EXCLUSIF – Le Grand Entretien du Diplomate avec Faraj Alexandre Rifai : « Un Syrien en Israël » à l’épreuve de l’actualité 

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Portrait de Faraj Alexandre Rifai, écrivain et essayiste franco-syrien, à côté de la couverture de son livre Un Syrien en Israël – À la rencontre de l’ennemi désigné, publié aux Éditions Caradine. L’ouvrage retrace son parcours intellectuel entre Damas et Tel-Aviv et son appel à dépasser la haine pour construire la coexistence entre Arabes et Israéliens.
Réalisation Le Lab Le Diplo

Le 9 octobre 2025, Israël et le Hamas ont approuvé la phase 1 d’un accord de cessez-le-feu et d’échange d’otages, conçu et piloté par le président Donald Trump. Le dispositif prévoit l’arrêt des combats, un calendrier d’échanges (otages/prisonniers), une réarticulation des positions israéliennes à Gaza et la mise en place d’un centre de commandement multinational associant les États-Unis, l’Égypte, le Qatar et la Turquie. L’entrée en vigueur a été annoncée ce 10 octobre (heure de Paris). 

Dans ce contexte, nous interrogeons en exclusivité Faraj Alexandre Rifai à l’occasion de la parution de dernier son livre Un Syrien en Israël : à la rencontre de l’ennemi désigné, récit d’un itinéraire intellectuel où l’auteur, né en Syrie et devenu franco-syrien, revisite l’« ennemi » israélien et plaide pour une déconstruction des récits de haine. 

Faraj Alexandre Rifai est écrivain et essayiste franco-syrien, diplômé de l’ESSEC, fondateur du webmagazine Moyen-Orient.fr et de l’initiative Ashteret dédiée au dialogue interculturel et à la coexistence. Il publie tribunes et analyses sur son site et dans la presse internationale. Il est reconnu comme l’un des meilleurs spécialistes francophones de la question syrienne et des dynamiques de coexistence liées à Israël.

Son blog : https://1001histoires.fr/

Propos recueillis par Angélique Bouchard 

Le Diplomate : Tout d’abord, pouvez-vous retracer les étapes clés de votre parcours personnel — enfance et socialisation syrienne, arrivée en France, formation à l’ESSEC, terrains et rencontres en Israël, création d’initiatives de dialogue — qui vous ont conduit à ce livre ? Quels ont été vos moments de bascule, vos influences intellectuelles et les risques (sociaux, professionnels) que vous avez assumés ?

Je suis né en Syrie, dans un pays où la haine d’Israël faisait partie du paysage, au point d’en devenir une langue maternelle. C’était un réflexe collectif, une évidence transmise comme on transmet une prière ou une peur. Un endoctrinement, répété dès l’enfance, jusqu’à se confondre avec l’identité. 

Nous sommes nés dans la certitude d’appartenir au camp du bien, convaincus d’avoir la morale de notre côté. Et pourtant, sans le savoir, nous soutenions parfois ce qu’il y a de pire. Cette contradiction m’a longtemps hanté : comment peut-on défendre la justice tout en fermant les yeux sur l’injustice et la haine commises en notre nom ? C’est ce paradoxe-là qui m’a éveillé, puis révolté.

Mon départ pour la France a été une rupture intime autant qu’intellectuelle, mais surtout un moment de libération : apprendre à penser, à douter, à me détacher du carcan idéologique dans lequel on m’avait enfermé. Le doute existait déjà en moi, mais en Syrie, douter, c’était trahir. En France, douter, c’était permis. Etv Rien que ça, c’est une grande liberté.

À l’ESSEC, j’ai trouvé l’espace et le temps pour lire, rencontrer, apprendre, me confronter à mes propres certitudes, parfois même à mes préjugés antisémites. J’ai découvert des pages d’histoire que j’ignorais totalement, à une époque où, dans mon pays, ni Internet ni presse libre n’existaient. J’ai appris à regarder l’histoire autrement, à l’analyser par moi-même, sans être guidé par aucune propagande. Et j’ai compris que la haine inculquée n’était qu’un instrument de domination, un moyen de nous aveugler.

