
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie)
La guerre, pour l’Occident, a toujours été pensée comme un phénomène venant de loin. Des lignes de front clairement délimitées, situées dans les périphéries du monde connu, que l’on observe à distance en s’assurant qu’elles ne franchissent jamais le seuil de nos métropoles. Aujourd’hui pourtant, l’alerte vient d’un lieu inattendu : les départements de recherche les plus prestigieux.
David Betz, professeur au King’s College de Londres, n’est pas un polémiste de circonstance. Dans un article publié dans le Military Strategy Magazine, il met en garde contre un danger que peu de responsables politiques osent nommer : celui d’un conflit civil éclatant au cœur même des grandes démocraties européennes, en particulier en France et au Royaume-Uni.
L’avertissement ne se réduit pas à une hypothèse dramatique destinée à attirer l’attention. Betz se fonde sur des éléments tangibles, croisant l’observation des fragilités économiques, l’évolution des fractures sociales et l’usure des institutions politiques. Alors que les chancelleries se concentrent sur les menaces russes, iraniennes ou chinoises, lui soutient que la source d’instabilité la plus explosive pourrait bien être intérieure.
D’autres chercheurs spécialistes des conflits ont déjà tiré la sonnette d’alarme depuis bien longtemps, comme Roland Lombardi, historien, géopolitologue et directeur de la rédaction du Diplomate média qui annonçait dès 2019, dans un article publié sur Atlantico, et dont le titre révélateur était La guerre de France aura-t-elle lieu ?, le risque de guerre civile sur le sol même de l’Hexagone.
Plus récemment, ce dernier rappelait dans les colonnes du Diplomate pour commenter les émeutes anti-immigrés en Espagne de cet été : « Les émeutes et les affrontements intercommunautaires actuellement en Espagne, comme celles du même type, récemment en Irlande ou encore celles de l’année dernière en Grande Bretagne, en Allemagne ou en Suède, ainsi que les tensions croissantes entre autochtones et étrangers partout en Europe, révèle un grave et profond problème pour l’Europe. Et ce n’est qu’un début, car ces scènes vont se multiplier, s’intensifier et s’aggraver à l’avenir sur le Vieux continent. L’immigration est le grand défi géopolitique et sécuritaire de l’Europe et de la France — et non la Russie, comme on veut nous le faire croire – car il en va de la stabilité, de la cohésion sociale voire de la survie même de certains pays européens. L’exemple de la France est d’ailleurs le plus inquiétant. Le pays est sur un véritable baril de poudre. Car lorsque vous avez des jeunes gens, issus de l’immigration, qui provoquent des émeutes pour un oui ou pour un non, même pour des évènements qui devraient être pourtant purement festifs, quand vous avez des délinquants, toujours issus pour la plupart de l’immigration, qui attaquent des prisons, des commissariats et qui s’en prennent systématiquement à tout ce qui représente l’État français, et qui agressent même – impensable dans aucun autre pays ! – des policiers ou des gendarmes, avec parfois la pire des violences et la volonté de tuer, de manière gratuite et en toute impunité, quasiment tous les jours et à travers tout le pays, et bien dans les études et les analyses des conflits, on appelle tout simplement cela, une situation de pré-guerre civile ! L’histoire récente nous apprend malheureusement que justement les guerres civiles modernes commencent toujours avec ce genre d’évènements, les sociétés multiculturelles étant toujours des sociétés multi-conflictuelles, surtout en période de crise économique… »
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Le lent travail de sape
Depuis des décennies, la prospérité occidentale repose sur un pacte implicite : croissance économique, redistribution suffisante pour limiter les inégalités, stabilité institutionnelle. Ce pacte se fissure. La stagnation économique s’installe, les écarts de revenus se creusent, et une part croissante de la population ne croit plus à la capacité des gouvernements à agir dans l’intérêt général. La confiance dans les élites politiques, médiatiques et économiques s’effondre. Dans ce climat, les tensions ne demandent qu’un prétexte pour s’exprimer de manière violente.
À cette érosion socio-économique s’ajoute une fragmentation culturelle profonde. Les métropoles, diversifiées et globalisées, s’éloignent toujours davantage des zones rurales et périurbaines, plus homogènes et attachées à des valeurs conservatrices. Les questions d’identité, d’immigration et de modèles culturels ne sont plus des sujets de débat mais des lignes de fracture. Dans certains quartiers, l’autorité de l’État se délite, remplacée par des réseaux communautaires ou criminels.
