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TRIBUNE – La diplomatie au péril de la dispersion 

Négociations entre diplomate
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques

« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément Â» (Nicolas Boileau). Hier, la diplomatie se résumait en trois fonctions essentielles : informer, négocier, représenter. Son principal objectif était de prévenir la guerre et, si cela ne s’avérait pas possible, aider à y mettre fin. Ainsi, chacun appréhende facilement ce qu’elle représente. Mais, le temps passe. La diplomatie cède aujourd’hui aux sirènes de la modernité et de la confusion ambiante. Nos dirigeants lui intiment l’ordre de couvrir une gamme infinie de problématiques dans l’air du temps. Désormais, elle s’apparente de facto à une sorte d’inventaire à la Prévert. 

Tout est diplomatie, qu’on le veuille ou non. Même si cette liste est loin d’être exhaustive, retenons quelques concepts qui reviennent régulièrement dans la bouche des folliculaires ou sous la plume des experts pour décliner les diverses facettes de la diplomatie française au XXIe siècle avant d’en mesurer toute la vacuité et les mirages !

De la déclinaison de la diplomatie nouvelle vague

La lecture régulière des déclarations publique française sur le périmètre de notre diplomatie et sur sa qualification, ainsi que celle des experts autorisés, sur le sujet est impressionnante.  Au fil des jours, elle enrichit notre action extérieure de nouveaux concepts, positifs ou négatifs, parfois décoiffant, confessons-le ! Mais, elle fait également l’objet de jugements critiques.

Les nouveaux concepts

« Diplomatie africaine (ou de la Françafrique bien mal en point) ; diplomatie du bisou ; diplomatie bilatérale ; diplomatie de la carte postale ; diplomatie climatique ; diplomatie culinaire (gastronodiplomatie) ; diplomatie culturelle ; diplomatie déclaratoire (déclamatoire) ; diplomatie du développement ; diplomatie des droits de l’homme (des droits humains) ; diplomatie économique et commerce extérieur ; diplomatie environnementale ; diplomatie européenne ; diplomatie féministe ; diplomatie humanitaire ; diplomatie itinérante ; diplomatie juridique ;  diplomatie mémorielle ; diplomatie des minerais stratégiques ; diplomatie multilatérale ; diplomatie du narratif (récit en français) ; diplomatie navale ; diplomatie numérique ; diplomatie des océans ; diplomatie onusienne ; diplomatie de l’ostentation ; diplomatie otanienne ; diplomatie parlementaire ; diplomatie des pôles ; diplomatie religieuse ; diplomatie scientifique et universitaire ; diplomatie spatiale ; diplomatie sportive ; diplomatie tactile (pratiquée avec conviction et talent par le président de la République, Emmanuel Macron avec ses interlocuteurs qui n’en peuvent mais) ; diplomatie technologique (de la tech ou de la big tech) ; diplomatie du tourisme ; diplomatie 2.0 Â».

À lire aussi : Occident : Et si son principal péril était ses « chefs » ?

Les jugements derniers

« Diplomatie des apparences ; diplomatie de l’arrogance ; diplomatie autiste ; diplomatie aveugle (ou à l’aveugle) ; diplomatie du bisou ; diplomatie du bling-bling ; diplomatie du boomerang ; diplomatie du buzz ; diplomatie de la canonnière ; diplomatie du chien crevé au fil de l’eau ; diplomatie coercitive ; diplomatie de la communication ; diplomatie de la coulpe battue ; diplomatie du coup d’épée dans l’eau ; diplomatie du coup d’éclat ou du coup de menton ; diplomatie du dos rond ; diplomatie de l’esbrouffe ; diplomatie de l’estrade ; diplomatie exécutoire ; diplomatie du fait accompli ; diplomatie Ferrero Rocher ; diplomatie au fil de l’eau ; diplomatie du froc baissé ; diplomatie guerrière ; diplomatie de l’humiliation ; diplomatie immobile ; diplomatie de l’imprécation ; diplomatie impressionniste ; diplomatie de l’invective ; diplomatie interventionniste ; diplomatie isolationniste ; diplomatie médiatique ; diplomatie du mégaphone ; diplomatie mentale ; diplomatie moralisatrice ; diplomatie munichoise ; diplomatie des otages ; diplomatie pacifiste ; diplomatie de la papouille ; diplomatie de la parole ; diplomatie du perron ; diplomatie perverse ; diplomatie de la posture/des postures ; diplomatie Potemkine ; diplomatie Renaissance ; diplomatie du sabre de bois ; diplomatie sautillante ;  diplomatie de la soumission ; diplomatie sourde ; diplomatie spectacle ; diplomatie du texto ; diplomatie en trompe-l’œil ; diplomatie transactionnelle ; diplomatie unilatérale ; diplomatie utopique ; diplomatie va-t-en guerre ; diplomatie du zigzag Â».

Dans ce domaine, l’imagination n’a pas de limites surtout en Macronie. Cette liste n’est pas exhaustive. Elle est évolutive, par nature. Ces nouvelles pratiques renforcent-elles ou affaiblissent-elles la diplomatie française ? La question mérite d’être posée.