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Sur ce chemin, il y a eu plusieurs moments de bascule. Je veux en citer deux majeurs parmi tant d’autres : le jour où j’ai compris que la haine d’Israël n’était pas un détail de notre éducation, mais son ciment moral ; et le jour où j’ai posé le pied en Israël et découvert des visages, des voix, des vies — pas des ennemis.

De ces expériences sont nés trois prolongements naturels :

– Un Syrien en Israël, le livre où j’ai voulu raconter ce long voyage intérieur, du rejet à la rencontre ;

– Ashteret, l’initiative que j’ai fondée pour offrir un espace de coexistence et de lucidité ;

– et le relancement Moyen-Orient.fr, un lieu d’analyse libre pour dépasser les slogans et penser autrement le monde arabe et Israël.

Quant aux risques, ils ont été nombreux — sociaux, professionnels, amicaux, parfois familiaux — mais ils sont le prix de ma liberté.

Et cette liberté, je la cherche depuis l’enfance. C’est elle qui m’a conduit là où je suis, c’est elle qui m’a façonné. Alors comment reculer aujourd’hui, alors que c’est elle qui m’a donné un visage et une voix ?

Sans cette liberté, je n’existerais pas — et aucune vérité ne pourrait être dite, même quand elle dérange.

Je préfère payer ce prix-là, plutôt que celui du silence.

Pourquoi ce livre, maintenant ? Quel a été le déclencheur précis d’Un Syrien en Israël : un événement, une rencontre, une lecture ? Quel public visez-vous — Syriens, Israéliens, lecteurs francophones — et quelle hypothèse vouliez-vous tester : peut-on désamorcer un récit d’hostilité par l’expérience directe de l’autre ?

Ce livre est né d’un double besoin : comprendre et témoigner. Comprendre d’où vient cette haine d’Israël qui a façonné mon enfance en Syrie, et témoigner du long chemin qu’il m’a fallu parcourir pour la déconstruire, la dépasser et aller enfin à la rencontre de ceux qu’on m’avait appris à détester.

Longtemps, j’ai refusé l’idée même de me rendre sur cette terre que l’on me présentait comme « occupée ». Mais un jour, je me suis dit : « Tu as revisité toute la haine des Juifs qu’on t’a inculquée ; il te reste à aller voir par toi-même, à confronter tes peurs et tes préjugés. » C’est ce moment-là qui a tout déclenché.

Je m’adresse d’abord aux lecteurs arabes et musulmans, pour les inviter à examiner en conscience cette culture de haine, seule condition pour espérer une coexistence véritable entre Arabes et Israéliens.

Je m’adresse aussi aux lecteurs occidentaux, pour leur rappeler que soutenir la cause palestinienne ne peut pas signifier soutenir ceux qui propagent la haine. En reprenant sans distance la rhétorique des régimes autoritaires et des islamistes, l’extrême gauche, entretient l’hostilité qu’ils prétendent combattre. Elle n’aide pas les personnes de culture arabo-musulmane à sortir de l’antisémitisme mais elle les réconforte dans leurs préjugés et clichés antisémites. 

Enfin, je m’adresse aux Israéliens, pour leur dire qu’ils sous-estiment parfois l’ampleur et la profondeur de cette haine. Avant le 7 octobre, lors des manifestations à Tel-Aviv, j’en voyais certains brandir des drapeaux palestiniens au nom de l’humanisme. Je leur disais : « Attention, certains de ceux dont vous portez les symboles veulent votre disparition. » Parler de la haine n’est pas l’attiser : c’est chercher à la désarmer.

Le 7 octobre 2023 a rendu ce récit incontournable : ce jour-là, la barbarie s’est montrée sans masque, et beaucoup ont préféré détourner le regard.

