
Par Philippe Pulice
Donald Trump a fait du wokisme l’un de ses combats. Cet engagement a sans doute pesé lourd dans sa victoire de novembre 2024. Le ton est donné : nouvelles lois, nominations stratégiques et coupes dans les subventions.
Les wokes d’hier deviennent anti-wokes. Certains retournements de veste sont spectaculaires : Amazon, McDonald’s, Meta… Et la liste des entreprises ayant revu « leur copie » sur les politiques DEI (Diversity, Equity, Inclusion) est longue. La vitesse à laquelle le changement de posture s’est effectué laisse perplexe.
Pour les entreprises qui reçoivent des fonds publics d’une manière ou d’une autre, c’est logique : les convictions pèsent peu face à la puissance de l’argent. Certes. Mais pour les autres, la question se pose : est-ce le fruit de pressions politiques ? La menace de sanctions fiscales, réglementaires, voire judiciaires visant directement les dirigeants ?
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Les grandes entreprises, élèves modèles du wokisme…
Sous la présidence démocrate, les grandes entreprises n’ont pas vraiment joué les rebelles. L’une après l’autre, elles ont appliqué les politiques DEI, jusqu’à les ériger en dogme imposé aux employés, aux clients et aux partenaires. Surtout qu’avec la cancel culture, la peur des campagnes de dénigrement — notamment sur les réseaux sociaux — était bien réelle. Effet domino : un acteur commence, un autre suit, tout le monde s’aligne. Résultat : au fil du temps, la quasi-totalité des grandes entreprises ont fini par adopter ces politiques, avec plus ou moins d’enthousiasme. Certaines ont même fait du zèle, se voulant pionnières, convaincues d’être face à une tendance de fond, à un monde nouveau, à de nouveaux consommateurs. Une tendance à saisir, un train à ne pas rater.
L’exemple Disney parle de lui-même. En mars 2022, Karey Burke, alors présidente du contenu pour Disney General Entertainment, se présentait comme la mère de deux enfants queer — l’un transgenre, l’autre pansexuel — et affichait son objectif : 50 % de personnages issus de minorités, notamment LGBTQIA+.
Aujourd’hui, Disney a rangé ce zèle au placard. Le programme Reimagine Tomorrow, lancé en 2021 pour accroître la diversité dans les productions ainsi qu’au sein des employés et dirigeants, occupait jusqu’ici une place centrale dans la communication du groupe. Or, dans le rapport annuel 2024 remis à la SEC, le gendarme boursier américain, le programme a tout simplement disparu : il ne figure plus parmi les objectifs stratégiques. Même l’indicateur Diversity & Inclusion, qui servait à évaluer les dirigeants, a été supprimé. Signe du changement de climat : la FCC (Federal Communications Commission, l’autorité américaine des communications) enquête désormais pour savoir si certaines politiques DEI n’ont pas entraîné des discriminations inversées.
Le vent a bel et bien tourné…
Alors, assistons-nous à la même mécanique que ces dernières années, mais cette fois dans l’autre sens ? Du progressisme vers le conservatisme ?
Le peuple américain s’est rebellé. La victoire de Trump a libéré la parole. Elle a donné naissance à une culture populaire anti-woke assumée. Les valeurs conservatrices ont désormais le vent en poupe. Elles sont affichées, revendiquées… et attendues. Du point de vue marketing, le constat est limpide : la demande est là — et elle est forte.
« La publicité la plus osée du moment… »
American Eagle Outfitters (AEO) l’a compris mieux que quiconque. Le géant du prêt-à-porter lance, le 23 juillet 2025, une campagne avec Sydney Sweeney sous le slogan « Sydney Sweeney Has Great Jeans » — jeu de mots provocateur entre jeans et genes(gènes, en français).
L’image rompt clairement avec les codes en place. L’actrice, simplement vêtue d’une veste courte en jean, sans rien en dessous, apparaît glamour, sensuelle, assumant un « sexy » que les grandes marques avaient délaissé au profit d’un visuel hyper-inclusif et aseptisé. Dans l’un des plans les plus commentés, la caméra glisse sur sa silhouette avant qu’elle ne lance, d’un regard complice : « Hey, eyes up here », invitant le spectateur à regarder son visage. Un autre la montre allongée sur un canapé, fermant lentement son jean avant de souffler : « My genes are blue ». La voix-off conclut : « Sydney Sweeney has great jeans ». Désir, charme, provocation : à contre-courant total des codes édulcorés. Les polémiques éclatent rapidement, d’autant plus que le jeu de mots jeans/genes évoque pour certains une vision trop idéalisée du corps, voire une allusion à une préférence biologique implicite.
Dès le lendemain, l’action AEO grimpe de 10 %. Le 4 août, Donald Trump encense la campagne sur son réseau social Truth Social, la qualifiant de « the HOTTEST ad out there » — « la publicité la plus osée du moment ». Résultat : +24 % en une séance. Meilleure performance boursière d’American Eagle depuis l’an 2000, selon Bloomberg et le Wall Street Journal.
Malgré les levées de bouclier, la marque ne recule pas. Aucune excuse, aucun retrait. Entre le 23 juillet et le 4 août, plus de 3 000 articles couvrent l’affaire, touchant près de 50 millions de lecteurs. Sur le plan médiatique et boursier, le succès est indéniable. Cette publicité est devenue un symbole assumé de la riposte anti-woke.
Ce qui fonctionnait hier ne fonctionne plus aujourd’hui…
Force est de constater que la marque n’a pas cédé aux pressions, y compris face au déchaînement hostile sur les réseaux sociaux.