De la vacuité de la diplomatie nouvelle vague

Cette manière révolutionnaire de pratiquer la diplomatie au XXIe siècle, en allant progressivement de l’unique au multiple, interpelle souvent les praticiens, rarement les commentateurs. Les diplomates, affectés à l’administration centrale (au « Département Â») ou à l’étranger (ambassades et consulats), découvrent – souvent par la lecture des médias et au fil des imprécations de nos dirigeants – que leur métier est sans limites. Ils sont priés d’être des experts dans toutes les disciplines pour céder à l’atmosphère du moment. En un mot, des experts en question générales. Quelques questions iconoclastes ou de pur bon sens méritent alors d’être posées pour éclairer le débat. Ont-ils été consultés au préalable pour donner leur avis, même de manière informelle, sur ces évolutions sémantiques ? Sont-ils objectivement outillés, y compris avec l’aide de l’intelligence artificielle (Cf. les propos de Jean-Noël Barrot devant ses ouailles lors de la dernière conférence des ambassadrices et des ambassadeurs des 6 et 7 janvier 2025), pour répondre à ces exigences, parfois loufoques ? Ne risquent-ils pas d’en oublier de se concentrer sur les fondamentaux de la diplomatie à l’ancienne qui ont fait la force de notre pays dans le concert des nations ?

Si les ambassadrices et ambassadeurs applaudissent chaleureusement le discours prononcé par Emmanuel Macron lors de la conférence qui leur est dédiée le 6 janvier 2025 dans la salle des fêtes de l’Élysée, ils n’ont pas si tôt tourné le dos que les critiques fusent dans les couloirs feutrés de la Maison des bords de Seine. Un classique chez nos grands serviteurs de l’État. Nos grands hommes se demandent si notre pays est bien placé pour organiser des grands raouts à jet continu sur les sujets les plus variés alors qu’il s’efface sur des thématiques plus porteuses : guerre et paix ? La phase difficile que traverse notre Douce France sur les plans politique[1], économique, social, sécuritaire … ne devrait-elle pas nous conduire à un minimum d’humilité ? Le fameux balayer devant sa porte avant de balayer devant celle des autres[2]. Nos interlocuteurs à l’étranger constituent souvent le meilleur miroir de nos faiblesses et de nos contradictions. Et, ils le rappellent, dès qu’ils en ont l’occasion, aux représentants de la « Grande Nation Â». Ce que l’on oublie trop souvent sous les ors de notre belle République. « Un acte de pratique vaut mieux que des tonnes de leçons Â» (Gandhi). 

Des mirages de la diplomatie de l’attrape-tout

« Ce qu’il y a de plus difficile à apprécier et à comprendre, c’est ce qui se passe sous nos yeux Â» nous rappelle, Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique ! Les diplomates ont l’impression que Jupiter ne comprend pas les changements de paradigme du monde du XXIe siècle. Il saute sur tout ce qui bouge pour en faire son miel sur la scène internationale. Avec une dose de forfanterie, il redouble de créativité langagière. Il veut atteindre le monde au cÅ“ur et non à la raison. Un comble au pays de René Descartes. Il est un parfait adepte de la diplomatie du buzz ; de la diplomatie tous azimuts tout en ne prenant nullement conscience que ses saillies permanentes le discréditent personnellement, mais ce qui est plus grave, portent gravement atteinte à la crédibilité de notre diplomatie dans la durée. Capable de communiquer, le chef de l’État semble, plus que jamais, incapable de gouverner, y compris sur la scène internationale. L’histoire des relations internationales ne s’écrit-elle pas sans lui ? Après avoir sabordé le corps diplomatique, n’entend-il pas faire passer de vie à trépas la diplomatie de papa (pour éviter la guerre) qu’il juge trop ringarde et inefficace ? Thierry Breton rappelle, et cela vaut également pour notre diplomatie, que « Quand la France n’a plus de politique, la France va à la dérive Â». On ne saurait mieux dire.

De la réalité à la fiction : voyage au bout de la diplomatie française

« Qui trop embrasse, mal étreint Â». Ã€ trop vouloir faire de la diplomatie une discipline attrape-tout, on la transforme en diplomatie du vide ! Inutile de se bercer d’illusions, la diplomatie n’est pas une question de posture mais d’action concrète et discrète s’inscrivant dans un continuum de la pensée. Elle devrait normalement être au centre du binôme, aussi vieux que le monde et bien connu des experts des relations internationales, qu’est celui de la guerre et de la paix. Pour être efficace et crédible, elle doit être capable d’agir dans le temps long, tout en étant à même d’intervenir dans l’urgence. Tel est son principal défi ! Nous en sommes loin en ce début d’année 2025 avec cette diagonale du flou. La question principale est celle de la réalité face à la fiction. En définitive, par un phénomène de fuite en avant, la diplomatie française n’est-elle pas confrontée au péril inhérent à sa propre dispersion ?

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Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur


[1] Benoît Floc’h, Crise de régime ou crise politique, le vacillement de la Ve République, Le Monde, 12-13 janvier 2025, p. 9.

[2] B. D., Macron enfin populaire …, Le Canard enchaîné, 2 avril 2025, p. 1.


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