Je m’adresse donc à trois publics :

– aux Syriens et aux Arabes, pour leur dire qu’Israël n’est pas le monstre qu’on leur a décrit ;

– aux Israéliens, pour leur montrer qu’un Syrien peut venir sans haine, à votre rencontre ;

– et aux lecteurs francophones, pour leur rappeler que la paix commence par une courage et la connaissance : il faut qu’ils aident ceux qu’ils prétendent soutenir, et non pas les assiéger dans la haine.

L’hypothèse du livre est simple : on ne guérit pas de la haine en la niant, mais en la dépassant. 

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Votre ouvrage raconte comment un Syrien élevé dans la haine d’Israël finit par « rencontrer l’ennemi désigné ». En quoi cette démarche personnelle éclaire-t-elle sur l’actualité et la guerre au Moyen-Orient depuis le 7 octobre 2023 entre Israël et ses ennemis ? Comment analysez-vous la méthode transactionnelle retenue par Trump pour la paix et notamment la trêve du 9–10 octobre 2025 (séquençage, garanties tierces, contrôle conjoint) ? Quels risques voyez-vous entre rhétorique de paix et incitations réelles sur le terrain ? 

Ma démarche est avant tout une parabole politique : tant qu’on ne regarde pas l’autre en face, on reste prisonnier de ses mythes. Tant qu’on ne reconnaît pas l’autre — son histoire, sa souffrance, sa légitimité —, on ne peut pas vivre avec lui. C’est le cœur du problème au Proche-Orient : Israël n’est pas reconnu dans sa légitimité historique, comme peuple ayant droit, lui aussi, à l’autodétermination.

Le conflit israélo-palestinien n’est pas seulement territorial, il est psychologique et moral. Le 7 octobre 2023 l’a révélé brutalement : c’est le triomphe d’une idéologie qui nie l’humanité de l’autre. Ma démarche personnelle — aller rencontrer ceux qu’on m’avait appris à haïr — est une réponse directe à cette négation. Elle dit qu’on ne désarme pas la haine par les slogans, mais par la confrontation avec la réalité.

Quant à la méthode de Donald Trump, elle rompt avec le fétichisme diplomatique. Elle repose sur un principe simple : “donner contre donner”. Ce n’est pas une utopie de paix, c’est une ingénierie de contrainte : séquençage précis, garanties tierces, contrôle conjoint. Chaque partie a quelque chose à perdre si elle trahit — et c’est ce qui rend le mécanisme efficace.

Trump a commencé par nommer les responsables : le Hamas bien sûr, mais aussi l’Autorité palestinienne, corrompue et complice du terrorisme, là où d’autres — Macron en tête — ont voulu en faire un pivot central de la paix. Erreur stratégique majeure : on ne bâtit pas avec une autorité négationniste et qui soutient les familles des terroristes. On exige avant de reconnaitre. Trump a placé la libération des otages et le désarmement du Hamas comme préalable à toute discussion, là où les Européens ont commencé par la fin : reconnaître un État palestinien comme une récompense au terrorisme. Pourquoi les terroristes rendraient-ils les otages, s’ils obtiennent déjà la reconnaissance internationale ? À leurs yeux, cela confirme que la violence paie.

Le plan Trump est venu au bon moment : menacer pour libérer, avant de négocier. C’est du deal-making appliqué au conflit — verrouiller le court terme pour ouvrir le moyen terme. Sa force : la clarté et la vérification conjointe. Son risque : la confusion entre trêve et paix. Tant que la culture politique du Hamas et de ses parrains — Qatar, Turquie, Iran — ne changera pas, tout accord restera suspendu à un fil.

Un autre danger serait de confier la reconstruction de Gaza à ceux qui ont financé la haine. Le Qatar ou la Turquie peuvent être impliqués, mais sous une stricte supervision internationale, associant Israël et les États arabes responsables. Sinon, on ne reconstruira pas Gaza — on reconstruira la guerre à nouveau. 

