DÉCRYPTAGE – Vers l’élargissement des accords d’Abraham au Moyen-Orient ?

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Poignée de main entre un représentant israélien et saoudien, symbolisant une possible normalisation diplomatique. Drapeaux d’Israël et d’Arabie saoudite en arrière-plan.
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Alexandre Aoun

Capitalisant sur ses succès militaires au Liban, en Syrie, à Gaza et récemment en Iran, l’Etat hébreu entend transformer cette réussite sur le volet politique. Appuyé par l’administration de Donald Trump, Israël souhaite étendre les accords d’Abraham avec son étranger proche, notamment la Syrie et le Liban. Même si Washington agite la levée des sanctions et les opportunités économiques, les peuples restent profondément attachés à la cause palestinienne. Sans compromis sur cette question, Netanyahou n’inscrira pas sa victoire dans la durée. 

« La politique n’est que la simple continuation de la guerre par d’autres moyens », cette déformation de la fameuse phrase du général prussien Carl von Clausewitz pourrait s’appliquer à la stratégie de Benjamin Netanyahou. Après ses victoires militaires au Sud-Liban contre le Hezbollah, en Syrie contre l’influence iranienne et contre Téhéran dans cette guerre express de 12 jours, le Premier ministre de l’Etat hébreu cherche à imposer des accords de paix dans son étranger proche. 

En Syrie, la chute d’Assad, soutenue par une coalition rebelle menée par Hayat Tahrir al-Cham (HTC), a permis à Israël de s’emparer de la zone tampon du Golan et du mont Hermon, renforçant son contrôle stratégique. Cette opération, qualifiée de « temporaire » par le ministre Gideon Saar, s’accompagne de frappes régulières contre des dépôts d’armes, visant à empêcher l’acheminement d’armes vers le Hezbollah. Ces actions ont anéanti 80 % des capacités militaires syriennes, incluant blindés, avions et systèmes de défense, consolidant l’hégémonie israélienne dans la région.

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Une future rencontre entre Netanyahou et Al-Sharaa ?

Sur le plan diplomatique, Israël capitalise sur cette supériorité pour promouvoir une normalisation avec la Syrie et le Liban, dans le cadre d’une extension des Accords d’Abraham, initiés en 2020 sous l’égide de Donald Trump. Le président syrien par intérim, Ahmed al-Sharaa, ancien chef d’HTC, adopte une posture pragmatique face à une économie syrienne exsangue après des années de sanctions et de guerre civile. Lors d’une rencontre avec Trump à Riyad le 14 mai 2025, al-Sharaa a exprimé une volonté de paix avec Israël, conditionnée à la levée des sanctions américaines, un lien explicite posé par Washington. Des négociations directes, amorcées via la médiation de l’Azerbaïdjan, de la Turquie et des Émirats, progressent rapidement, avec des discussions quotidiennes axées sur un pacte de non-agression et la reconnaissance par Damas de la souveraineté israélienne sur le Golan. En contrepartie d’une levée des sanctions, Washington et Tel-Aviv exigent une lutte active contre les groupes palestiniens pro-iraniens notamment le Hamas et le Djihad Islamique. Les autorités syriennes ont d’ailleurs commencé une traque des dirigeants de ces deux mouvements. Les avancées diplomatiques pourraient notamment déboucher sur une future rencontre entre Ahmed al-Sharaa et Benjamin Netanyahou en septembre prochain lors de l’assemblée générale de l’Onu.

