
L’Édito de Roland Lombardi, Directeur de la rédaction – Le Diplomate Média
Donald Trump vient de franchir un point de rupture dans ses relations avec l’Inde. Après avoir imposé un tarif de 25 % sur les exportations indiennes, effectif depuis le 1ᵉʳ août 2025, il menace de l’augmenter encore « dans les prochaines 24 heures ». Officialisant ainsi un abandon premier de la ligne pragmatique qu’il prônait, à juste titre et il y a peu, face à la Chine, cette volte-face en direction de New Delhi marque une inflexion inquiétante dans l’axe indo‑américain contre Pékin que souhaitait pourtant le président américain…
Un refus brutal d’un pivot essentiel
L’ancien allié que Trump avait lui-même désigné comme pivot géopolitique dans la rivalité sino‑américaine – rappelons la visite de Narendra Modi à la Maison‑Blanche le 13 février 2025, avec pour objectif de porter le commerce bilatéral à 500 milliards de dollars d’ici 2030, et une nouvelle « Major Defence Partnership » sur dix ans, signée entre les deux pays – se retrouve désormais ciblé comme une vulgaire petite nation sans importance géopolitique par des mesures punitives.
Cette rupture est non seulement tactiquement absurde, mais politiquement contre‑productive. Modi reste l’allié de fait le plus fiable contre une Chine expansionniste. L’Inde demeure le seul pays du Sud global capable d’ancrer une stratégie de « containment » crédible en Indo‑Pacifique. Ce n’est pas un vassal qu’on fragilise : c’est un pilier que l’on démolit. Surtout, que Modi était demandeur de ce rapprochement avec l’Amérique de Trump, trouvant ainsi un levier pour s’émanciper de son rival géostratégique et historique qu’est la Chine.
Pour preuve, Narendra Modi fut l’un des premiers dirigeants du monde à féliciter son « ami » Donald quelques heures après « sa victoire historique » en novembre 2024 et souvenons-nous de l’accueil plus que chaleureux à New Dehli du Vice-président JD Vance et son épouse (d’origine indienne) en avril dernier…
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L’ironie du deux poids, deux mesures
Il est par ailleurs fort étonnant que Washington réserve un traitement bien plus indulgent à Pékin, qui demeure l’un des principaux importateurs de pétrole russe et iranien (comme l’Inde). En effet, la Chine bénéficie d’exemptions ou de moratoires, tandis que l’Inde subit une escalade de sanctions.
Nikki Haley, l’ancienne ambassadrice des États-Unis à l’ONU sous le premier mandat de Trump, a d’ailleurs dénoncé cette politique avec force et une certaine justesse d’analyse : punir un allié fiable tout en ménageant l’adversaire, voilà le vrai message envoyé. Une erreur d’autant plus lourde qu’elle va encourager l’émergence — voire le renforcement — du bloc des BRICS+, dont l’Inde est l’un des membres fondateurs et pilier. BRICS que Trump semblait pourtant jusqu’ici, et fort judicieusement, vouloir faire « éclater » ou du moins affaiblir comme je l’expliquais dans un précédent édito…
Que se passe-t-il à Washington, les États profonds reprennent-ils le dessus ?
Le virage de Trump semble traduire un compromis ou une capitulation face à ses adversaires et les cercles néoconservateurs états-uniens : ceux-là même qui, lors de son premier mandat, avaient saboté sa volonté de réconcilier Washington avec Moscou, et qui aujourd’hui encore font le maximum pour compromettre la paix en Ukraine et réalimenter les tensions avec la Russie, tout en réorientant sa diplomatie vers l’agressivité sectorielle. Pour certains observateurs, Trump, le premier dirigeant rebelle et anti-Système, serait déjà en train « d’entrer dans le rang »… Peut-être. Son recul dans l’affaire Epstein en serait la preuve. Quoi qu’il en soit, il faut bien comprendre que le président américain est soumis à d’inimaginables pressions et doit jouer les équilibristes entre sa base MAGA et ses adversaires politiques internes, comme certains lobbies encore et trop influents, et qui ne lui laissent aucun répit… Mais une nouvelle fois ne le sous-estimons surtout pas !