Le Qatar et la Turquie sont au cœur du mécanisme de suivi de l’accord (cellule conjointe, facilitation des échanges). Voyez-vous ces acteurs évoluer vers des co-garanties (observateurs, contributions de sécurité limitées, reconstruction) ? Quelles lignes rouges pour Doha et Ankara, qui sont les derniers soutiens du Hamas, vis-à-vis d’Israël, et quels effets de levier concrets sur les parties ?

Le problème, c’est que le Qatar et la Turquie ne sont pas des acteurs neutres : ils ont été parties-prenantes du problème. Depuis des années, ils offrent au Hamas un triple soutien — financier, politique et idéologique. Doha a servi de refuge et de caisse noire ; Ankara, de plateforme diplomatique et de légitimation morale. Croire qu’ils peuvent aujourd’hui se transformer en arbitres équitables relève d’un pari risqué.

Leur présence dans le dispositif actuel a certes une utilité technique — accès logistique, influence sur le terrain, canaux avec Gaza —, mais une lourde charge symbolique : elle légitime ceux qui ont nourri la haine qu’ils prétendent désormais canaliser.

S’ils veulent devenir de véritables co-garants de la paix, il leur faudra rompre avec leurs rhétoriques anciennes : reconnaître Israël dans sa légitimité historique et non seulement étatique, condamner explicitement le terrorisme, et assumer leur part de responsabilité dans la guerre qu’ils ont indirectement alimentée. Autrement dit, rejeter l’islamisme et cesser de le financer. Ce sera le véritable test de sincérité.

En réalité, Doha et Ankara n’accepteront de jouer ce rôle que s’ils y trouvent un bénéfice d’image et d’influence régionale, dans un Moyen-Orient en recomposition, notamment si le régime iranien venait à s’affaiblir. Leurs lignes rouges sont claires : ne pas être perçus comme complices d’un démantèlement du Hamas. Tant qu’ils tiendront à préserver ce lien, ils ne pourront pas être des partenaires de paix crédibles.

Leurs seuls leviers réels sont l’argent et le narratif. D’où l’importance pour Washington et Jérusalem de conditionner toute coopération à des actes vérifiables : fermeture des circuits financiers, contrôle strict des flux d’aide et neutralisation des relais idéologiques. Sans cela, on risque de confier la gestion de la paix à ceux qui ont financé la guerre.

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À la lumière de la guerre Iran–Israël de juin (frappes, dégâts sur sites stratégiques, cessez-le-feu imposé), où en est l’appareil de puissance iranien et sa capacité de nuisance régionale ? Quel impact anticipez-vous en Syrie (réseaux iraniens, pouvoir islamiste, HTS/SDF, économie sous sanctions) si la trêve à Gaza se consolide ?

La guerre Iran–Israël de juin a affaibli certaines capacités stratégiques iraniennes, notamment par les frappes ciblées sur des sites sensibles, mais elle n’a pas changé la nature du régime. L’Iran reste fidèle à sa méthode : projection de puissance par milices interposées, contournement des sanctions et maintien d’une guerre sous le seuil. Même la menace nucléaire continue de planer en arrière-plan.

Le régime des mollahs cherche toujours à déstabiliser la région via ses proxies, notamment ce qu’il reste du Hezbollah au Liban et le Yémen. En Syrie, l’affaiblissement iranien est déjà perceptible depuis avant la chute du dictateur en 2024, mais les réseaux iraniens dans la région continueront à agir pour saboter toute forme de normalisation. Si un accord sécuritaire venait à voir le jour entre la Syrie et Israël, Téhéran tenterait de le torpiller en jouant sur les accusations de trahison et la rhétorique anti-israélienne dans la rue arabe. 