Les « cités féroces »
Betz reprend le concept de « feral cities » — littéralement « villes féroces » — pour décrire ces espaces urbains où l’État perd son monopole sur la violence légitime. Les tensions s’y accumulent jusqu’à un point où une étincelle suffit à déclencher des affrontements incontrôlables. Les émeutes récentes, les attaques contre les infrastructures ou les forces de l’ordre, les actes de sabotage contre les réseaux de transport ou de communication, sont autant de signaux faibles d’un risque systémique. Dans un tel contexte, la ligne qui sépare le désordre ponctuel de la guerre civile se rétrécit dangereusement.
Le facteur infrastructurel
Les sociétés modernes reposent sur des systèmes complexes : réseaux électriques, approvisionnement en eau et en nourriture, transport, internet. Ils sont performants, mais aussi vulnérables. Quelques points de rupture suffisent à provoquer des effets en cascade. Un blackout prolongé, un blocage logistique, une panne massive des communications peuvent paralyser un pays, isoler des villes et mettre à nu l’incapacité des autorités à protéger les citoyens. Dans un scénario de tensions internes, ces vulnérabilités deviennent des cibles naturelles pour des groupes hostiles ou simplement désespérés.
Une géopolitique tournée vers l’intérieur
L’Europe a longtemps défini sa sécurité à travers des menaces extérieures, mobilisant ses forces armées pour protéger des frontières lointaines. Mais que faire lorsque la menace surgit à l’intérieur ? Les doctrines de défense nationale sont construites pour contrer des armées adverses, pas pour gérer une insurrection urbaine diffuse, éclatée en multiples foyers sans commandement centralisé. Une guerre civile moderne ne ressemblerait pas aux conflits du passé : elle serait faite de micro-fronts, de violences sporadiques, de campagnes de désinformation et de sabotage.
La question prend aussi une dimension géopolitique. Un pays en proie à des troubles internes voit sa capacité d’action extérieure réduite à néant. Ses engagements internationaux sont remis en cause, ses alliances fragilisées, son influence diplomatique affaiblie. Pour des puissances rivales, l’affaiblissement interne d’une nation occidentale représente une opportunité stratégique : moins de résistance sur les dossiers internationaux, moins de poids dans les négociations économiques et militaires.
Les calculs du risque
Selon Betz, la probabilité qu’un pays européen majeur connaisse un conflit civil d’ampleur significative dans les cinq prochaines années est loin d’être marginale. Ses estimations, basées sur l’analyse des tendances sociales et politiques, suggèrent qu’il y a près d’une chance sur cinq que ce scénario se réalise dans un pays comme la France ou le Royaume-Uni, et une forte probabilité qu’au moins l’un des États occidentaux soit confronté à une telle crise dans un avenir proche. Ces chiffres ne sont pas des certitudes, mais ils donnent la mesure du danger.
L’impensable devient pensable
Le plus inquiétant, souligne Betz, est la normalisation progressive de la violence politique et sociale. Ce qui était autrefois perçu comme exceptionnel devient presque banal : affrontements avec la police lors de manifestations, dégradations massives, violences intercommunautaires. La frontière psychologique qui séparait la contestation de l’affrontement armé se déplace. Dans un tel climat, la capacité d’un État à maintenir l’ordre dépend autant de ses moyens coercitifs que de la légitimité perçue par la population.
Un défi pour la démocratie
La perspective de guerres civiles dans des pays démocratiques n’est pas seulement un problème de sécurité. C’est un test pour la résilience des systèmes politiques eux-mêmes. Une démocratie fondée sur le compromis et la représentation peut-elle survivre si une partie importante de ses citoyens cesse d’y croire ? Comment concilier liberté et sécurité sans basculer dans l’autoritarisme ? La réponse à ces questions déterminera si l’Occident peut éviter le scénario noir décrit par Betz.
En filigrane, ce débat oblige à repenser la stratégie globale. Si l’ennemi est intérieur, les priorités changent : moins d’interventions extérieures, plus de cohésion sociale ; moins d’investissements dans les armements lourds, plus de protection des infrastructures vitales et des institutions démocratiques. La vraie guerre, aujourd’hui, pourrait ne pas se jouer sur les frontières mais dans les rues de nos propres villes…
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