Les négociations entre la Syrie et l’Etat hébreu ne datent pas d’hier. Après la guerre du Kippour en 1973, où la Syrie tenta sans succès de reprendre le Golan, Hafez el-Assad accepta l’accord de désengagement de 1974, négocié par Henry Kissinger, établissant une zone tampon démilitarisée sous supervision de l’ONU. Ce texte, qui restituait à la Syrie la ville de Quneitra, marquait une trêve mais non une paix. Dans les années 1990, la conférence de Madrid (1991) et les accords d’Oslo ouvrirent une fenêtre pour des négociations directes. Sous l’égide du président américain Bill Clinton, des pourparlers intenses eurent lieu entre 1993 et 1996, notamment à Wye River et Shepherdstown. Hafez el-Assad exigeait un retrait israélien complet jusqu’à la « ligne du 4 juin 1967 », incluant le contrôle des rives du lac de Tibériade, vital pour l’approvisionnement en eau. Israël, sous Yitzhak Rabin puis Ehud Barak, proposait un retrait partiel, conservant une bande stratégique le long du lac. En 2000, lors du sommet de Genève, Clinton tenta une ultime médiation, mais Barak refusa de céder l’accès direct au lac, provoquant l’échec des discussions. Hafez el-Assad, fidèle à une ligne nationaliste, conditionnait tout accord à la restitution totale du Golan, perçu comme un symbole de la souveraineté syrienne. 

Bachar el-Assad hérita de la même position intransigeante. Des pourparlers indirects, médiatisés par la Turquie entre 2008 et 2010 sous Recep Tayyip Erdogan, ravivèrent les espoirs. Ces discussions, impliquant le Premier ministre israélien Ehud Olmert, portaient sur un retrait israélien progressif du Golan en échange d’un traité de paix et de garanties sécuritaires. Olmert proposa un retour partiel, avec une démilitarisation du Golan et un parc international, mais Bachar, comme son père, insista sur une rétrocession complète jusqu’à la ligne de 1967. La Russie a également essayé de rapprocher les deux pays durant la guerre civile. Aujourd’hui, Israël occupe, militarise et étend ses territoires sur les hauteurs du Golan, mettant de facto sur le fait accompli les nouvelles autorités syriennes. 

Un Hezbollah totalement désarmé ?

Au Liban, la pression américaine, incarnée par l’émissaire Thomas Barrack, vise à démilitariser le Hezbollah sans remettre en cause sa présence politique, dans le cadre d’un retrait israélien progressif du Sud-Liban. « Le président Al-Shaara a indiqué qu’il ne détestait pas Israël et qu’il souhaitait la paix à cette frontière. Je pense que cela se produira également avec le Liban. Un accord avec Israël est nécessaire », a-t-il déclaré. La guerre entre l’Iran et Israël offre une opportunité pour une « nouvelle voie » au Moyen-Orient, a affirmé le diplomate américain pour la Syrie. « Ce qui vient de se passer entre Israël et l’Iran est l’occasion pour nous tous de dire: «Pause ! Créons une nouvelle voie » et la Turquie est un élément clé de cette nouvelle voie», a-t-il insisté. 

Le Hezbollah, affaibli par la perte de 80 % de son arsenal et la mort de ses cadres militaires et politiques, adopte une posture de retenue, évitant l’escalade malgré les centaines de violations israéliennes (survols de drones, frappes) depuis le cessez-le-feu de novembre 2024. Pour flatter la base du mouvement, la direction du parti laisse sous-entendre que l’organisation chiite a le doigt sur la gâchette, mais la réalité est tout autre. Le Hezbollah donne des gages de bonne volonté au gouvernement de Joseph Aoun, acceptant une démilitarisation jusqu’au sud du fleuve Litani. Or, Beyrouth exige le retrait des forces israéliennes de l’ensemble du territoire libanais. L’armée de l’Etat hébreu est encore présente à des points stratégiques dans les zones limitrophes. Ces négociations, soutenues par une diplomatie active, laissent entrevoir une possible intégration du Liban dans les Accords d’Abraham, bien que le vice-premier ministre Tarek Mitri insiste sur un retour à l’armistice de 1949 et une solution palestinienne.