Si la trêve à Gaza se consolide, l’Iran déplacera la pression : frappes de harcèlement, activations ponctuelles en Syrie et en Irak, pour garder la main sans franchir le seuil d’une guerre ouverte. C’est la logique du régime : survivre par le chaos. En outre,  en l’absence d’une stratégie de vérification et de sanctions automatiques, des milices et réseaux informels profiteront d’une trêve pour reconstituer des capacités : économie de contrebande, trafics, recrutements. Sans mécanismes contraignants, la trêve restera une parenthèse fragile. 

Mais une trêve durable ouvrirait aussi une perspective de paix. Ce serait le temps de la reconstruction de Gaza, du désarmement du Hamas et, surtout, du combat contre la culture de haine qui a nourri le conflit depuis des décennies. C’est aussi l’esprit du plan Trump. Reste à savoir si la communauté internationale osera aller jusque-là.

La trêve à Gaza offre-t-elle une fenêtre pour geler l’escalade au Liban ou, au contraire, un moment de pression accrue sur le Hezbollah (dissuasion israélienne, sécurité frontalière, 1701) ? Quels garde-fous minimisent le risque de dérapage alors que Beyrouth évoque des cellules pro-israéliennes déjouées ?

Tout dépendra du signal envoyé.

Si la trêve à Gaza est perçue comme un recul d’Israël, le Hezbollah testera immédiatement les limites — il a d’ailleurs déjà commencé, et Israël a aussitôt riposté.

Mais si elle est comprise comme une victoire contre le Hamas et l’islamisme, et comme le début d’une nouvelle ère de reconstruction, alors il faudra maintenir la pression sur le Hezbollah et sur le gouvernement libanais. Car le Liban reste, hélas, un champ de bataille par procuration, où l’Iran joue sa survie régionale. La fin de la guerre à Gaza, si elle se confirme, ne signifiera pas la fin des attaques du Hezbollah, malgré son affaiblissement.

Les garde-fous existent, notamment la résolution 1701 des Nations unies, qui confie à la FINUL la mission de maintenir le Hezbollah à distance de la frontière. Mais cette force a été passive pendant des années : le Hezbollah a pu constituer des stocks d’armes et creuser des tunnels à quelques centaines de mètres de ses positions sans réaction sérieuse. Si la 1701 avait été appliquée avec rigueur, peut-être aurait-on évité la guerre et ses destructions.

Aujourd’hui, la pression internationale doit être maximale — non seulement pour protéger la frontière nord d’Israël, mais aussi pour protéger les Libanais eux-mêmes d’un mouvement qui a pris leur pays en otage. Sans mécanisme de sanction immédiat en cas de violation, tout cela restera théorique. Le Hezbollah vit de la tension : il a besoin d’un conflit latent pour justifier son existence.

Il est stupéfiant d’entendre la diplomatie française et occidentale, comme une certaine extrême gauche, condamner systématiquement les ripostes israéliennes contre le Hezbollah, tout en gardant le silence sur les attaques du mouvement chiite. Cette passivité complice a contribué à aggraver la situation entre Israël et le Liban.

Il faut enfin aider le gouvernement libanais à retrouver sa souveraineté et à désarmer le Hezbollah : seule l’armée nationale doit être responsable de la sécurité du pays, pas des milices pro-iraniennes qui ont déjà conduit le Liban à la ruine — comme elles ont détruit la Syrie.

Face à cela, Israël devra conjuguer fermeté militaire et patience stratégique : empêcher l’escalade, sans jamais laisser croire qu’il recule.

Narratifs arabes, responsabilité européenne : ce que votre trajectoire personnelle dit aux décideurs. Vous critiquez souvent l’industrie des récits qui essentialise le conflit. Quel message adressez-vous aux capitales européennes — Paris en particulier — pour passer d’une politique de discours à une politique d’effets (conditionnalités d’aide, sécurité régionale, normalisations pas-à-pas) ?