Les campagnes de dénigrement, dont les wokes ont fait leur spécialité, n’ont eu aucun effet.
Et ça, c’est nouveau. Jusque-là, le wokisme, avec pour bras armé la cancel culture, imposait son ordre moral par la peur et la contrainte.
Le fait que la Bourse ait salué cet événement marque aussi une rupture : jusque-là, le politiquement correct était perçu comme un gage de sécurité. Désormais, les investisseurs misent sur le rejet du wokisme comme sur une nouvelle opportunité, pariant sur un véritable tournant culturel susceptible de redessiner le rapport des marques à leur public.
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Quand Madame et Monsieur Tout-le-Monde remplacent les mannequins professionnels…
Autrefois, les publicités avaient une mission claire : séduire, déclencher l’acte d’achat, faire briller une marque et accroître sa notoriété. Elles faisaient rêver, fascinaient, donnaient envie. On y trouvait du charme, de la beauté, de la grâce, parfois même de la poésie. Dans le domaine audiovisuel, certaines étaient de véritables références sur le plan artistique.
Depuis l’ère du wokisme, on a l’impression que les publicités cherchent moins à séduire qu’à donner des leçons de morale. Le beau est devenu suspect, la séduction presque coupable. Les mannequins professionnels ont été remplacés par Madame et Monsieur Tout-le-Monde, choisis pour cocher des cases au nom d’une inclusivité et d’une diversité obligatoires, parfois jusqu’au ridicule. Beaucoup d’entre eux, hommes ou femmes, doivent désormais vendre leurs services à l’étranger.
Résultat : des publicités lisses, insipides, interchangeables et profondément ennuyeuses. Pire, elles agacent, irritent, lassent. Plus de rêve, plus de mystère, plus de charme. Le beau est désormais jugé discriminatoire. Les messages idéologiques ont pris le pas sur tout le reste, et les publicitaires se sont engouffrés dans cette approche avec un zèle confondant qui en dit long sur la force du conformisme.
« Plus que du conformisme : c’était de la soumission… »
Pendant des années, toutes les entreprises ont marché au pas. Toutes portaient les politiques DEI, toutes affichaient les mêmes valeurs d’inclusivité et de diversité. Et il fallait le montrer, sous peine de passer pour le vilain mouton noir.
Au-delà de vendre des produits ou des services, les publicités donnaient le sentiment de vouloir surtout dire : « Nous aussi, nous y croyons. Nous aussi, nous soutenons le wokisme. Nous aussi, nous adhérons aux principes d’inclusivité et de diversité. » Chacun y mettait sa dose de créativité… mais toujours dans le cadre strict de cette matrice idéologique, pour marteler le message et, surtout, rassurer le public. Pas n’importe quel public : celui qui pouvait, en quelques jours, ruiner votre image avec ses campagnes de dénigrement, voire de harcèlement.
En réalité, c’était bien plus que du conformisme : c’était de la soumission. Et qui pouvait se permettre d’être le seul à résister ? Le risque était trop grand.
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La chape idéologique se fissure…
Mais aujourd’hui, avec le basculement politique, les digues se fissurent, les brèches s’ouvrent. On assiste à un véritable tournant culturel. La prise de risque n’est plus seulement acceptable : elle devient porteuse d’opportunités. Et le fait que la Bourse suive n’a rien d’anodin. C’est un pari sur l’avenir. Un pari gagnant, pour l’instant.
Le formatage des esprits a été d’autant plus efficace que les publicités sont omniprésentes : télévision, cinéma, smartphones, ordinateurs… Impossible d’y échapper. Certains ont dénoncé un véritable lavage de cerveau. D’autres parlaient d’une agression permanente.
Alors, quand une campagne marketing ose enfin sortir du cadre, l’effet est immédiat. Cette publicité a apporté une bouffée d’air, une fraîcheur longtemps attendue. On assiste presque à une libération : l’édifice idéologique vacille enfin.
Le wokisme a tissé sa toile en un temps record, enfermant tout le monde dans sa bulle idéologique. Beaucoup ont suivi par conviction, d’autres par peur ou par obligation. Quand on « encourage » un employé à mettre ses initiales dans ses emails pour afficher son identité de genre, quelle est sa véritable marge de manœuvre pour refuser ? Quand votre principal client affiche sa charte DEI, quelle liberté réelle avez-vous pour ne pas faire de même — ou, au minimum, pour montrer que vous y adhérez ?
Quant au grand public, il a été submergé par des messages publicitaires frappés du sceau de l’inclusivité et de la diversité.
Une minorité a imposé son idéologie au plus grand nombre. Et le plus frappant, c’est la vitesse du phénomène : le mouvement woke a réellement démarré il y a à peine une décennie.
Du progressisme vers le conservatisme ?
Avec l’élection de Trump, le vent a tourné. Un revirement s’est opéré. Assiste-t-on à la fin d’une dictature idéologique ? À un retour au réalisme, au bon sens ?
Les entreprises sont là pour faire du business, et non pas pour servir de relais à une idéologie qui, de plus, va à l’encontre de leurs propres intérêts. Le mouvement a pris une ampleur considérable : PepsiCo, KPMG, Accenture, Deloitte, Citigroup, Walmart, Ford, Harley-Davidson, Toyota, Salesforce, et même Netflix… Autant d’entreprises, autrefois considérées comme des modèles de vertu woke, qui ont revu leurs politiques DEI.
Le balancier semble être parti dans l’autre sens — et pour longtemps.
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