
Par Angélique Bouchard
Washington, novembre 2025 : le Congrès ne légifère plus, il prophétise.
Trente-cinq jours de shutdown, et la capitale fédérale s’est muée en arène de paris hasardeux où Républicains et Démocrates misent sur la fatigue de l’autre plutôt que sur le compromis.
Chad Pergram, dans sa chronique pour Fox News, pose la seule certitude : « Le shutdown finira. Un jour. »
Tout le reste n’est que pari politique, et le pays paie l’addition – 400 millions de dollars par jour en salaires perdus, files d’attente record devant les banques alimentaires, contrôleurs aériens au bord du burn-out. Derrière les déclarations tonitruantes, une vérité crue : personne ne sait quand, ni comment, cette paralysie prendra fin.
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Un pays suspendu entre stratégie électorale et inertie institutionnelle
Plus d’un mois après le début du shutdown fédéral, Washington ressemble davantage à un plateau d’analystes qu’à un siège de gouvernement. Comme le résume Chad Pergram dans sa chronique pour Fox News, « tout le monde est désormais oracle lorsqu’il s’agit de prédire la fin du blocage ».
Les Républicains parient toujours sur l’essoufflement démocrate. Mais, pour l’heure, cette prédiction n’a rien d’une prophétie auto-réalisatrice.
Le bras de fer, qui a commencé sur la question des crédits fédéraux liés à la santé, est devenu un test politique à haute valeur symbolique. D’un côté, la Maison Blanche et les élus démocrates refusent de céder sur le financement du programme de couverture santé qu’ils jugent essentiel à leur électorat. De l’autre, les Républicains tentent d’imposer une lecture budgétaire stricte, accusant leurs adversaires de provoquer eux-mêmes la paralysie.
Les Républicains dans le piège de leurs propres pronostics
Depuis cinq semaines, le camp républicain s’emploie à annoncer la fin imminente du shutdown — une stratégie de communication plus qu’un plan de sortie. Dès le 1ᵉʳ octobre, le sénateur John Barrasso (R-Wyoming) affirmait que « les premières fissures apparaissaient dans la base démocrate ».
Mais ces fissures restent invisibles.
Ni la pression économique, ni les premières conséquences concrètes — salaires suspendus, perturbations aériennes, expiration de l’aide alimentaire — n’ont poussé les Démocrates à infléchir leur position. Le chef de la minorité à la Chambre, Hakeem Jeffries (D-New York), a réaffirmé sans ambiguïté :
« Nous ne soutiendrons pas un projet de dépenses partisan qui continue de saper la santé des Américains. C’est notre ligne, semaine après semaine – et elle ne changera pas. »
Face à cette détermination, le discours républicain s’est transformé en série de paris successifs : attente de la fin des manifestations « No Kings », premier cycle de paie non versé, hausse des primes d’assurance… jusqu’aux élections locales de novembre, désormais perçues comme la possible clé politique.
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La politique électorale comme horizon de crise
Le nom de Zohran Mamdani, candidat progressiste à la mairie de New York, cristallise les attentes des stratèges républicains. La représentante Nancy Mace (R-Caroline du Sud) confiait sur Fox Business :
« [Les Démocrates] attendent d’élire Mamdani, le communiste, prochain maire de New York. Ensuite, tout reviendra à la normale. »
Cette rhétorique, reprise par le président de la Chambre Mike Johnson (R-Louisiane), témoigne de l’espoir que des victoires progressistes locales forcent les Démocrates du Congrès à modérer leurs positions. « Peut-être, après les élections, calculeront-ils qu’ils n’ont plus besoin de tenir cette ligne », déclarait Johnson.
Mais cette lecture reste fragile. Les Démocrates, jusqu’ici unis autour de la question sanitaire, n’ont montré aucun signe d’éclatement interne. En revanche, la prolongation du shutdown commence à éroder la patience de certains Républicains du Sénat, à l’image de John Cornyn (R-Texas), sceptique sur la stratégie de confrontation :
« Nous cherchons encore un comportement rationnel de la part des Démocrates. Mais cette idée de fermeture était stupide dès le départ, et elle ne s’est pas améliorée depuis. »
Vers un « shutdown sans horizon »
L’élément le plus inquiétant, souligne Pergram, est l’absence de toute « date butoir » crédible. Le 21 novembre, envisagé initialement comme échéance de compromis, est désormais considéré comme une « date perdue ».