En Iran, il y a quelques semaines encore, les derniers néoconservateurs de son camp ont poussé Trump à une intervention plus forte, voire à un nouveau regime change à Téhéran. Or fort heureusement ce dernier n’est pas tombé dans le piège et s’en est sorti par une « pirouette » comme il en a lui seul le secret…
En Ukraine, pour l’instant, les « tensions » actuelles entre les États-Unis et la Russie et le ton (faussement ?) agacé et « belliqueux » de Trump ne sont assurément qu’un jeu d’acteur. Il nous a déjà plus d’une fois habitué à ce genre de comédie. Car de fait, il donne ainsi des gages à l’omnipotent complexe militaro-industriel étatsunien afin qu’il fournissent encore un peu les pauvres Ukrainiens avec des armes achetées par les dindons européens, qui eux-mêmes se précipitent pour s’armer Made in America face à la « menace » russe ! Tout ceci, en laissant surtout Poutine « finir le travail » ! C’est terriblement cynique mais c’est comme ça la géopolitique !
Alors ses menaces de taxes supplémentaires contre l’Inde sont-elles un nouveau bluff ou une nouvelle mise en scène insaisissable de la part de Trump ? Ou une réorientation profonde mais fâcheuse de sa politique étrangère influencée par quelques mauvais esprits finalement trop puissants… même pour Trump ?
Pourtant Trump avait initialement défendu une autre approche : bâtir un front anti‑chinois solide, s’appuyer sur l’Inde, voire la Russie, questionner l’interventionnisme en Europe de l’Est, et rompre avec la doctrine des sanctions permanentes. A présent, en frappant New Delhi, il risque, on l’a dit, de renforcer, revigorer et au final, « ressouder » les BRICS. Et surtout de grandement et irrémédiablement décevoir les Indiens…
Les conséquences immédiates
Sur le plan économique, les marchés indiens réagissent déjà : l’indice Nifty recule, les exportateurs hésitent, et New Delhi envisage des soutiens ciblés pour amortir le choc. Le rupee affaibli — au plus bas historique autour de 87,9/USD — offre un tampon partiel, mais ne peut compenser sur la durée la perte de compétitivité liée à des taxes américaines élevées.
Si Trump persiste, il ne punira pas uniquement l’Inde : il sapera la confiance stratégique que l’Amérique pouvait encore inspirer en Asie, au moment même où d’autres puissances régionales (Vietnam, Japon, Corée du Sud, Indonésie) concluent des accords plus stables avec Washington.
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Erreur stratégique ou nouvelle manœuvre trumpienne ?
En dépit d’un contre-temps pour sa paix en Ukraine et son « reset » dans ses relations avec Poutine, Trump remporte depuis six mois quelques succès notables dans sa politique étrangère et dans sa volonté de redonner toute sa puissance à l’Amérique. Or ce revirement vis‑à‑vis de l’Inde fait figure d’erreur historique. En sacrifiant un allié essentiel au profit de la démonstration de force, il retourne les principes fondamentaux de la Realpolitik : distinguer les intérêts stratégiques des caprices tactiques ou des intérêts de quelques-uns…
L’Inde n’est pas moins un adversaire parce qu’elle commerce avec Moscou. Elle est, depuis longtemps, un acteur souverain capable de jouer un rôle central en Asie. En l’attaquant, Trump encourage paradoxalement un renforcement de l’union avec les BRICS qu’il voulait pourtant amoindrir. Est-ce une victoire des néoconservateurs ou de certains qui ont trop de conflits d’intérêt avec Pékin ? Une ultime défaite du pragmatisme et pour l’Occident, une faute stratégique dont les conséquences pourraient résonner longtemps ? Ou encore une fois une nouvelle manœuvre mal comprise (pour faire pression par ricochet sur Moscou – en sanctionnant les livraisons de pétrole à l’Inde – dans les négociations en cours sur l’Ukraine ?) de Trump ? Nous en serons plus dans quelques heures si ses menaces se confirment ou pas…
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