DÉCRYPTAGE – Ukraine : Missiles anglo-français, négociations gelées et le risque d’une guerre qui s’auto-entretient

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Missile SCALP-EG
Missile SCALP-EG

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie) 

Une attaque plus politique que militaire

L’attaque menée contre une usine chimique dans la région russe de Briansk avec des missiles Storm Shadow/SCALP marque un tournant significatif dans le conflit. Pour la première fois, ces armes fournies par le Royaume-Uni et la France – et peut-être aussi par l’Italie – ont été utilisées ouvertement contre une cible située sur le territoire russe. 

L’opération a été conduite par une action combinée de drones et de missiles de croisière, utilisant des Mirage 2000 livrés à Kiev et déjà configurés pour ce type d’armement. Officiellement, il s’agit d’une opération ukrainienne. En réalité, la chaîne logistique, technique et stratégique qui la rend possible est anglo-française. La portée politique de cette frappe dépasse largement l’objectif militaire immédiat : elle vise à créer une escalade maîtrisée, mais suffisante pour fermer toute ouverture diplomatique entre Moscou et Washington.

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L’ombre persistante d’une diplomatie bloquée

Ce raid intervient à la veille d’une éventuelle rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine à Budapest, qui aurait pu ouvrir un espace de négociation pour un cessez-le-feu. La dynamique rappelle celle de novembre 2024, lorsque l’autorisation américaine de frapper la région de Briansk avait provoqué une riposte russe et gelé tout dialogue. Aujourd’hui encore, la temporalité de l’attaque n’est pas un hasard : l’objectif n’est pas d’obtenir un avantage tactique immédiat, mais de maintenir le conflit dans un état de tension contrôlée, empêchant toute avancée vers la paix.

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Les conditions russes et l’inflexibilité ukrainienne

Moscou a réitéré par des canaux diplomatiques confidentiels ses conditions pour une paix durable : reconnaissance de la Crimée et de quatre régions annexées, neutralité de l’Ukraine et absence de forces militaires de l’OTAN sur son territoire. Zelensky, soutenu par Bruxelles et Londres, a rejeté ces exigences en misant sur un cessez-le-feu immédiat qui gèlerait les lignes actuelles. Mais avec l’armée russe en progression à Pokrovsk et Koupiansk, et une Ukraine affaiblie par la paralysie énergétique et ferroviaire, une trêve profiterait à Kiev en lui offrant le temps de se réarmer et de se réorganiser. Moscou n’a aucune intention de répéter l’erreur de Minsk, lorsqu’elle a cru aux garanties européennes et s’est retrouvée piégée.

L’Europe entre faucons et peurs intérieures

La France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, les États baltes et scandinaves soutiennent l’Ukraine non seulement pour des raisons stratégiques, mais aussi pour préserver une narration politique intérieure : la menace russe comme ciment de l’unité européenne et garantie de survie des élites au pouvoir. Pourtant, ce sont précisément ces pays qui auraient le plus à perdre d’une guerre prolongée, notamment sur les plans énergétique et financier. Ce soutien sert des logiques de pouvoir et des intérêts lobbyistes, non la sécurité réelle des populations européennes.

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Le nœud économique et le piège des avoirs russes

À cette tension militaire s’ajoute une bombe financière : l’utilisation des avoirs russes gelés pour financer l’Ukraine. Le Fonds monétaire international lui-même a mis en garde l’Europe contre les risques juridiques et systémiques d’une telle décision, qui pourrait éroder la confiance des investisseurs et transformer l’UE en zone économiquement instable. Cette stratégie n’est pas seulement risquée sur le plan budgétaire : elle mine la crédibilité internationale de tout le système européen.

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Trump, Moscou et un jeu à plusieurs niveaux

Donald Trump a tenté une médiation, mais il se trouve pris entre deux logiques contradictoires : d’un côté, son intérêt stratégique pour un rapprochement avec Moscou ; de l’autre, la pression européenne et américaine interne qui l’empêche d’apparaître trop conciliant avec le Kremlin. Le report de la rencontre avec Poutine, les déclarations contradictoires sur les Storm Shadow et les nouvelles sanctions contre Rosneft et Lukoil montrent la fragilité de cet équilibre. Washington n’assume pas directement la conduite des opérations européennes mais laisse l’escalade se développer, tout en gardant ses distances politiques.

Une guerre gelée à durée indéterminée

Le conflit semble désormais s’orienter vers une guerre de basse intensité, prolongée et instrumentalisée. Les livraisons d’armes occidentales, la narration politique interne européenne et une Ukraine structurellement dépendante contribuent à figer la situation. L’objectif implicite n’est ni une victoire décisive ni une paix négociée, mais le maintien du conflit comme levier géopolitique. La frappe de Briansk symbolise cette stratégie : frapper non pour vaincre, mais pour empêcher toute négociation.

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La guerre en Ukraine est entrée dans une phase où la logique politique prime sur la logique militaire et diplomatique. L’Europe, divisée et fragilisée, risque de payer le prix le plus élevé d’un conflit qu’elle ne maîtrise pas mais qu’elle contribue à prolonger. Si les gouvernements européens ne rompent pas ce cycle, la guerre pourrait se transformer en un conflit permanent, sans solution politique réelle. Ceux qui ne partagent pas cette stratégie ont de moins en moins de temps pour s’en désolidariser.

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