D’abord, l’Europe doit cesser de financer la haine qu’elle prétend combattre. Depuis des années, elle subventionne des ONG, des programmes éducatifs et médiatiques qui perpétuent non seulement une vision victimaire et manichéenne du conflit, mais aussi une véritable culture du rejet, de la violence et du meurtre.

Comment voulez-vous que des Gazaouis acceptent l’idée de coexister avec les Israéliens si leurs manuels scolaires leur enseignent à haïr et à tuer les Juifs ?

Comment pousser les pays arabes à reconnaître Israël si tout leur système éducatif repose sur l’idée que « l’entité sioniste » serait un corps étranger à la nation arabe ?

On ne bâtit pas la paix avec ceux qui enseignent que les Juifs sont des envahisseurs par essence.

L’Europe finance aussi, sur son propre sol, des ONG et médias qui diffusent une vision déformée du conflit, alimentant l’ignorance et la haine parmi des jeunes Européens qui ne connaissent rien au Moyen-Orient. Au lieu de favoriser la confrontation des récits, elle en a essentialisé un seul — celui de la victimisation palestinienne — au détriment de toute complexité. Et aujourd’hui, on entend dans les rues de Paris les mêmes slogans que j’entendais dans les rues de Damas dans les années 1980.

Songez que la chaîne AJ+ diffuse, en Europe et en France, des programmes destinés aux jeunes, remplis de mensonges et de préjugés antisémites. C’est intolérable dans un pays qui interdit certaines chaînes au nom de la lutte contre l’extrême droite.

Ne savent-ils pas que les idées promues par cette chaîne qatarie relèvent justement de la pire extrême droite islamiste ? Pourquoi celle-là a-t-elle libre cours pour empoisonner notre jeunesse ?

L’Europe, et la France en particulier, doivent mener le combat contre l’antisémitisme non seulement par des lois, mais par la conditionnalité de leur aide et collaboration avec les Pays arabes aussi : aucun financement ne doit aller à ceux qui prêchent la haine. Il faut aussi soutenir les initiatives de coexistence — éducatives, culturelles, civiques — plutôt que les réseaux de propagande islamiste.

Et surtout, il faut sortir du double langage : on ne peut pas, le même jour, condamner l’antisémitisme à Paris et récompenser ceux qui le justifient à Gaza.

Pourquoi la France a-t-elle méprisé les Accords d’Abraham, au lieu de les promouvoir ? Parce qu’ils portaient la signature de Trump ? C’est une faute morale et stratégique.

Soutenir la paix, ce n’est pas s’aligner sur un camp, c’est investir dans l’éducation, la laïcité et la responsabilité civique. C’est là que se joue la vraie bataille des idées.

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La cellule multinationale autour de Gaza est présentée comme un pont vers de nouvelles normalisations voire une reprise des accords d’Abraham pour certains. Selon vous, quels États sont réellement prenables à court/moyen terme, et à quelles conditions (sécurité, retombées économiques, garanties américaines) ? Quel rôle pour Riyad et pour les pays « pivots » ?

Il y a quelques mois, certains affirmaient que la Syrie rejoindrait les Accords d’Abraham sous la pression de Trump. Je n’y ai pas cru, et je n’y crois toujours pas à court terme. Il pourrait y avoir des accords sécuritaires entre la Syrie et Israël — et ce serait déjà un progrès —, mais la société syrienne, comme une grande partie de la rue arabe, n’est pas encore prête à une paix du type de celle signée par les Émirats et Bahreïn.

Tous les États arabes ne reviendront pas dans le jeu d’un coup, mais la dynamique existe : les Émirats et Bahreïn ont tenu bon, le Maroc avance, Oman observe, et l’Arabie saoudite temporise, en conditionnant toujours toute normalisation à la création d’un État palestinien.

