11.

[5] Louis Nadau, Incarcération de Nicolas Sarkozy : taisez-vous Darmanin !www.marianne.net , 21 octobre 2025.

[6] Rémi Dupré/Nicole Vulser, Sarkozy garde la confiance du monde des affaires, Le Monde, 22 octobre 2025, p. 11.

[7] Virginie Ballet, Boris Boillon : diffuser ses photos en maillot, une atteinte à la vie privéewww.lesinrocks.com , 25 février 2011.

[8] Camille Lafrance, France : la chute de Boris Boillon, ex-ambassadeur en Tunisie, www.jeuneafrique.com , 8 juillet 2021.

[9] Franck Renaud, Les diplomates. Derrière la façade des ambassades de France, nouveau monde éditions, 2011.

[10] Vincent Jauvert, La face cachée du Quai d’Orsay. Enquête sur un ministère à la dérive, Robert Laffont, 2016.

[11] https://www.ciase.fr/composition-de-la-commission/jean-marc-sauve/

[12] Bernard Stirn, Les libertés en question, LGDJ, 2017, 10e édition.


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