Les relations entre le Liban et Israël sont tendues depuis la création de l’État hébreu en 1948, exacerbées par l’afflux de réfugiés palestiniens au Liban et les tensions frontalières. L’accord d’armistice de 1949, signé après la première guerre israélo-arabe, établit une ligne de démarcation mais pas une paix durable. La guerre civile libanaise, déclenchée en 1975, complique toute perspective de négociation. L’Organisation de libération de la Palestine (OLP), basée au Liban-Sud, lance des attaques contre Israël, provoquant des représailles israéliennes, culminant avec l’invasion de 1982 (« Opération Paix en Galilée ») et l’envoi de plus de 100 000 soldats sur le territoire libanais. Cette offensive, visant à éliminer l’OLP, entraîne l’occupation du Sud-Liban par Israël et l’expulsion de l’OLP vers Tunis. La guerre civile, impliquant milices chrétiennes, musulmanes, palestiniennes et l’intervention syrienne, fragilise l’État libanais, rendant impossible toute négociation structurée. Les milices chrétiennes phalangistes, alliées ponctuelles d’Israël, et le massacre de Sabra et Chatila (1982), perpétré par des phalangistes sous le regard passif d’Israël, aggravent la méfiance libanaise.

Dans le sillage de l’invasion de 1982, une tentative de paix émerge sous l’égide des États-Unis. Le 17 mai 1983, un accord est signé entre le Liban, dirigé par le président Amine Gemayel, et Israël, négocié par le secrétaire d’État américain George Shultz. Ce texte prévoyait le retrait israélien du Liban, la fin de l’état de guerre et des mesures de sécurité, notamment la création d’une zone démilitarisée au Sud. Cependant, l’accord, perçu comme imposé par Israël et les États-Unis, est rejeté par la Syrie et de nombreuses factions libanaises. La pression syrienne, exercée via ses alliés au Liban, conduit à l’abrogation de l’accord en mars 1984 par le Parlement libanais. Cet échec illustre l’incapacité du Liban, affaibli par la guerre civile, à s’engager dans une paix sans consensus interne ni aval syrien.

Une future gronde populaire ?

La fin de la guerre civile, scellée par les Accords de Taëf en 1989, recentre le Liban sur la reconstruction, mais la question d’Israël reste secondaire face à l’hégémonie syrienne (présence militaire jusqu’en 2005). Le retrait israélien du Liban-Sud en 2000, sous la pression du Hezbollah, marque un tournant, mais sans négociations directes. Le Hezbollah, armé et soutenu par l’Iran et la Syrie, devient un acteur central, revendiquant la « résistance » contre Israël, notamment pour libérer les fermes de Chebaa, disputées. Des pourparlers indirects, comme ceux sur la délimitation maritime en 2020-2022, aboutissent à un accord gazier sous médiation américaine, mais uniquement sur des enjeux économiques. Ces discussions, menées via l’ONU, évitent toute normalisation politique, le Liban conditionnant tout progrès à un règlement de la question palestinienne et à un retrait israélien des zones contestées.

Une probable normalisation ne serait néanmoins pas le fruit d’une volonté populaire syro-libanaise. En raison de la continuation de la guerre à Gaza, de l’attache à la cause palestinienne, des nombreuses violations israéliennes dans la région et de l’histoire conflictuelle entre les pays, les peuples rejettent majoritairement l’hypothèse d’une pacification avec l’Etat hébreu. Or, l’abattement général face aux nombreux conflits, la paupérisation de la société et l’absence d’opportunité économique poussent certains à imaginer l’inimaginable, et l’administration de Donald Trump le sait pertinemment. 

Or, en l’absence d’un cadre politique clair qui définit un Etat palestinien avec ses propres fonctions régaliennes, l’Arabie saoudite ne sautera pas le pas d’une normalisation. Le pari étant trop risqué d’un point de vue de la paix sociale interne et de ses relations avec le reste des pays musulmans. Mohammed Ben Salmane l’a bien compris et attend juste le moment opportun pour le faire. 

Dans une perspective d’un élargissement des accords d’Abraham, « les Israéliens sentent déjà l’odeur de la friture et des boulettes de falafel à Damas, regardent déjà le prix des hôtels à Djeddah et Riyad, ainsi que celui des forfaits des pistes de ski du nord du Liban », écrit avec un brin d’ironie le magazine Ha’Aretz.  

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