Steve Scalise (R-Louisiane) l’a reconnu :
« Avec le 21 novembre en ligne de mire, il ne reste plus beaucoup de temps pour résoudre nos différends. »
Dans les couloirs du Capitole, certains évoquent désormais un nouveau financement temporaire jusqu’en janvier, une manière de repousser la crise sans la résoudre. Une « fuite en avant » institutionnelle qui, selon plusieurs observateurs, souligne la désagrégation du processus législatif américain.
Même la voix du Sénat, Chaplain Barry Black, chargé d’ouvrir les sessions par une prière, a pris un ton d’urgence :
« Inspire nos législateurs à unir leurs efforts pour éteindre l’incendie de ce shutdown qui a déjà brûlé plus qu’on ne l’avait imaginé. »
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Une crise structurelle plus qu’un accident politique
Au-delà du face-à-face partisan, cette crise révèle une fatigue démocratique plus profonde. Chaque shutdowndevient désormais un épisode récurrent du cycle politique américain, un rituel de blocage budgétaire où les deux camps testent leur cohésion avant les prochaines élections.
Pergram conclut son analyse par une forme de résignation lucide :
« Le shutdown finira par se terminer. C’est la seule prédiction sûre que l’on puisse faire. »
Une phrase qui résume l’impasse actuelle : dans un système où le compromis est devenu suspect et la confrontation permanente, la fin d’une crise ne constitue plus une solution — seulement une trêve avant la suivante.
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Lecture diplomatique : Washington à la croisée du symbolique et du structurel
Pour les observateurs internationaux, la persistance de ce blocage illustre un affaiblissement de la gouvernance fédérale américaine. Le débat ne porte plus seulement sur le budget, mais sur la capacité même des institutions à arbitrer un conflit idéologique devenu permanent.
Retour en arrière : décembre 2018-janvier 2019, le plus long shutdown de l’histoire (35 jours).
Même décor, même scénario.
Le président Trump exigeait son mur ; les Démocrates, fraîchement majoritaires à la Chambre, refusaient. Les contrôleurs aériens s’effondraient, les parcs nationaux fermaient, 800 000 fonctionnaires étaient en sursis.
À l’époque, la pression des retards aériens avait forcé la main : le 25 janvier, Trump signait un financement temporaire de trois semaines, sans un dollar pour le mur. Victoire démocrate ? Non : simple report. Trois semaines plus tard, nouvelle crise, nouvelle menace de shutdown, jusqu’à un accord de dernière minute.
Le shutdown de 2025 restera ainsi un marqueur de la désinstitutionnalisation rampante de la démocratie américaine : un pays où la prière du Sénat devient l’un des rares espaces de consensus.
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Un mois de paralysie aura suffi à révéler l’essentiel : le shutdown n’est plus un accident budgétaire, c’est le symptôme d’un système qui préfère la guerre de tranchées au dialogue. Les Républicains accumulent les prédictions ratées ; les Démocrates brandissent leur intransigeance comme un trophée. Entre les deux, l’Amérique réelle – contrôleurs aériens épuisés, familles sans aide alimentaire, primes santé explosées – attend que Washington redécouvre la réalité.
2025 reproduit 2018, mais en pire. Les enjeux sont plus diffus (subventions santé contre coupes budgétaires), les lignes plus idéologiques, les élections locales plus immédiates. Là où 2018 avait un levier concret – la sécurité des vols –, 2025 s’enlise dans le symbolique : Mamdani à New York, Spanberger en Virginie, Sherrill dans le New Jersey. Le pays retient son souffle non plus pour un mur, mais pour un maire.
Le rideau tombera, certes. Peut-être cette semaine, peut-être en janvier. Mais comme en 2019, la pièce recommencera – plus usée, plus prévisible, plus coûteuse. Car tant que le shutdown reste une arme politique plutôt qu’un scandale institutionnel, Washington ne légifère plus : il mise.
Et c’est toujours le peuple qui perd.
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