La situation à Gaza pourrait pourtant devenir un accélérateur. Si le plan Trump est appliqué dans son intégralité — désarmement du Hamas, reconstruction encadrée, garanties internationales —, cela pourrait offrir un modèle concret de coexistence. Les Émirats et Bahreïn, déjà signataires des Accords d’Abraham, joueraient alors un rôle central et moteur, montrant que la paix avec Israël peut être synonyme de stabilité, de développement et de prospérité.

C’est ce qui pourrait convaincre d’autres pays arabes, y compris — et surtout — l’Arabie saoudite, de franchir le pas. Riyad reste la clé du processus : elle veut la paix, mais sans renoncer à son rôle de gardienne du monde sunnite.

Ce qu’il faut, ce n’est pas un « grand soir diplomatique », mais des pas successifs, vérifiables et concrets : coopération énergétique, sécurité maritime, développement technologique, échanges universitaires.

Les normalisations ne se décrètent pas, elles se construisent par intérêts partagés. Et aujourd’hui, l’intérêt commun le plus fort, c’est la stabilité contre l’islamisme.

Enfin, de l’intime au géopolitique : que changerait, concrètement, la paix de Gaza dans la société israélienne et le monde arabe ? Votre livre est un plaidoyer pour la rencontre et la coexistence. Si l’accord se consolide, quels changements sociaux attendez-vous (retours à Gaza, encadrement des milices, éducation, médias arabes), une solution à deux États et quels indicateurs suivrez-vous pour distinguer paix réelle et simple gel du conflit ?

Si la trêve devient une véritable architecture politique, trois changements majeurs sont possibles.

D’abord, un retour à Gaza sous encadrement civil et sécuritaire international, où les habitants cesseraient enfin d’être les otages du Hamas. Ensuite, un travail éducatif et médiatique de fond pour déradicaliser une génération entière. Enfin, une réhabilitation du dialogue arabo-israélien — non pas comme utopie, mais comme nécessité vitale.

Je le dis depuis le premier jour après le 7 octobre : ils ne sont pas prêts. La solution n’est pas, pour l’instant, celle d’un État palestinien, mais d’une période de transition — une ou deux générations — durant laquelle cette architecture nouvelle devra être mise en œuvre avant même que la question d’un État ne soit posée.

Oui, il faut améliorer les conditions de vie des Palestiniens, mais surtout combattre la culture de haine accumulée depuis des décennies. Cela ne se fera pas en quelques semaines, ni en quelques années. Et cela ne nécessite pas, à ce stade, un État palestinien : le plan Trump peut le permettre sans en passer par là.

Pour la société israélienne, ce serait la confirmation qu’on peut être ferme sans renoncer à l’humanisme. On a trop souvent présenté la guerre d’Israël contre le Hamas comme une guerre déshumanisée. C’est faux. Jamais une armée n’a autant averti les civils avant ses frappes, cherchant à limiter les pertes, même face à un ennemi qui se cache derrière eux.

Pour le monde arabe, ce serait un choc salutaire : découvrir qu’Israël n’est pas la cause de tous les maux, mais un partenaire possible, et comprendre enfin les ravages de l’islamisme, y compris pour les Palestiniens eux-mêmes. Ce serait l’ouverture d’un autre chemin : celui de l’espoir au lieu de la haine.

Une paix réelle ne se mesure pas au nombre de signatures, mais à la disparition progressive de la haine dans les esprits.

Mon indicateur pour distinguer une paix véritable d’un simple gel du conflit, c’est celui-ci :

le jour où j’entendrai la rue arabe et les médias arabes reconnaître le droit d’Israël à exister, où des mères arabes cesseront de dire qu’elles enfantent des enfants pour tuer des Juifs ou devenir des martyrs, où l’on ne célébrera plus la mort d’enfants au cri d’« Allah Akbar », alors seulement on pourra parler de paix.

Et je repense souvent à cette phrase de Golda Meir :

« La paix viendra quand les Arabes aimeront leurs enfants plus qu’ils ne nous haïssent. »

Le chemin est long, mais possible — et je le crois profondément.

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